mercredi 1 mars 2023

La Françafrique a la peau dure

Dans son allocution préliminaire au voyage présidentiel dans le bassin du Congo, M. Macron a utilisé six fois le verbe "bâtir". Il a son plan, son programme, son intention affichée de défendre les intérêts français, ce que la Françafrique a toujours déployé. Le texte est accessible par ce lien. Nous eussions préféré qu'il revienne à Paris avec la liste des demandes récoltées auprès de ses quatre homologues, en nous donnant des pistes sur les voies et moyens d'y répondre. Non ! Il arrive en VRP pour fourguer ses produits. Vous ne voulez pas de mes aciers suédois ? prenez du belge ! Que voulons-nous à la fin ?

Il est difficile de démentir la propagande russe qui dresse des foules stipendiées contre notre paternalisme avéré quand nous venons apporter "nos" solutions à des pays dont nous avons sollicité une invitation. Car il m'étonnerait que Félix Tshisekedi, Denis Sassou Nguesso, Ali Bongo ou João Lourenço se soient dit un matin en se rasant dans la glace : et si j'invitais Emmanuel Macron ? Ils sont bien bons d'accepter la tournée du cirque ambulant, mais ils ont sans doute lu le brouillon de l'allocution de lundi, et apporté les corrections utiles si nécessaire.

Comme en campagne électorale, M. Macron a couvert tout le spectre des relations inter-étatiques allant de l'éducation jusqu'à la Culture bien sûr - on est en France - et au numérique - ce n'est pourtant qu'une question d'intelligence et pas d'argent ! Mais ce qui dans le texte prend le mieux la lumière c'est la refonte du dispositif de gendarmerie. Au jour d'aujourd'hui, la France maintient en Afrique du centre et de l'ouest, trois bases (Sénégal, Gabon et Côte d'Ivoire) et deux forts (Niger et Tchad). Sans trop solliciter les phrases de l'allocution, on peut comprendre que les forts sont adossés à l'insécurité régionale où ils servent d'appui et de centre d'instruction aux forces locales, et qu'ils n'ont pas vocation à perdurer, soit par extinction du djihad soit par l'acquisition de capacités autonomes suffisantes. Restent les trois bases, que M. Macron veut réduire et transformer en écoles tactiques pour les pays-hôtes. En fait, il s'agit chaque fois de conserver une drop-zone sûre pour intervenir au profit de communautés européennes menacées par d'éventuelles révoltes urbaines. On en revient à la stratégie des comptoirs du vieil empire des rois disparu. Où sont les bases anglaises, les bases portugaises, les bases allemandes... ?

Le volet des investissements privés n'est bien sûr pas oublié, même si les groupes internationaux français n'ont pas besoin de faire où M. Macron leur dit de faire. Vivent leur vie les Bolloré, CFAO, Nécotrans, Vinci, Total, Danone, Orange, Société Générale, Decaux, Carrefour, Pernod-Ricard et bien d'autres entreprises de taille moyenne qui n'attendent pas d'impulsion présidentielle pour prospérer, et qui ne vendent pas de "vacherie" aux Africains comme on a cru l'entendre dans le prononcé.

terminal conteneurs Dakar
Dubai Port World Dakar terminal

Dernière chose. La diplomatie française veut que la tournée présidentielle dans le bassin du Congo déborde largement sur tout le continent utile. De "l'Afrique" on en a plein la bouche. Est-il venu à l'esprit de quelqu'un qu'il était maladroit pour ne pas dire méprisable de parler de ces quatre visites sous le chapitre continental sans individualiser le message ? Ce que nous dirons à Luanda, sera bien différent de ce que nous dirons à Libreville, à Brazzaville ou à Kinshasa. Pourquoi globaliser à ce point ? Quand nous évoquons le Congo belge, nous oublions qu'il couvre 2,345 millions de km² et abrite cent millions d'habitants. Il possède des ressources minières importantes pour le marché international (cuivre, cobalt, diamants) et une agriculture d'exportation non négligeable (caoutchouc, café, bois d'œuvre). Ne mérite-t-il pas sa place entière dans l'allocution ?

Au final, on voit bien que le donneur de leçons que nous avions découvert à Ouagadougou en 2017 dans son discours de rupture présumée (clic) conserve ce ton professoral que nos amis africains supportent de moins en moins. Mais il est tellement fier de lui que rien ne l'arrêtera dans sa quête de reconnaissance au niveau mondial, à croire que nous ne saurons jamais tourner la page de l'africanité française.

NB: Le cas de Djibouti est à part. C'est la base navale qui gouverne nos intérêts dans l'Océan indien et participe à la sûreté des flux marchands débouchant de la Mer d'Oman vers la Mer rouge ou le canal de Mozambique et vice versa. Nous avons une base jumelle à Abou Dabi où réside le commandement de zone. Les deux sont hors-sujet.

3 commentaires:

  1. Une réaction algérienne de presse qui donne le ton. Chaque mot compte, qui laissent apparaitre le narratif russe : France-Afrique : L'offensive de Macron pour récupérer le terrain perdu.

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  2. Très bonne émission sur la France-Afrique hier soir sur la chaîne 5.
    https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir/c-ce-soir-saison-3/4627129-france-afrique-la-fin-de-l-influence.html

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  3. A faire lire d'urgence au freluquet de l'Elysée : Driss Ghali, Une contre-histoire de la colonisation française aux éditions Jean-Cyrille Godefroid. Un auteur issu de l'immigration maghrébine mais aux yeux grands ouverts avec déjà Mon père le Maroc et moi aux éditions de L'Artilleur puis l'essai numérique avant De la diversité au séparatisme et de Français. Ouvrez-les yeux. Une radiographie de la France par un immigré aux éditions de L'Artilleur.
    Ou comprendre pourquoi et comment la France est de longue date malade de ses élites.

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