Ce billet est paru dans l'Action française 2000 du 15 juillet 2010 dans la catégorie "optimisme forcé". Il célèbre le courage et le talent des peuples africains qui méritent plus que tous autres de vivre et mourir au pays. Augmenté de cartes et illustrations, ce billet passe en archives RA.
Il y a quelque chose d'insolite dans le défilé de troupes nationales africaines en tête de l'armée française ce quatorze juillet 2010. Non pas que nous soyons chagrins de l'empire perdu, encore moins que nous fassions mauvaise mine aux soldats de ces pays qui sont aussi la chair de notre histoire, mais l'indépendance, qui succède toujours à un asservissement, se fête chez soi seul ! Le président Gbagbo a raison. C'est sans compter le logiciel médiatique du pouvoir qui a lancé l'année du "Tirailleur Sénégalais" comme il l'aurait fait de la fève de cacao. Sachant tous leur bravoure aux combats de métropole pendant les deux guerres mondiales, nous saluons en ces troupes la mémoire de leurs pères. Laissons cette obsession élyséenne d'une "com" à tout prix et prenons le chemin de Chasselay dans le Rhône.
Nous nous souvenons
La nécropole sénégalaise est l'un de nos derniers cimetières des troupes noires puisqu'elle a recueilli les restes de cent quatre-vingt-huit tirailleurs du 25ème, submergés le 20 juin 1940 au château du Plantin dans l'axe de la Nationale 6, après deux jours de combats héroïques contre un régiment d'avant-garde de la division allemande "Grossdeutschland" qui venait prendre Lyon. Les vainqueurs (à cent contre un) trièrent les blancs des noirs, et massacrèrent tous ceux-là en exécution d'un ordre permanent du général Guderian. Le Tata (enceinte sacrée) de Chasselay nous rappelle que ces jeunes noirs (la plupart originaires de Guinée) attaquèrent pour l'honneur de leurs officiers, la Coloniale ne se rendant pas sans combattre. On notera que l'armée française était en pleine débâcle après le discours radiophonique du maréchal Pétain du 17 juin 1940, avertissant les unités au feu de l'imminence d'un armistice, et que Lyon venait d'être déclarée ville ouverte sur demande expresse du président Herriot. Respect au 25°RTS et au 405°d'Artillerie de DCA qui l'épaulait.
Sarkozy et Kouchner veulent-ils montrer à la tribune des invités venus du monde entier que notre influence africaine est intacte ? Tous les contempteurs de la France en Afrique savent sur leurs dix doigts que l'heure française est au reflux, au plan militaire déjà, mais d'abord sur les facilités budgétaires de l'APD(1) qui étrécissent chaque jour. Le Livre Blanc de M. le ministre Morin, établi sur une logique comptable, mais comment faire autrement en prévision de la banqueroute, ne laissait que deux points d'appui maritime sur le continent noir, Dakar ou Libreville et/ou Djibouti, mais la montée en puissance de la nouvelle base aéronavale d'Abou Dhabi, en face d'un Iran promis à la vitrification, réduira probablement notre dispositif à un seul, un éventuel second point d'appui abritant des moyens prédisposés sous cocon. En accompagnement de ce retrait, nous participons à la mise sur pied d'une défense interafricaine et renégocions nos accords bilatéraux. Notre position future sera bien plus saine, même si nos communautés nationales perdent la garantie d'une protection instantanée. A nous de convaincre que nous sommes utiles, plus utiles et moins cupides aussi que les nouveaux maraudeurs. Qu'en pense la "cellule africaine" de monsieur Guéant ? Veut-elle encore faire les "rois" ?
Une décolonisation ratée, à preuve l'émigration
L'Afrique française (AEF et AOF) fut décolonisée par la Cinquième République au début des années soixante après que les protectorats du Maroc et de Tunisie aient été libérés en 1956. Seuls deux territoires sans Etats dignes de ce nom furent conservés, le temps de leur créer un vrai gouvernement : Djibouti, réformé en 1967, gagnera son indépendance par référendum populaire en 1977 ; l'archipel des Comores votera la sienne en 1973 (effective en 1975), Mayotte refusant l'aventure. L'archipel n'est toujours pas stabilisé. Djibouti s’en sort bien.
Un demi-siècle après, chacun peut juger de la faillite d'une utopie, ce continent ne se développant pas, quels que soit la latitude, la géographie, les ressources, la dominante ethnique, le régime politique, et il est bien difficile de saisir une cause prépondérante à ce marasme. Certes, on se goberge de chiffres de croissance plus ou moins fabriqués afin de clamer dans les enceintes fréquentées par les bailleurs de fonds que le développement se fait bien. Mais epsilon plus cinq ou dix pour cent, ne fait quand même pas grand chose !
Ces difficultés ne doivent pas nous décourager. Elles nous obligent à trouver des voies différentes que celles suivies jusqu'ici. Nous devons nous intéresser à l'Afrique pour deux raisons. Nous avons une communauté de culture avec l'Afrique francophone – qui a inventée la francophonie, ne l'oublions pas - et même une certaine connivence au niveau de l'individu de part et d'autre de la mer. Personnellement je me sens bien plus d'affinités avec un Malien, un Camerounais, un Togolais, un Sénégalais qu'avec aucun ressortissant balkanique. Croiser un Congolais à Yiwu (2) et c'est un quart-d'heure de "perdu" à giberner. Je ne ressens rien des caucasiens et autres ukrainiens, moldaves ou géorgiens que je compare à des doryphores.
La seconde raison est que la pression migratoire africaine sur l'Europe est trop forte pour y être toute employée, mais elle ne pourra être contenue qu'en zone d'embarquement. C'est l'émigration qu'il faut soigner. Il n'y a donc pas d'autre choix que d'obliger les pays de départ à se développer. Comment ?
C'est ici que l'on commence à s'arracher les cheveux. Les organismes de développement désintéressés existent du plus gros au plus petit, de la TICAD japonaise à Africa Works du chanteur Youssou N'Dour. Les banques et caisses de développement débondent les fonds sans arrêt et tout le flux ne disparaît pas dans le sable de la corruption. Mais au résultat, peu de résultats.
Un plan Marshall précis et intelligent
Foin des récriminations perpétuelles, faudrait-il n'avoir qu'une idée, une seule bonne idée vraie, quelle serait-elle ? La voici. Mobiliser une fraction des moyens détenus par les dix ou douze grands acteurs(3) BTP de la planète sur un programme continental d'électrification générale, en le finançant par une minuscule ponction des flux interbancaires quotidiens, le tout placé sous le gouvernement de la Banque Mondiale.
A partir de l'énergie fossile ou renouvelable disponibles localement, multiplier les centres de production électrique et les réseaux de distribution pour former une grille électrique couvrant tout le continent jusqu'au dernier village. Sans détailler le programme, encore moins le raccorder aux disputes hydroélectriques en cours, on sait déjà que d'apporter la force ou même simplement la basse tension dans un village change radicalement l'activité de la communauté résidente. Reste à étudier une tarification progressive qui tienne compte de la vitesse (ou de la lenteur) d'enrichissement de chaque district électrique. On verra très vite les effets de la mécanisation sur l'irrigation, sur le traitement plus facile des récoltes, la possibilité de conserveries, sur l'artisanat de production, les services puis sur l'industrie. Les villes aussi et leur quartiers pauvres devront être servies. Mais il est un effet de levier plus puissant encore si la grille électrique prend dans ses mailles une grille ferroviaire. Les Etats africains sont capables de prendre en charge la rénovation voire l'extension de leurs réseaux ferrés, à charge pour nous de fournir le courant et les locomotives électriques adaptées.
Le premier avantage de ce programme de grille électrique, avant même de l'avoir réalisé, est la force du signal donné à tous les Africains : une bataille d'infrastructures pour un développement abouti va se concrétiser par une efficacité mesurable par chacun. On n’est plus dans le vent des inaugurations époustouflantes de ponts sans route, d’aérodromes sans avions, d’entrepôts vides. Les gens mesureront le progrès à l’installation de leur compteur individuel. Le deuxième avantage est de mobiliser les ressources BTP supplétives des entrepreneurs locaux voire à susciter la création d'entreprises faisant de la vraie valeur ajoutée. Le troisième avantage est la mobilisation générale de main d'œuvre par tout le continent car les centrales et leurs lignes, et les chemins de fer, convoquent beaucoup de bras vaillants et distribuent autant de salaires.
L'écueil de tout programme de cette envergure est de manger les crédits en bureaux d'études, souvent créés spontanément par les fils de ministres intègres, sinon par les agences nomenclaturées des banques de développement ; il suffit de lire le Journal officiel de l'Union européenne (JOUE) dans ses pages attributives de travaux pour voir le carnage financier. L'intérêt des grands groupes BTP est de pouvoir s'en prémunir, et l'abondement direct de la Banque Mondiale aux sièges des contractants bipasserait les tyranneaux africains voraces(4) et leurs réseaux de prédation.
Quel décideur politique d'envergure aurait une idée concrète pour l'Afrique ?
Celui qui a deux entreprises de BTP en tête du top-ten mondial ? Suivez mon regard. Peut-être alors celui qui en a trois ? La Chine (encore !) reconquiert l'Ouest agité de l'empire du Milieu par un plan massif de développement de sept cent quatre-vingt milliards de yuans(4). Comment donc ? Par la superposition d'une grille électrique et d'une grille ferroviaire sur son piémont himalayen (Gansu, Guizhou, Hunan, Sichuan, Yunnan) et ses déserts nordiques (Xinjiang et Mongolie). Où les centrales hydrauliques ne seront pas possibles, ils construiront des centrales solaires et nucléaires. L'énergie est latente, la main d'œuvre est disponible, l'argent sera bien placé. En Afrique, c'est pareil, à la réserve près du commandement unifié !
Notes :
1. Aide Publique au Développement dans le cadre onusien des 0,7% du PNB
2. Yiwu est le plus grand supermarché de gros du monde dans la province chinoise du Zhejiang
3. Les grands du BTP mondial sont (classés par le chiffre d'affaires) : (1)Vinci (France), (2)Bouygues (France), (3)China Railway Group (RPC), (4)China Railway Construction Corp. (RPC), (5)Hochtief (RFA), (6)CCCC (China Communication Construction Company – RPC), (7)ACS (Actividades de Construcción y Servicios - Espagne), (8)Kajima (Japon), (9)Ferrovial (Espagne), (10)FCC (Fomento de Construcciones y Contratas - Espagne), (11)Acciona (Espagne), (12)Eiffage (France), (13)Skanska (Suède). On connaît aussi les texans Fluor et KBR (Kellogg Brown & Root) et le californien Bechtel, grands contractants en Irak.
4. Voir les motifs du remerciement de notre excellent ambassadeur Rufin à Dakar, viré par la Carrière pour avoir dénoncé (par messages codés !) la satrapie sénégalaise du vieux Wade. Les décodages ont fuité dans la presse, et la place fut libérée.
5. Communiqué de la NDRC (Commission Nationale de Développement et Réforme) pour le 12° Plan qui débute en 2011, repris par le Quotidien du Peuple du 6 juillet 2010. Contrevaleur à aujourd'hui : 80 milliards d'euros.
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L'unité de "commandement" doit-elle être faite par l'Union Africaine sous l'impulsion du colonel Kadhafi ?
RépondreSupprimerL'Express en parle.
La dernière journée de la conférence de Kampala a éludé volontairement cette question de l'unité pour ne pas froisser la souveraineté virtuelle de nombreux états.
RépondreSupprimerKadhafi en a pris acte ! :)
Fort bien, mais pourquoi ne pas commencer par concentrer toute l'aide disponible sur l'Etat déjà le mieux placé pour accéder à la prospérité ? Cet objectif atteint, cet Etat pourrait mettre au pot pour financer le développement d'un autre, et ainsi de suite. Mais c"'est là une idée de profane, peut-être idiote.
RépondreSupprimerPas idiote. C'est la méthode de la tache d'huile, mais les projets "nationaux", quand ils ne ont pas engloutis dans les sables de la corruption endémique, atteignent des coûts faramineux car il faut "nourrir" toutes les officines nationales et étrangères créées pour les porter. Les quelques pays gérés normalement sont malheureusement les plus petits.
RépondreSupprimerL'idée de la grille panafricaine est de se libérer des états impotents et prétentieux. On peut maquiller l'ingérence sous le manteau de l'Union africaine. Mais cela reste encore une utopie à débattre dans le cadre du contrôle de l'émigration.
J'ai eu l'espoir d'un grand schéma panafricain quand Paul Wolfowitz a pris la tête de la Banque Mondiale, mais au final c'était un con, pas néo du tout.
Ce billet reste en tête des billets consultés sur RA. Etonnant, vu son âge.
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