I./ Le réflexe monarchique déçu (1799-1870)
A la fin du XVIIIè siècle et malgré la saignée et les dévastations de la Révolution, la France atteignait son apogée. Elle était respectée jusqu’au Nouveau Monde, enviée et crainte dans l’Ancien. Libéré de la gangue des conservatismes, le pays se lançait dans la réforme de ses institutions à la rencontre du progrès et vu de nos jours, semblait dans la meilleure posture possible pour affronter la révolution industrielle qui allait se déclencher.
Royaume dans sa chair malgré les Lumières du siècle finissant qu’elle n’avait pas lues, la France de « Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Tocqueville, Diderot, … » allait se jeter dans les bras d’un jeune dictateur, fondé de pouvoir d’une bourgeoisie avide de jouir. Celle-là, fiévreuse de conserver durablement les captations diverses que les évènements tragiques avaient mis à la portée de ses serres, n'avait pas d'autres soucis que l'enrichissement à outrance, la vêture, les fourrages et la remonte de guerre furent d'excellentes occasions comme cinquante ans plus tard l'épopée du chemin de fer. Le peuple qu’on avait usé à l’envi au succès du dépeçage des castes anciennes, le peuple qui pataugeait il y a peu dans le sang, ce peuple souillé était une fois encore bon d’engagement.
Le dictateur qui connaissait bien à la fois la force de la nation et son enracinement monarchique se fit empereur, sans rire. La France se mettait à contre-pied de sa stratégie traditionnelle qui était depuis l’avènement des Capétiens, d’agréger et d’assimiler des territoires pour aboutir au pré carré d’un seul tenant, riche et puissant. Au lieu de quoi l’Empire de par son essence, tendait à confédérer sous ses jeunes abeilles des pays divers, distincts, parfois éloignés, peuplé souvent de gens incompréhensibles. Or le mouvement impérial n’appartenait pas à la tradition française. Des empires subsistaient encore en Europe, qui ne pouvaient supporter la concurrence effrontée d’un nouvel empire libertaire dans son discours, intégriste dans sa loi. L’empire français provoqua la guerre.
La France y sacrifia une génération de géants. A la fin du régime qui n’avait duré que quinze ans, le pays appauvri, saigné à blanc et écoeuré de l’odeur du sang, ne savait pas qu’il devrait abandonner toute ambition à l’avenir, et quand bien même en aurait-il, qu'elle se dissoudrait comme le sel dans l’eau. Tout irait mal désormais. Le peuple avait devant lui cent trente ans de désordres et de peines.
Quinze ans de restauration ne pouvaient rebâtir les cœurs et les esprits. On donna finalement le sceptre au roi des affaires qui passait par là sans titre ni programme, car il était temps de s’y mettre, aux affaires. On entreprit de coloniser une terre étrangère à la nôtre en tous points, l’Afrique du nord, dans le meilleur style des plantations caraïbes, et on y déporta les effectifs du peuple qui remuaient le plus à s’agacer des conditions dans lesquelles on le faisait suer sur la machine. Jusqu’à ce que la situation devienne intenable. Le régime sauta comme les précédents, on savoura sa liberté, peu de temps finalement.
Le réflexe monarchique reprit le dessus mais celui qui répondit à l’appel n’avait pas dans ses gènes « le principe » correspondant aux attentes profondes de la nation. Le peuple fut à nouveau gouverné au meilleur rendement possible, et la dispute reprit avec nos voisins qu’on assurait déjà de nos arrogances, l’Empire second se croyant détenteur d'une vérité politique universelle et unique, le droit des autres à disposer d'eux-mêmes. L’Empire, impossible à greffer en France, encore une fois provoqua la guerre à mille lieux de chez lui, retournant les empires centraux et se démarquant clairement comme une menace à tout changement qu’il n’accepterait pas ailleurs et chez lui.
Or pour son malheur, une ambition politique urgente faisait sortir des brumes du Nord un stratège politique de première force, appuyé sur la meilleure armée du moment, qui entendait créer son empire à lui aussi. Un empire ethniquement pur (déjà!) et unicolore.
La chance du peuple français au moment du choc, fut cette fois que son armée était une armée de métier, de professionnels, qui dès lors que la caisse à sable leur eut montré l’inévitable défaite, capitula sur le champ* avant que quelque hurluberlu ne décide la levée en masse qui prolongerait l'effort en pure perte, et l'éloignerait d'autant du commerce des plaisirs auxquels elle s'était accoutumée.
(*) Plutôt dans ses fortifications avant qu’on ne l’affame.
De lointaines réminiscences libertaires permirent quand même de rejouer une pièce cent fois donnée depuis, pièce qui consomma encore du populaire en quantité, celui de Paris cette fois. Jusqu'à la paix des cimetières.
Le pays amputé d’un quart et puni d'un tribut onéreux qui allait permettre à son adversaire de commencer sa propre révolution industrielle, le pays allait se calmer pour quarante ans.
Sauf dans les usines à labeur, ce fut la Belle Epoque sur le pont-promenade. Le peuple, lui, ne savait pas que le pire était devant.
(à suivre)
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