III./ Vae Victis (1941-1980)
Dès la capitulation sans conditions (la deuxième en soixante dix ans), la France abasourdie par l’effondrement de sa puissance et l’invasion germanique allait ne survivre que du souvenir de sa grandeur éteinte.
Elle n’aurait plus jamais sa liberté d’entreprendre dans les domaines stratégiques, attelée ou dételée du char commun de l’Occident selon les circonstances, les hommes qui la dirigeraient, l’humeur des partenaires. Et pour commencer la France était ruinée, matériellement et moralement. Ne lui restait qu’un empire colonial qu’elle n’avait plus le goût ni les moyens de gérer, et dont elle n’attendait que des contributions à son propre relèvement sans contreparties. En moins de vingt ans, cet empire en faillite et anachronique aux yeux de ceux qui finançaient le relèvement de notre nation, serait liquidé. Le premier pays d’Europe, autrefois mère des arts, des armes et des lois, avait été plié en 140 ans par la république des Lumières et ses avatars impériaux et fascistes.
Le réflexe monarchique, ou gaulois, allait jouer une fois de plus et l’on porta au pouvoir le hérault émigré de la Résistance qui était rentré dans les fourgons américains et jusqu’ici n’encombrait pas ses discours triomphants des sacrifices énormes consentis par les nations alliées dans la libération de l’Europe continentale et de la France en premier.
Vint l’époque de la reconstruction, et celle des récompenses (!). Bien que les efforts des uns et des autres dans la guerre achevée aient été plus que mesurés –on s’était beaucoup appuyé sur nos troupes coloniales pour paraître sur les fronts qu’ouvraient nos alliés - on décréta d’une part le pays indiscutablement « résistant », et l’on marqua d’autre part le début de la fin de l’épopée nazie à la bataille de Stalingrad ! Aux dogmes du Front Populaire, à ceux de l’Etat Français, allaient succéder maintenant ceux de l’âne gaulliste et du bœuf communiste qui tireraient le char de l’état, à hue et à dia, le premier, biffant d’un trait les raisons et les conséquences du désastre, le second, promettant le bonheur terrestre à ceux qui le rejoindraient les yeux fermés, sans poser de questions sur les « maladresses » du géant soviétique.
Soit qu’il fut déçu de ne point recevoir les pleins pouvoirs en hommage – mais allait-on donner cette fois le bâton de maréchal à un général de brigade, insurgé politique, soit qu’il fut las de guerroyer dans les allées parlementaires qu’on avait rendues à la circulation, le Général décida de rendre le sceptre de papier et se retira sur l’Aventin de sa Lorraine brumeuse pour y attendre qu’on le supplie.
Le pays désorienté qui avait noyé ses lâchetés dans l’Epuration ne croyait plus qu’en l’Amérique. Celle-ci aidera à la reconstruction de l’Europe, et sa générosité sera visible par tous. Quand il fallut le remettre au travail, on s’avisa de compenser les pertes en important une main d’œuvre moins disante pour fouiller nos mines, vendanger nos vignes, ériger en plein vent des cubes de béton pour loger le peuple des bidonvilles et à l’occasion se battre à notre place dans nos lointaines possessions.
Peu à peu on laissa le peuple s’habituer à coloriser les activités professionnelles se réservant celles qui donnaient outre les meilleurs salaires les pensions les plus sûres. Les travaux réputés inintéressants furent laissés aux étrangers, et l’amélioration du niveau de vie par le progrès favorisa l’accroissement de ces secteurs seconds, appelant ainsi à augmenter le nombre des acteurs importés. Les gouvernements comme les industriels ne firent rien pour remédier à cette culture du travail facile ou noble, et laissèrent les gens s’accoutumer à la pénibilité des travaux nègres. Cette aisance à répartir les tâches entre ceux de l’intérieur et ceux de l’extérieur aboutira un jour au culte du non-travail et au déclin moral qu’il ouvre. Mais on n’avait pas atteint encore ce seuil d’abandon bien qu’on s’en approchât dans l’insouciance et l’oubli des leçons subies.
Protégée par les oeillières d’une société convenue et déjà stratifiée, la jeunesse était conviée dès le collège à l’admiration des pays neufs (!), ceux qui allaient finir le siècle aux premiers rangs de la fortune obligatoire, avec à leur tête l’Union soviétique. Décrite si formidablement que les stratèges qui présidaient à la sécurité de la France conclurent à l’imparabilité du choc qui ne tarderait pas, se pressant d’organiser à l’avance cette fois la submersibilité de la résistance de la nation dans un concept lu et mal compris des théories maoïstes qui faisaient alors florès. Cette incongruité militaire jamais envisagée depuis deux mille ans par la « Mère des Armes », la patrie des dragons de Noailles, celle de la furia francese, ce bricolage indigne de la mémoire de nos pères, prit le nom de Défense Opérationnelle du Territoire (DOT) ; et bien qu’elle sonnât creux comme une cloche en tôle de zinc, elle emporta la décision du général le plus altimétrique et capricieux que le pays s’était choisi dans des circonstances troubles sur lesquelles le blogue reviendra un jour, de ne plus nous défendre sur l’Elbe avec nos alliés contre la menace grandissante du Pacte de Varsovie, mais de les lâcher cette fois encore en quittant le commandement intégré de l’OTAN dans le pur style du supplétif indigène parti rejoindre ses frères menacés, et de s’enterrer chez soi, en attendant qu’ils changent d’idées (nos alliés) et qu’ils reviennent nous sortir de l’enfer que nous aurions une fois de plus provoqué.
A la même époque et pour bien faire passer le message à nos alliés ahuris, le Général dotait nos armées et surtout son cabinet présidentiel du détonateur nécessaire à la manœuvre de secours obligatoire qu’il exigerait d’eux quand même. Ce dispositif de contrainte de nos alliés s’est appelé force de dissuasion pour faire illusion dans les bars tabacs. On sait aujourd’hui qu’il n’aurait dissuadé personne et transformé notre pays en Sahara noir.
Dès cet instant, le monde anglo-saxon retirait pour toujours sa confiance à la France ; et selon les circonstances allait œuvrer inlassablement à son abaissement, en ne faisant pas mystère qu’il nous retirait en même temps son parapluie nucléaire.
Par bonheur il n’arriva rien de grave sur le théâtre d’opérations européen jusqu’à l’implosion de l’empire soviétique que personne aux affaires chez nous n’avait prédit, mais les hallucinations de grandeur du Très-haut laissèrent le peuple français exposé, vulnérable et passible d’une totale vitrification pendant vingt-trois ans.
Ce peuple à l’occasion traité de « veaux », et gouverné comme une satrapie persane, applaudira bientôt à la divine surprise de sa jeunesse en révolte, jusqu’à mettre à la retraite d’office le flambeau de son honneur soi-disant regagné, qui l’en avait défié.
Notre vocation universelle enterrée, on ne parla plus que de modernisation, de rattrapage, de laissés-pour-compte, de canards boiteux, de défi américain, bref on réarmait enfin moralement pour faire face à la guerre économique qui pointait son nez chafouin dans la nouvelle communauté européenne et atlantique.
L’heure était à la jeunesse. Après un fondé de pouvoir de banque qui ne jurait que par l’art abscons et les assonances dites contemporaines, le pays se choisit en fanfare un président de 48 ans seulement qui lui jouait de l’accordéon à la télévision. Pour la première fois depuis le temps des rois de France on levait sur le grand pavois un chef d’état jeune. Il portait dans ses gènes quelque chose de Louis XV dont il disait parfois descendre par les chambres de bonnes. Il finit par le croire, transforma le palais en château et sa fonction en pharaon absolu.
Le ridicule de ses exigences – il prétendait être l’unique chef d’état des réunions européennes, les autres n’étant à ses yeux que des chefs de gouvernement, et exigeait en conséquence des égards particuliers -, le ridicule ne le tua point. Il n’est resté de son septennat que trois réformes majeures, la Marseillaise en si-bémol, l’heure d’hiver, le regroupement familial des étrangers sur notre sol. La révolte inopinée des pays pétroliers arabes l’ensevelit. Une affaire de diamants bruts reçus d’Afrique tassa la terre de sa tombe politique. Le peuple vacciné aux lendemains qui chantent se détournera des mânes de Pharaon. Et tombera bientôt du côté de la mauvaise pente. Sic transit gloria mundi.
(à suivre)
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