Partie II : le régime féodal
Quand les Wisigoths débarquèrent en Hierle leur chef s'attribua la souveraineté pleine et entière du territoire sur la base du cadastre fiscal romain. Les droits déjà inscrits, souvent iniques, étaient dénommés Justices et comportaient outre le droit de juger, les droits de police, banalités, aubaine et confiscation. Ces droits seigneuriaux d'origine romaine feront l'objet de grandes disputes jusqu'à la fin du régime féodal. Ils corrompirent l'essence du droit wisigothique en le pécuniarisant à outrance.
Justice et fief
La loi d'évolution des sociétés distingua très tôt la Justice et le Fief, au point que les juristes de ce temps ne les confondaient jamais. La Justice était une seigneurie de pleine souveraineté sur les habitants du territoire ; le Fief organisait l'interaction des propriétaires des sols.
Le chef-lieu de la Justice était dénommé Castrum, plus tard château.
Le baron, propriétaire de toute la terre, en gardait suffisamment pour son train de vie et sa descendance, et distribuait le reste à ses subordonnés sous réserve des devoirs féodaux, essentiellement militaires et d'assistance en tout autre péril.
Les parties concédées devenaient des fiefs, héréditaires, mais qui devaient retourner au Seigneur si la lignée bénéficiaire s'éteignait. Tout dévoiement était payant.
Le chef-lieu du fief était dénommé Capmas (maison de tête), et plus tard manoir.
Un fief qui sautait en lignée collatérale devait être racheté au droit de Relief au prix d'une année de revenu.
Un fief aliéné était soumis au droit de Quint, au cinquième de sa valeur fiscale.
Jusque là c'est simple.
Le seigneur du fief ne pouvant (comme le baron) le cultiver en totalité avec ses gens, le morcelait et en donnait les pièces détachées à bail. C'était une emphytéose perpétuelle dont il conservait la nue-propriété dite domaine direct, et dont il louait le domaine utile moyennant le paiement d'une Censive annuelle. C'est l'origine du fermage.
Le possesseur du domaine direct s'appelait seigneur directe ; il détenait aussi un droit de préemption en cas de vente du bail, qu'il monnayait par le droit de Prélation au treizième de la valeur du fonds vendu.
Le possesseur du domaine utile s'appelait tenancier.
L'hommage était l'essence du fief ; la censive l'essence de la roture.
S'il advenait que les domaines direct et utile soient réunis dans la même main, la terre devenait un plein fief, ou alleu. Le chef-lieu de l’alleu était dénommé Mas, plus tard, maison.
Le peuple ne regrettait pas le régime romain bien qu'il ait produit des merveilles dans l'aménagement du territoire et l'embellissement des capitales. L'esclavage, tare de l'Antiquité, avait disparu avec les Goths. Lui avait succédé le servage bien moins avilissant. La condition de l'homme suivait la condition de la terre. Sous la surveillance du seigneur justicier, le possesseur de fief ou d'alleu était libre, le tenancier avait un chez-soi légalement protégé, une terre, une famille ; sa domesticité ne subissait pas la mésestime des autres puisque considérée comme la force motrice de l'économie rurale.
Tout autour se tenaient les clercs chargés des âmes de tous sans condition sociale, et des arts libéraux. Chacun des clercs jusqu'au moindre était personne libre.
Les biens-fonds appartenant à l'Eglise furent constitués de la même manière que les biens-fonds de l'Etat militaire. On ne s'y attardera pas.
Tout ce beau monde passa quelques siècles jusqu'au Xè à créer des péages et octrois en tous lieux de passage obligé, fortifiant leurs demeures et leurs greniers pour protéger leur puissance, réguler la vie économique et ponctionner l'activité humaine à proportion des fruits du terroir acquis ou concédé, mais dans les limites supportables par leurs sujets qui avaient le sang vif. Ce n'est pas pour rien si la région est surtout connue pour les exactions de la guerre des Camisards.
Grandeur des barons d'Hierle
Le premier baron d'Hierle était issu de la puissante maison d'Anduze qui régnait sur d'immenses domaines en Septimanie et était alliée aux comtes de Toulouse, vicomtes de Nîmes, de Béziers, et aux Seigneurs de Montpellier. Cette grande famille s'était divisée en plusieurs branches sur des territoires distincts mais attenants, adoptant chacune un patronyme propre.
Le Seigneur justicier d'Hierle prit le nom de Bermond. Une branche collatérale établie au bord de la baronnie sur la Justice de Saint-Martial se nomma Estienne.
La baronnie suivit le sort de toutes les possessions de la maison d'Anduze jusqu'à la croisade des Albigeois, quand le roi de France confisqua les domaines comme il le fit largement partout en Languedoc, au bénéfice de la couronne ou de ses barons francs, compensant quelque fois tardivement la capture d'une rente. Hierle passa sous le joug de France en 1226, contre 600 livres de rente accordée en 1243.
Le dernier Bermond réussit à se faire restituer la baronnie en 1254. Il mourut en 1294 sans enfants, non sans avoir vendu aux paroisses d'Hierle pour 6000 sols tournois, quasiment tous les droits seigneuriaux, à savoir la création d'offices municipaux, le droit de four et de moulin, de pêche et chasse, de lignerage et pâturage et les garanties d'emprisonnement arbitraires (cautions). C'était le 5 novembre 1275.
En 1280 il vendait la Justice d'Hierle à Pons de Saint-Just. Exeunt les Bermond.
Pour le moment la baronnie restait entière.
La maison de Saint-Just était à l'époque dirigée par l'aîné de la famille, évêque de Béziers dès l'âge de 18 ans ! Il fit un peu de monnaie en usant du droit seigneurial qui lui restait, le droit de tabellionnage, créant moult notaires et scribes. Faute d'héritiers en ligne (bien sûr), Hierle va rester dans les mains de la même génération pendant 23 ans. C'est une fille qui recueillera l'héritage et se mariera avec un Peyrefort, lui apportant en 1303 la baronnie intacte, sauf les droits utiles déjà vendus.
(à suivre)
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Merci pour toutes ces précisions !!!
RépondreSupprimerJe recherche des éléments historiques sur Vissec et les Vissec.
D'avance merci.
Jean-Luc
http://vissec.ifrance.com
vissec@free.fr
Votre site "Vissec de Latude" est très intéressant, mais je ne crois pas vous en donner davantage que ce que vous avez collecté. Je peux vérifier si la baronnie, mitoyenne de celle d'Hierle, était dès l'origine séparée d'elle ou si elle en fut détachée. Et si Fulcrand de Montfaucon a bien acquis Hierle de sa tante Peyrefort.
RépondreSupprimerPar contre Michel de Montfaucon (dcd 1747) ne pouvait porter le titre de baron d'Hierle que par coquetterie, car à cette époque la baronnie avait été découpée en ... marquisats divers et minuscules. D'où le marquis de Vissec, d'ailleurs.
Cette inflation des titres à la limite du ridicule poudré annonce la décadence de l'Ancien régime, celui des "petits marquis".
J'ai cerné quelques compléments.
RépondreSupprimerLa seigneurie de Vissec dépend au départ de la baronnie d'Hierle, laquelle dépend des trois diocèses de Nîmes, Lodève et Maguelone (Montpellier). Son centre de gravité est au Vigan où résideront les officiers royaux. Sa "capitale" fut un moment à Aulas (30120).
La maison la plus puissante au départ (943) est celle d'Anduze (branche de Bermond sur la baronnie) qui vendra Hierle à la maison de Saint-Just en 1280, mais amputée de ses droits seigneuriaux vendus préalablement aux paroisses du pays d'Hierle pour 6000 sols tournois.
La dernière héritière de St Just épouse le baron de Pierrefort vers 1300 et lui apporte Hierle. Celui-ci, veuf, se remariera avec l'héritière des Pierre qui lui apportera la seigneurie de Ganges, contigüe à la première, et il prendra le patronyme de Pierre-Pierrefort.
A la sortie de la guerre de Cent ans (1360-1430) - Hierle avait choisi le parti anglais contre les Francimans qui avaient mauvaise presse -, la baronnie ravagée est disputée entre les maisons de Pierre-Pierrefort (du parti français) et d'Estienne (branche tardive d'Anduze, cévenole de souche albigeoise). Pierre-Pierrefort aura le dernier mot en 1384. La dernière veuve de cette famille vend la baronnie à la maison de Bouzigues (de Montpellier) en 1517. C'est la dernière mutation de propriété de la baronnie presque complète. Le démembrement commencera peu de temps.
Une dizaine de hobereaux s'y taillèrent des seigneuries affublées de noms ronflants, à tel point qu'on y dénombrait au XVIII° siècle quatre "marquisats" (dont Vissec), le vicomté d'Alzon, les baronnies d'Arre, de Porcairès et de Hierle (la plus petite), sans compter une douzaine de seigneuries Justice attendant la première occasion d'être érigées en dignités. Il y eut même des seigneuries sans aucune maison construite dessus.
C'est à cette époque que Fulcrand de Montfaucon (du Vigan) achète son morceau à Françoise de Pierre(-Pierrefort) et le baptise Hierle. Les Montfaucon n'auront de cesse de vendre des morceaux à tel point qu'en 1789 le "château d'Hierle" n'était plus qu'une baraque aux portes du Vigan.
Les Vissec de la Tude acquéront la baronnie de Ganges (1668) par mariage avec la branche Saint-Estienne de St Martial de la famille d'Anduze, comme l'indique la page généalogique sur votre site. Ils furent les derniers seigneurs de Ganges.
Merci beaucoup !!!
RépondreSupprimerPetite touche par petite touche, l'Histoire refait surface...
Puis-je utiliser vos textes sur la Baronnie d'Hierle pour alimenter wikipédia?
Bien cordialement.
Vous pouvez me contacter par mail, ce sera plus direct!
Jean-Luc
vissec@free.fr
http://vissec.ifrance.com
Une contribution à la wikipédia sur la baronnie d'Hierle aurait plus d'autorité venant d'un historien du Moyen-Age que d'un simple blogueur.
RépondreSupprimerCe que je vous ai passé est un condensé des travaux de Boiffils de Massanne publiés en 1862.
Peu concerne Vissec (et les Vissec de la Tude), seigneurie à l'occident de la baronnie.
A l'occasion de mes lectures, je vous passerai des compléments pouvant vous intéresser.
J'ai noté votre adresse e-mail.
Sinon tous les textes de Royal-Artillerie sont reproductibles sous licence Creative Commons. Voir en bas de page, dans le bloc "avertissement".
Salut.
http://vissec.free.fr/
RépondreSupprimerest le nouveau site de Vissec et des Vissec !!!
Merci à vous.