samedi 3 septembre 2011

Renier l'État

Quatre septembre 1870, proclamation de la République à Paris. Quatre septembre demain, l'Etat de la nation la plus riche d'Europe, établie sur le plus beau des pays, a créé huit millions de pauvres. Mazette ! C'est l'Etat lui-même qui le dit et s'en désole, ce qui nous fait une belle jambe ! Si "les chiffres de la misère nous renseignent d'abord sur la misère des chiffres" selon Malliarakis, on les sait faits de grands amalgames de carottes et de navets et que ce pauvre moyen est une construction. Mais on peut au moins se fier à l'évolution de cette population statistique signalée par les mêmes paramètres : elle croît ! Je parlais justement de ça dans le train en disant à mon voisin que nos malheurs étaient anciens. Le bonheur de tous peut s'opposer au bonheur de chacun s'il s'agit pour les décideurs de faire des scores. Dépassant sa fonction première qui est l'organisation des corps constituant la société, libre chez nous depuis les Gaulois, l'Etat a petit à petit envahi la sphère individuelle et organise maintenant le cœur et le cerveau du citoyen au motif de la santé publique et du vivre-ensemble. L'homme retourne au stade du singe nu, l'Etat sait tout de lui, le guide ou le contraint. Il ne peut tenir compte que de grands agrégats et néglige chacun. Seuls les malins s'en sortent. Mon voisin hochant la tête, j'ai embrayé.

Etat-nation, la fierté de la France royale et républicaine, le concept a sacrément dévié. Etat & Nation, ces entités sont différentes par essence, leur union participe de la puissance de ce pays aussi longtemps que l'un et l'autre restent sains et d'accord. Nous en sommes loin aujourd'hui surtout du côté de l'Etat.
Une nation est avant tout du ressenti et sa définition est plutôt dans l'absence de définition même si Renan l'a faite¹. La nation française est la communion de talents, souvenirs, réflexes et défauts qui firent la renommée de cette race qui n'en est pas une non plus, mais d'acception universelle quand même et parfois d'admiration : « Français ? Ah !»
Pareil pour la nation allemande. Elle n'eut pas besoin d'Etat pour exister depuis aussi lontemps que la nôtre, et en usa beaucoup, des petits états comme des grands, jusqu'à l'avènement du Diable de Poméranie qui fut leur Napoléon. On peut les passer en revue, ces "races" d'Europe sont difficilement miscibles, même quand les souches partagent leurs racines, voir l'issue de l'idée yougo-slave. C'est comme ça. Le Danois est-il un peu norvégien qu'il se refusera d'être assimilé à un Allemand. Quoi de plus différent qu'un Italien et un Espagnol, à cause des ingérences séculaires du second ? Le Suisse est inimitable et le Belge synthétique pas moins. Le Hollandais est rat mais ne veut rien savoir de l'Ecossais. Quant à l'Anglais, prononcer le mot est déjà changer de planète.
La nation ne se résume pas au décompte des habitants du pays immatriculés à la Sécurité Sociale. Il est des résidents bien installés qui ne seront jamais de cette nation. Les croisant à Mourmansk, Bamako ou Port-Moresby, personne ne leur répondra : "Français ? Ah !" ou bien "Ha ! ha ! Deutschen, Mercedes gross panzer, yawol mein führer, ha ! ha !" c'est comme ça. Nous n'y pouvons rien. Et la souche ici n'y est non plus pour rien. A preuve, Lagerfeld Karl ; à contre-preuve, Joly Yeva ; sans preuve, Noah Yannick de Sedan ou pour preuve, Besson Yasmine, butin de premier choix à conserver dans le Projet².
Plus encore, la nation déborde largement les frontières reconnues du pays puisque nous avons des millions de compatriotes travaillant ou bullant dans des pays étrangers ou lointains, qui font partie de l'élite de la nation par leur génie propre, leur goût immémorial de l'aventure, leurs obsessions culinaires, leur réputation surfaite de lovers et ce chic indéfinissable du french kiss qu'ils cultivent pour être reconnus.

A part de la nation est l'Etat !
L'Etat est au départ l'organisation interactive des corps constituant la nation, par consensus ou par la force. La structure étatique la plus courante est la pyramide, même si la pointe est creuse comme en république. L'Etat français est napoléonien d'origine. Qu'il soit vu de l'intérieur ou de l'extérieur, il est perçu comme le fils de l'empire. On le visite à Paris de l'Arc de Triomphe aux Dôme des Invalides. Presque toutes les grandes structures étatiques françaises viennent du premier ou du second empire. C'est comme ça. Les rois ont ébauché l'Etat, l'empire l'a fait comme Sony des rêves consuméristes, la république l'a débauché. D'ailleurs, l'Etat des rois est tombé (trois fois) en conséquence de désordres sociaux intérieurs voire de simples humeurs ou rumeurs (1830) quand celui des empires, s'il est tombé lui-aussi par trois fois, fut battu par la guerre étrangère, ce qui fait une grande différence. Quant à la république, glissons, mortels que nous sommes, en 40 elle s'est chié dessus ! Pendant la rigueur le rire continue.

Ce petit rappel étant fait, on observe que l'Etat d'aujourd'hui, nourri sur la Bête comme jamais en temps de guerre dans l'histoire de ce vieux pays - mais nous sommes en paix - est en faillite (d'accord M. Fillon), et qu'en conséquence il menace la Nation de son propre écroulement. Que feriez-vous dans un château branlant en cas de tremblement de terre ? Vous en sortiriez ! Les outils de gouvernement au sens large sont devenus les adversaires de la Nation, et leur réunion dans peu de mains son ennemi mortel. A voir le nombre de défilés contre lui il devrait s'en inquiéter. Mais non, en la personne des locataires du moment il se pavane dans les lucarnes bleues et ceux qui veulent s'y loger au terme du bail font parti des rebuts de fabrique n'ayant aucune autre compétence que le verbe, préfabriqué. La pré-campagne électorale nous indique de tous bords le niveau confondant du débat, carrément enfantin. DSK montrera-t-il sa bite dimanche au balcon de la mairie de Sarcelles ? Le peuple attend sur la place de recevoir la semence du nouveau Priape.

Soyons sérieux. Ayant accumulé des dettes pharaoniques à faire la pute à l'œil, l'Etat cherche en vain aujourd'hui le guichet de surendettement sur les marchés qui le guettent, et à défaut se vengera sur ceux qu'il considère comme ses obligés, nous ! On connaît la procédure dès lors que l'épargne populaire est grosso modo du même niveau que la dette souveraine et que les appels des créanciers se feront plus pressants. Argentine quand tu nous tiens, par les joyeuses !

La nation peut couvrir "sa" dette avec du délai. C'est vrai. Le comble de la stupidité serait d'en confier le règlement à un état anthropophage comme le nôtre. Il faut que nous nous débarrassions d'abord de l'Etat, qui tel la baleine crevée sur la plage commence à empester, avant d'être tous malades, c'est à dire avant que la nation n'ait à payer sur son patrimoine et son travail non seulement les frasques propres à la social-démocratie perverse, ce qui est normal et justice pour des cigales, me direz-vous, mais encore la survie quotidienne du pachyderme à l'agonie qui va littéralement bouffer le prix du Risorgimento comme du pudding. Et comment feriez-vous, vous qui êtes si malin, me dira-t-on ?

Easy, man ! Mais c'est pas dans les livres !

Evaluons les services publics essentiels et organisons-les au niveau de chaque département, seule circonscription administrative décalquant l'Etat central à petite échelle et dotée d'expérience. Le caisses sociales sont également départementalisées (CPAM, CAF), le Trésor aussi par ses paieries, de même que la Banque de France. Ne restent hors-champ départemental que les académies de l'éducation nationale, la police, la justice, les affaires étrangères, les armées. Quatre pouvoirs régaliens, comme c'est bizarre, mon cousin. A pouvoir régalien, traitement royal.

Peu de papiers ou de rapports, mais du contact direct (c'est bien plus facile que sous Louis XIV) et des décisions propres à chaque fonction, sans traverse interministérielle. On ne tâtonne pas, on réfléchit et on ordonne. Les ministres régaliens sont à Matignon, un vice-ministre sur place actionne et gère le ministère concerné. On fait confiance jusqu'à sanction.

Les effectifs de police et de gendarmerie sont à l'étiage, comme ceux des armées, donc pas de temps à perdre en réorganisation ; on commande, c'est tout. Il faut traiter l'administration diplomatique et l'Education nationale par la clôture des embauches ; les services désertés sont fermés jusqu'au retour à meilleure fortune.
Reste à démonter l'Etat pléthorique au même moment que l'on actualise l'état départemental :

- Gouvernement de vingt techniciens à Matignon.
- Contrôle des frontières et versement d'une prime de zèle à la Douane.
- Fermeture de la Bourse.
- Blocage général des prix intérieurs et loyers. Réquisition des logements vides depuis un an.
- Dissolution de la Chambre avec rupture des contrats EDF. Mise à pied des personnels parlementaires (traitement de base maintenu) avec priorité à l'embauche en usine.
- Mise en vacances parlementaires du Sénat sine die.
- Dissolution des assemblées régionales et fermeture des préfectures de région ; personnel de la préfectorale redéployé, contractuels licenciés avec priorité à l'embauche dans le bâtiment et travaux publics.
- Fermeture des Conseils, Cours, Bureaux, Commissariats, Offices, Loges, Agences, Ligues, nationaux et régionaux, émargeant au budget général et mise en congé sabbatique de tous les effectifs titularisés jusqu'à résurrection des structures indispensables. Les effectifs des commissariats stratégiques sont versés dans les sociétés privées qui en étaient l'exécutif.
- Fermetures des ministères non régaliens avec rupture des contrats EDF. Mise à pied des effectifs ministériels avec maintien du traitement de base et priorité pour les prochaines vendanges.
- Ouverture de tous les services publics de proximité le samedi après passage au 48 heures dans la fonction publique de terrain.
- Les ministres régaliens délèguent des commissaires dans toutes les structures administratives qui leur sont subordonnées jusqu'au niveau départemental. Ils rendent compte et transmettent les ordres de Paris.
- Les décaissements publics se font en espèces.
- Le couvre-feu est établi sur toutes les communes agrémentées d'une cité turbulente.
- Dynamitage spectaculaire de l'Ecole nationale d'administration concédé à Jean-Paul Goude.
- Lancement aux chantiers de Saint-Nazaire des Liberty Ships pour le programme de recyclage des parasélites aux Kerguelen.
- Référenda d'indépendance dans tous les DOM-TOM et à Rodez.
- Pas besoin de décréter l'arrêt du pullulement des subventions si les ministères d'ordonnancement n'existent plus. Tout le monde bascule sur autofinancement ou disparaît. Ceci est d'abord vrai pour les syndicats qui se nourrissent de l'Etat pour le miner. Pour jouer franc-jeu, ils doivent appeler à cotisation.

On me dit dans l'oreillette que ça fait un peu "Révolution Nationale, nous voilà". Tant pis ! Un pays avec une histoire si riche est à la merci des duplicata. On a compris quand même qu'il faudra préalablement gagner les élections présidentielles, après que les agences de notation nous auront retiré le troisième "A", et appeler nos concitoyens à un sursaut de civisme, ce dont notre beau pays a une longue habitude.


Quelqu'un au fond de la salle m'a demandé si nous ne dépiterions pas les masses. Pourquoi le pays s'arrêterait-il ? De surprise ? Pendant trois jours. Mais la France qui se lève matin ne changera pas ses habitudes s'il y a de l'essence et du pain. Pourquoi n'y en aurait-il pas ? On se surprendra vite à constater que la destruction (quelquefois provisoire) de toutes ces inutilités n'affectent pas beaucoup la vie quotidienne des Français, même si les queues aux guichets d'assistance s'allongent dans un certain désarroi pendant une certaine période aussi difficile à prédire que le refroidissement du canon. Mais le génie gaulois est bien celui de la démerde, ceux qui ne l'ont pas prendront l'avion, ça nous fera de l'air. Le 6 mai 2012 sera-t-il ce vibrant Vaffanculo Day de la nouvelle France que nous attendons tous³ ? Rire et rêver !
Les Grecs devraient essayer ce programme et défrayer Royal-Artillerie de ses coûts phosphorants.

Il restera ensuite trois chantiers d'importance inégale qui pourront être ouverts, enfin :
- la réforme fiscale ou comment vider le Loch Ness.
- la réforme du ministère de l'Education nationale. Fukushima, à côté c'est Playmobil...
- la concertation la plus large sur un modèle institutionnel nouveau, exempt des miasmes mortels de la social-démocratie de masse, adapté au nouveau projet français - car il en faudra un pour que ça marche -, un modèle qui fonctionne à moindre coût.
J'ai mon idée. Vous aussi. On en reparle ? Cessez votre rire niais ! Je vous téléphone.

J'entends dans ma rue les cornemuses de Sainte-Anne s'approcher et les galoches des blouses blanches monter déjà l'escalier. Il est temps de fermer Ubuntu !


Notes :
(1) Charles Maurras, qui parlait souvent de la nation, avait une formule saisissante : le gouvernement des vivants par les morts.
(2) Le Projet pour la France, déjà exposé sur ce blogue, se concentre dans la recherche d'une puissance économique par tous moyens. On y reviendra encore.
(3) Le Vaffanculo Day est une initiative de l'amuseur public italien Beppe Grillo pour écarter des prébendes républicaines tous les repris de justice par un référendum d'initiative populaire. Il recueillit 336144 signatures en 2007 largement plus que les 50000 requises, mais en dépit des textes, la Nomenclatura classa le projet qui renvoyait 25 députés dans leurs foyers sans compter les procédures en cours. La seule manif de Bologne du 8 Septembre 2007 réunit 50000 personnes (cf. V-Day).

8 commentaires:

  1. Lu sur le blogue de Turgot ce matin, à propos du frein aux privatisations exercé par les fonctionnaires grecs :
    "Le moteur de la crise actuelle réside dans la volonté farouche des administrations publiques de maintenir un important niveau de sujétion sur les économies, quoi qu'il en coûte aux populations. On en revient encore une fois au coeur du problème : les Etats providentiels doivent être réduits massivement, non seulement par le renoncement à toute dette, mais également par des baisses d'impôts. Et contrairement à ce que certains prétendent, ce ne sont pas les privatisations mais bien les hausses d'impôts qui provoqueront le chaos."

    Nous ne sommes donc pas vraiment seul !

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  2. Peut-on être jugé coupable d'avoir lu ce billet ? Dans l'ambiance suffocante actuelle, je me pose la question.
    Emile

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  3. No problemo ! RA a rentré 2 caisses d'oranges.

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  4. Le discours de François Fillon en clôture ce dimanche de l'UDT marseillaise de l'UMP était très bien.
    Par l'impossibilité démontrée d'appliquer ses bonnes idées depuis quatre ans on touche du doigt l'inefficacité de ce régime, quelque soient les retouches à la marge.
    C'est le sytème qui est pourri, plus que les hommes finalement.

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  5. L'Etat dans ses pouvoirs régaliens ! Et c'est tout !

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  6. Dans le champ de la société, il y a aussi gabegie consentie puisque la dette sociale (Sécu, etc...) est de 136 milliards, ce qu'aucun pays au monde n'accepterait. Entendre le silence parlementaire sur le trou de 30 milliard de la Sécu confirme que les travées du Palais Bourbon sont garnies de bouffons. Il n'y a pas que l'Etat que vous dénoncez qui est pourri, la société aussi !
    E.G.

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  7. Dans un billet du 23 septembre, l'avocat général Bilger dit à propos de l'allégeance aux armes ceci :
    "Au coeur de ces démarches, de ce volontarisme qui souhaite mettre l'amour de la patrie dans les têtes et les coeurs à coup de décrets, d'obligations et d'injonctions, il y a la croyance fausse mais confortable en ces temps de bouleversement que c'est à la société de se plier peu ou prou aux ordres de l'Etat, qu'il revient aux citoyens de s'adapter à ce que le pouvoir exige. L'honneur d'être français ou de le devenir est un sentiment qui devrait naître spontanément et, faute de le voir surgir, les autorités, comme on dit, auraient le devoir de le créer. C'est une illusion. Ce formalisme qu'on prétend imposer est bien plus la marque d'une faiblesse, un procédé de colmatage que l'expression d'une nation sûre d'elle."

    L'Etat-maître, c'est ce qu'il faut empêcher !

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  8. Certains commencent à trier torchons et serviettes, comme nous le faisons depuis quelque temps. L'Etat n'est pas la Nation, ni l'inverse :

    Atlantico : Quel est votre ressenti sur le problème grec à l’heure actuelle ?
    George Contogeorgis : La responsabilité incombe à la classe politique. Elle est la cause de la crise, c’est elle qui a adopté des pratiques en faveur de son appropriation de l’État et de l’acceptation de la corruption. Elle est celle qui a conduit la société grecque dans l’impasse et la crise actuelle. Si on veut évaluer le problème, il faut tenir compte de la nécessaire distinction à opérer entre État et Société.
    L’UE et la Troïka n’ont pas tenu compte de cette distinction entre classe politique - qui domine l’État - et Société.
    (Atlantico full size)

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