mardi 13 juin 2023

Pourquoi faire simple quand on peut compliquer ?

registre paroissial d'état-civil

Faisant un peu de généalogie familiale entre deux tailles au jardin, j'ai fouillé les registres paroissiaux et plus tard d'état-civil de deux villages sur la période 1680-1810. Si le registre est toujours un livre relié au chiffre de l'administration du moment, parfois coté parfois non, la dérive inflationiste du texte est manifeste. Sous l'ancien régime, le curé ou le prieur en charge des écritures va à l'essentiel (mais il y a tout ce qui concerne l'inscrit, tant au baptême, mariage ou sépulture) et la confiance est totale dans l'intelligence même mesurée de qui le consultera plus tard. Par exemple on ouvre l'année par son chiffre en lettres et les inscriptions à suivre commenceront par la formule "L'an que dessus et le...", quand d'autres montreront un peu d'orgueil dans leur fonction en commençant chacune par une formule du genre"Cejourd'hui en l'an mil sept cens trente cinq etc. ".

Arrive la République. Déjà l'inscription, qui sous l'ancien régime prenait cinq à six lignes voire plus pour un mariage surtout entre conjoints de paroisses différentes, occupe maintenant la moitié de la page du registre, et les trois quarts de l'inscription concerne non pas l'inscrit mais le scribe. Ainsi au hasard pour la naissance normale d'une gamine à Tressan :
« Aujourd'hui Septième de Ventose En deux de La République a honze heures du matin Par devant moy Jean Ribot membre du Conseil Général de la Commune de Tressan Elu pour dresser Les actes destinés à Constater les naissances mariages et décès des citoyens Est comparu en la Salle publique de La maison Commune Le Citoyen Guillhaume Serraux assisté de françois Serraux son frère agé de trentehuit ans Et françois aubert Son Beaufrère agé de quarante ans a déclaré à moy jean Ribot que Marianne nougaret son Epouse en légitime Mariage est accouchée avant hier cinquième jour du présen mois de Ventose a trois heures apres midi dans la maison dhabitation audit Tressan D'une fille a laquelle a donné le nom de marianne serraux Daprès la Déclaration du dit guillhaume Serraux et françois serraux Et françois aubert dommicilés dans la ditte muncipalité qui ont Certifié Conforme à la vérité et de la représentation qui m'a eté faitte de lenfant denommé jai Rédigé en vertu des Pouvoirs qui me sont délégués le Présent acte que le père de Lenfan a signé avec moi et les témoins fait en La maison commune de tressan Département de l'hérault le jour mois an que dessus------(suivent les signatures) »

Nota : J'ai respecté au possible les capitalisations et fautes diverses qu'on pourra vérifier par ce lien sur Pierres Vives

Dès lors vous savez tout sur la situation de la commune même si elle est unique au monde, parfois son département de rattachement ou arrondissement, quelquefois canton, d'autres fois les trois ensemble comme des poupées russes. L'année est bien sûr répétée à chaque inscription comme étant celle de République française si d'aventure les Vendéens investissaient la mairie dans la nuit, puis vient le titre nom et grade du receveur de l'acte et le cas échéant le motif de sa présence au pupitre (absence ou maladie du titulaire), souvent aussi l'heure de l'inscription, et tout renseignement qui lui semblera utile à montrer son importance au milieu de villageois qui accomplissent la démarche sans malice, et qui ont souvent du mal à signer proprement. Les circonstances générales de la saisie de l'acte comme la situation de la commune sur le globe terrestre vont se répéter une bonne centaine de fois à l'identique tout au long des pages. Il arrive aussi que le plumitif fasse assaut de calligraphie, les caractères à l'anglaise plaisent beaucoup parce que plus difficiles à lire par les ploucs et tellement élégants, bien au-dessus de leur condition. On n'imagine pas le plaisir sans mélange du cuistre teuton qui rédige en gothique bien serré.

Au résultat, le temps de consultation du généalogiste même amateur est considérablement augmenté par le "progrès". Je vous explique : quand vous recherchez les trois étapes de la vie de quelqu'un (naissance, mariage, décès) vous imprimez dans votre cerveau son nom et prénom mais aussi ceux du conjoint (qui sert de détrompeur en cas d'homonymie) et de la parentèle proche ; puis vous balayez du regard les deux premières lignes de l'inscription dans le registre paroissial, souvent en mauvais état (plus le village est petit, moins on s'applique à bien écrire) et si rien n'accroche vous passez à l'inscription suivante ; il faut dix secondes. Dans le registre "moderne" tenu par les nouveaux administrateurs, ces noms sont situés dans le troisième quart de l'inscription fort copieuse, au milieu de mots non déterminants. Il faut trente secondes ou plus, si l'écriture est lisible. A quand même une exception près, dans une petite ville de l'an II où le registre tenu par une lumière commence ses inscriptions du style "Acte de décès de Gérault Tarthampion, en date du...etc." Evidemment ça n'a pas duré, et son successeur a repris le modèle complet en usage avant cette marque d'audace ! D'autres officiers d'état-civil, agacés sans doute par le foutoir réglementaire, ont écrit dans la marge de qui on parle. Mais ça, les curés de l'ancien temps le faisaient déjà. Et dans ce cas-là on va très vite.

On notera de cette époque et particulièrement avant 1793, l'inscription fréquente d'enfants naturels de mère désignée, sinon la formule est "légitime et naturel" ce qui veut dire "non adopté". Et plusieurs fois par an dans des villages de moins de mille habitants l'inscription d'enfants trouvés (sous le porche de l'église le plus souvent). Ils sont baptisés avec deux prénoms dont l'un deviendra son patronyme. Le choix des prénoms n'est pas clair mais il peut être ceux des témoins au baptême. Autre curiosité dans le Midi, les inscriptions d'abjuration de la foi réformée après la Révocation de 1685. Et à cette occasion, le prêtre à plume s'applique spécialement, c'est une victoire sur le démon de l'hérésie.

Ce goût immodéré du jargon pour impressionner les masses laborieuses continue de nos jours - il faudra bientôt créer des interprètes des textes de loi - mais ça remonte à très loin. Boiffils de Massanne dit que les rédactions ampoulées ont été rapportées de Byzance par les notaires de la croisade, impressionnés sans doute par l'enculage des mouches grecques. Et on passa du droit à la chicane. Quand il suffisait auparavant pour acheter un terrain de bien le situer, de connaître ses voisins par la formule de confrontation et d'avoir les noms et qualités des parties à la vente sans oublier à qui répondait la tenure ; il faudra, après les croisades, noyer la description et l'accord financier des parties d'attendus et considérants divers sans autre intérêt que celui de faire monter les honoraires, le tout en latin d'étude (de cuisine), parfaitement incompréhensible du tenancier moyen. On était passé des douze tables de la Loi aux édits de Constantinople.

Aujourd'hui, nos actes notariés ont été modélisés dans un jargon très obscur pour quelqu'un qui est peu versé dans le droit, mais il y a loin encore entre leur rédaction et celle des lois et décrets que débite le pouvoir en continu. Nous en avons déjà parlé ici. Les petits esprits se gobergent de formules ronflantes autant qu'ils sont petits. On devrait donner le travail de scribe à l'intelligence artificielle. On me dit dans l'oreillette que c'est en cours. Comme quoi, il ne faut pas désespérer d'une société auto-immune !

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