La réunion de Ramstein n'a pas convaincu la Chancellerie de Berlin de débloquer les escadrons de chars Leopard2 que lui réclame le gouvernement de Kiev. Il semble évident que les Allemands ne veulent pas "prendre le lead" dans la guerre d'Ukraine à divers motifs dont le plus avancé est de ne pas rejouer l'opération Barbarossa (1941). Ils assument la responsabilité de faire durer la guerre d'invasion russe, mais sont-ils si loin du projet américain de saigner à blanc la Russie de Poutine ?
L'Ukraine, c'est le sujet du moment, mais c'est en fait le déclencheur d'un moment historique qui la dépasse (Michel Yakovleff).
La bascule stratégique annoncée touche trois domaines : le déclassement de l'espace impérial russe avec ou sans dislocation de la Fédération de Russie (1) ; la contrainte énergétique assénée à l'Europe occidentale (2) ; un nouvel art de la guerre (3). Nous allons faire court.
(1) Toute victoire russe, ne pouvant que s'inscrire dans une débauche obscène de destructions d'infrastructures et capacités civiles, les dirigeants du Kremlin seront devenus infréquentables et par assimilation la race russe sera maudite. Ce qui rejettera la Fédération russe dans les ténèbres économiques du XIXè siècle. Mais, à dires d'experts, c'est plutôt une victoire ukrainienne qui est programmée dans les caisses à sable, en conséquence d'un faisceau de paramètres macro-économiques comparatifs dont vont bénéficier les Ukrainiens. Comme n'ose pas le dire Sergueï Lavrov, c'est plus que l'OTAN qu'affronte la Russie de Poutine, c'est tout le monde libre, sa richesse intrinsèque, ses capacités d'innovation, sa réactivité, son endurance. Le petit PIB russe, sa rente minière dont les prix se fixent à l'étranger, sa promotion interne de prédateurs incompétents à tous les étages, l'abêtissement des peuples lobotomisés, ne pourront pas longtemps résister à l'engagement augmenté de l'Occident et du Japon. Un seul allié des Russes dispose d'assez de poids pour retarder l'effondrement, c'est la Chine populaire dont pratiquement tous les revenus d'exportation proviennent de ce monde libre. Va-t-elle déclencher chez elle l'émeute ouvrière pour complaire à des kleptomanes sans autre épaisseur que la viande populaire qu'ils exposent au feu de la guerre pour leur propre survie ? Elle a elle-aussi des comptes à solder avec l'héritière de l'empire russe. On le verra très vite, et sur les Kouriles nippones aussi.
Reste à entendre les considérants des républiques non slaves de la Fédération qui pour certaines décideront d'exploiter en propre leur rente héritée de l'Union soviétique et se développer sans l'aval de la mafia moscovite. Je ne parle pas des Stan d'Asie centrale (Ouzbékistan, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turménistan) qui couperont définitivement le cordon ombilical avec Moscou. Françoise Thom est allé au fond des choses dans un article de Desk Russie, là.
(2) Le fournisseur naturel d'énergie de l'Europe orientale et occidentale pour partie était la Russie de Lukoil et de Gazprom. Les prix bas de fourniture couvrant des infrastructures logistiques amorties (sauf les Nordstream) retardaient la conversion énergétique européenne à tous bons motifs. Le point de la situation sur Causeur. La rupture des approvisionnements (qui devait nous tuer) nous oblige à sortir carrément de la trappe fossile en dégageant les crédits de conversion à toutes énergies alternatives, au premier rang desquelles l'énergie nucléaire. Même si, après l'extinction de la guerre, le gaz russe revient sur le marché, ce sera un appoint pour donner de l'air aux anciens pays de l'Est. Le cas de l'Allemagne est à débattre à part.
(3) Les coefficients d'attrition des armes conventionnelles les plus courantes dévoilés par la guerre d'Ukraine obligent tous les états-majors à repenser les moyens de défense. L'irruption des drones de toutes tailles dans les trois dimensions et celle des missiles à haute vélocité ringardisent le fameux couple char-avion qui faisait les beaux jours de l'Ecole de guerre. Le ministre des armées Lecornu a signalé que la loi de programmation militaire imminente contenait des ajustements sévères dans un contexte d'augmentations budgétaires (clic) et M. Macron a brossé les grandes lignes du plan dans ses voeux aux armées prononcés sur la base aérienne de Mont-de-Marsan (clac). Qu'en sera-t-il au détail ? Langue au chat, il faut attendre sa présentation aux parlementaires.
Plus généralement et sans en faire des tonnes, l'Europe vient de se découvrir en tutu de danseuse, tributaire de puissances étrangères pas toujours amicales. Elle commence à réagir. Et si l'on tient compte des nouvelles lois américaines, on peut raisonnablement considérer que la mondialisation heureuse est morte. Or c'était l'épure stratégique allemande. Est-ce la République fédérale le plus gros perdant après la Fédération de Russie ?
Si le syndrome Barbarossa est souvent avancé par le SPD pour freiner l'envoi de Leopard2 en Ukraine, on dit aussi que le déficit de capacité créé par ces livraisons sera compensé par des Abrams américains : pour les usines allemandes de chars, le marché européen sera stérilisé pour longtemps.
RépondreSupprimersource : https://blablachars.blogspot.com/2023/01/bataille-economique-autour-du-leopard.html
Je viens seulement de découvrir la phrase du général Yakovleff que vous citez.
RépondreSupprimerEt je la trouve très juste.
Le léninisme se finit en Ukraine. Il aura duré 106 ans.. Je compte Poutine dedans !
Peut-être a-t-il en tête la dislocation de l'empire tsariste ?
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