mercredi 24 mai 2006

Une doctrine sans affect

Selon la Wikipedia, affectus en latin désigne traditionnellement un sentiment, un état de l'âme. Spinoza prétend qu'il s'agit plus précisément d'une modification ou un changement se produisant dans le corps en même temps que dans le mental (mens), modification par laquelle sa puissance d'agir est augmentée ou diminuée. Sigmund Freud déclare que l'affect est une impression, un ressenti, une qualité émotionnelle, alors que la seconde composante de la pulsion, la représentation, est une idée, un concept froid (fin de la culture en couche mince).

d'émotion la photo est floue
Ce qui m'a conduit à creuser le paramètre affectus dans la doctrine royaliste est l'amitié jusqu'à l'enthousiasme que les peuples européens du Nord portent à leurs souverains, qui n'ont carrément aucun pouvoir politique apparent, à quelques nuances près. Aux heures où le chat sort courir les gouttières, il est hardi de critiquer la famille locale régnante devant une pompe à bière danoise ; insister au-delà de la première mise en garde conduit au cassage de gueule sur le seuil de l'estaminet, sous les applaudissements du public. Le roi, la reine et les mignons petits de la maison royale sont sacrés.

En juillet de l'an 80, je faisais une promenade digestive sur les quais d'Oslo. Croisant un superbe caniche géant, je levais la tête vers son propriétaire que mon compagnon salua et à qui fut rendu le salut ; ce qui me fit lui demander s'il le connaissait. "C'est le roi Olaf !" Heureuse nation où le roi sortait faire pisser le chien sur le quai sans apparat.

OlavChez nous, les présidents sont en permanence menacés puisqu'ils disposent de pouvoirs étendus - Chirac en a plus que Louis XIV - alors qu'ils ne représentent qu'une faction d'une Nation habituée à s'entredéchirer. Sauf groupies écervelées ou militants sur commande, il est rare que le chef de la République déplace des populations acclamantes au-delà des mouches qui courent partout à l'évènement pour se distraire ou pique-niquer. Et un reportage présidentiel s'il n'est pas scandaleux, ne fera jamais monter le tirage d'aucun journal.

Sous l'Ancien Régime, et dans les moments cruciaux, on a pu voir le peuple manifester son affection spontanément et parfois brutalement quand il ramena de Versailles à Paris, le "boulanger, la boulangère et le petit mitron". Certains prétendent que la fuite à Varennes fut ressentie comme un jugement de divorce entre le peuple et le roi, provoqué par "abandon du domicile conjugal".

Bien plus tard, l'avènement de Charles X, prince svelte et bon cavalier, devenu sérieux et très pieux, déclencha une réelle popularité malgré ses 67 ans.
Si Louis-Philippe ne souleva pas exagérément d'enthousiasme - son coiffeur est à mettre en cause - son fils Ferdinand-Philippe fut la coqueluche du peuple pour ses campagnes militaires et ses idées libérales, à tel point que sa mort accidentelle à 32 ans lèvera les fonds nécessaires à l'érection de deux statues sur souscription publique et des armées, l'une à Paris, l'autre à Alger.

prince Ferdinand-PhilippeCeci dit pour illustrer le paramètre "affect" qui nous semble absent de la doctrine royaliste dominante. Les raisonnements mécaniques l'emporte trop souvent, et il est loin le temps où on entendait les Dames et Forts des Halles de l'Action Française défiler en criant qu'avec un roi ils auraient au moins quelqu'un à aimer ! Il faut dire que la classe politique de la Troisième République était le ramas de concussionnaires et prévaricateurs le plus nombreux que l'histoire ait croisé, incapables de susciter une quelconque admiration, a fortiori de l'affection.

Une doctrine aussi techniquement parfaite qui promeut un système dominé par un homme sur un argumentaire strictement politique et agnostique, manque d'équilibre pour emporter la conviction la plus large. Cette glaciation est assez bien "enfermée" dans la formule "le roi en ses conseils, le peuple en ses états", qui ce disant sépare l'un de l'autre alors que l'on sait d'expérience que c'est le seul attelage qui tire durablement le char de la Nation. Maurras le provençal était un maître froid autant que ses vers givraient dans ses recueils de poésie. Mais ceux qui croquent le glaçon au fond du verre de whisky, l'adorent et j'en suis.

L'expérience ne montre que trop que le peuple français ne marche hélas qu'à l'enthousiasme, et c'est bien son plus grand défaut dès lors qu'on le déclare imprudemment souverain et qu'il s'avère incapable d'aucune pérennisation politique sans humeurs. Sans enthousiasme populaire pas de réformes ; sans enthousiasme populaire pas de supériorité militaire ; sans enthousiasme populaire pas de projection dans le futur. De Gaulle, grand consommateur de référendum, avait parfaitement capté ça.

Et quand les conditions économiques et sociales atteignent l'insupportable, ce peuple énervé se réveille brusquement, fait la révolution, et se défoule dans le caprice national de la tabula rasa. Peuple latin triste, immobile aujourd'hui, pétrifié par le déclin qu'il s'est choisi. Emotif, pusillanime et un peu lâche, tant pis, il faudra faire avec à moins de partir convertir les Patagons. Que la fleur de la Nation ait été alignée dans des cimetières impeccables, n'est sans doute pas pour rien dans notre affaissement. Mais ça ne se dit pas, tant mieux, c'est quelque part cruel.

Ch.MaurrasIncorporons donc l'affectus dans le corpus doctrinal à côté de l'oeuvre maurassienne. En passant celle ci n'est pas protégée par le dogme de l'infaillibilité pontificale. Certes l'affect du peuple pour sa reine ou son roi se constate mais ne se mesure pas avec précision et ce n'est donc pas un "compteur" de référence. Il n'est pas non plus facilement maîtrisable si l'on cherche à l'amplifier ou le canaliser, et les docteurs en politique détestent. C'est une logique floue qui n'est pas insérable en l'état dans le concept monarchiste actuel.
Et pourtant cette logique floue s'avèrera vite incontournable sur le chemin étroit de la restauration, dès qu'il s'agira d'interpeler la Nation sur un choix de régime radicalement différent de celui qui aura coulé le pays.

Si l'affection est insaisissable, on peut néanmoins créer les conditions favorables à sa naissance et à son expression. Cela demande une participation des récipiendaires à un processus désigné aujourd'hui par le vilain mot de communication. Malheureusement pour la Cause royaliste, les prétendants actuels ont une certaine difficulté à provoquer l'affect des "sujets-citoyens" ; l'un n'est pas "communicant" et se défend d'être royaliste ; l'autre malgré l'atout de sa jeunesse et de sa vigueur, semble préférer une certaine distance et s'exerce d'abord au polo ; les deux sont un peu gauches et manquent de naturel.

Peut-être devrions-nous regarder du côté des reines ?

Non, non, c'était pour rire !

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