jeudi 8 juin 2023

Les franchises municipales redeviennent nécessaires

La question des libertés basses revient en force avec la contestation populaire des édiles municipaux transformés en courroies de transmission des vues et bévues de l'Etat central, rôle normalement dévolu au préfet de la République. Depuis l'aube des temps, le maire, quel que soit le titre que lui donne la tradition ou la loi, a pour charge et fonction d'administrer ses concitoyens au meilleur avantage de la communauté entière qui l'a désigné. Il arrive assez souvent qu'il se dresse entre la technocratie aveugle et les gens, et c'est finalement sa première utilité sinon la seule. L'affaire de Saint-Brévin nous a montré à quoi conduit l'inversion de la charge : ayant choisi l'air du temps qui plaît en haut lieu contre le bonheur local, le maire est, d'une façon ou l'autre, chassé par ses électeurs avant le jour du règlement des comptes, celui de l'élection municipale. On est en plein dans la question des libertés communales qui doit trancher entre le bien commun à l'étage des collectivités locales et l'intérêt général proclamé par l'Etat national. D'où l'intuition du Piéton à cantonner cet Etat central au domaine régalien (cf. infra).

L'affrontement entre le pouvoir zonal ou royal et les villes a commencé au haut moyen-âge dès l'enclenchement de l'urbanisation de certains espaces propices à des activités plus évoluées que les labours et les moissons comme l'artisanat, l'industrie, la chicane et le négoce. Chaque fois que le territoire changeait de seigneur, l'impétrant devait reconfirmer les franchises municipales, à défaut de quoi il entrait en période de troubles et de moindre revenu. Parfois ça se passait mal et les hallebardiers n'y suffisant pas, il fallait porter l'affaire au niveau de pouvoir supérieur, la viguerie, la sénéchaussée voire même aux Etats. Quand on se retourne sur le passé, on distingue parfaitement que la revendication des libertés communales a rythmé toute la vie provinciale de l'Ancien régime. C'est la République qui imposa progressivement l'uniformisation grisâtre des mœurs et l'égalitarisme destructeur de créativité individuelle. Il n'est de jour que ne soit signalé un grand agacement de la "base", même si le peuple français est de ceux qui se couchèrent le plus vite devant la normalisation, au point d'en faire une "valeur républicaine".

le roi carliste Carlos VII
A l'opposé de nous est un pays rebelle à l'entropie qui s'appelle l'Espagne. La péninsule ibérique est un amalgame d'anciens royaumes jaloux qui ont laissé derrière eux le goût immodéré des particularismes, mais surtout celui des droits et privilèges associés (les fors). Les quatre provinces les plus fières sont l'Euzkadi, la Catalogne, la Galice et l'Andalousie, qui ne cessent de réclamer des garanties à l'Etat castillan. C'est d'ailleurs ce tropisme régionaliste qui a servi de porteuse aux trois guerres carlistes. La devise carliste est toujours résumée en quatre termes : "Dios, Patria, Fueros y Rey". Soit la définition d'un royaume fédératif respectant la patrie de chacun en ses droits, sous la protection de Dieu et du Roi de toutes les Espagnes.

Si le motif du déclenchement de la guerre espagnole du XIXè siècle tient en partie dans l'usurpation du trône par la fille de Ferdinand VII au détriment du frère d'icelui en 1833, apparaissent deux autres moteurs de la guerre : le réformisme libéral des bourgeois des villes contre le traditionalisme des propriétaires terriens, et la menace d'uniformisation des mœurs politiques gouvernant les territoires, explicitée par les Cortes de Cadix(1) en 1812 : ce sont les fameux fueros municipales. L'université de Salamanque les décrit précisément : « Les chartes locales, chartes municipales ou, simplement juridictions disposaient en leurs termes du droit applicable dans une certaine localité ou territoire dont le but était de réglementer la vie locale en établissant un ensemble de normes, coutumes héritées, droits et privilèges accordés soit par le roi, soit par le seigneur de la terre, ou convenus entre les habitants eux-mêmes. Ce système de droit local fut utilisé dans la péninsule ibérique depuis le Moyen Âge et fut la source la plus importante du droit espagnol.»
Note (1): La première constitution espagnole de 1812 décréta la suppression des fors pour favoriser l'égalité de tous les Espagnols sur tous les territoires. Cependant, ils furent restaurés sous le règne de Ferdinand VII (1814-1833)


On notera que sous le règne des Habsbourg les fors furent toujours respectés par le pouvoir central et parfois même élargis quand nécessaire dans la tradition du Saint-Empire, alors que l'avénement des Bourbons déclencha la centralisation forcée(2) dans la grande tradition césarienne française.
Note (2): par les Decretos de Nueva Planta les royaumes de la couronne d'Aragon favorable à une succession autrichienne furent dépouillés de leurs tribunaux, institutions propres et de leurs fors, qui furent remplacés par les modèles castillans, tandis que Navarrais et Basques conservèrent les leurs pour avoir soutenu les Français.


Pour revenir chez nous, le projet monarchique doit cesser les dérives caporalistes de la République Cinquième en instituant une monarchie fédérative et sociale qui se préoccupera d'abord du bonheur possible des gens, sur leurs terres, et de leur réelle protection, avant toute éducation des masses. Sinon, l'Etat deviendra vite oppressif si d'aventure il vous vient à l'esprit de faire autre chose que de consommer : penser à haute voix par exemple en dehors du catalogue officiel du prêt-à-penser. Nos chefs de la police (ou plus joliment dit "ministres de l'Intérieur") sont devenus progressivement ceux de la police de la pensée ! De Valls à Darmanin, c'est flagrant. Que l'Etat gère l'opinion au niveau national fut de toutes les époques, mais les libertés basses (clic) sont les plus valables, qui méritent d'être défendues pied à pied, même le dos au mur. Un article plus long embrayerait maintenant sur l'idée de décentralisation de Charles Maurras, mais les Amis du Chemin de Paradis font ça très bien.

En guise de conclusion, nous pouvons rappeler ce propos de Patrice Sicard(3) que le quotidien numérique Je Suis Français remet en ligne aujourd'hui et qui militait dès la fin des années 60 pour le moins d'Etat par la monarchie justement :
« Nous tirons de l’expérience historique les caractéristiques institutionnelles de l’État monarchique. Pour désamorcer l’impérialisme de l’État technobureaucratique, la solution est précisément la création d’un État dont le ressort profond ne soit pas la prise en charge universelle de tous les aspects de la vie nationale. Nous sommes royalistes parce qu’il n’y a pas moyen d’avoir un minimum d’État autrement que par la monarchie. Nous voulons réduire l’invasion de la société par l’appareil étatique, mais d’un autre côté celui-ci doit être assez indépendant, structuré et ferme pour imposer l’intérêt national, résorber les contradictions sociales, jouer la carte des forces populaires contre la technobureaucratie qui ne se dissipera certainement pas par un coup de baguette magique.»

Note (3): Patrice de Plunkett


A l'occasion, relire sur ce blogue-ci la lettre à Angèle de Robert Brasillach sur le carlisme en cliquant ici.
Et méfiez-vous des imitations !

Liens de cet article en clair :
- Carlos VII : https://es.wikipedia.org/wiki/Carlos_de_Borb%C3%B3n_y_Austria-Este
- Libertés basses : https://royalartillerie.blogspot.com/2008/01/libertes-basses.html
- L'idée de décentralisation : https://maurras.net/2008/03/24/lidee-de-decentralisation/
- Patrice Sicard : https://www.jesuisfrancais.blog/2023/06/06/breves-de-patrimoine-de-laction-francaise-patrice-sicard-dans-les-annees-1960-definissait-sous-forme-precise-et-equilibree-les-caracteristiques-institutionnelles-de-letat-m/
- Lettre à Angèle : https://royalartillerie.blogspot.com/2005/02/en-ces-jours-dartillerie-revenons-au.html

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