Le Vent Cosmique nous parlant de l'autodestruction des petits anthropoïdes que sont les hommes ...:
"Ces confrontations qui se terminent tantôt en affrontement, tantôt en complicités, celles-ci souvent mêlées de ceux-là, sont l'étoffe de votre destinée qui, au demeurant, serait fort terne si la couleur n'en était rehaussée par quelques hommes.
Ces individus, je les pousse sur la scène quand le moment est venu. On parle de leur bonne étoile, on devrait parler plutôt de leur bon vent. Le choix de l'heure est délicat. Il faut que le besoin soit senti avec assez de précision pour que l'apparition comble une attente et assez confusément pour qu'elle demeure une surprise. Ce dosage me cause bien des soucis. Il me faut éviter à la fois les présences prématurées et les tardives. Précurseurs et épigones sont sacrifiés à celui que je mets en place à la minute favorable.
Ces hommes poussés par moi, quels que soient leur race, leur métier ou leur époque, ont un trait commun : c'étaient, ce sont, ce seront des hommes naïfs, je veux dire des hommes qui s'étonnent, chaque jour, de voir se lever le soleil, qui, chaque jour, le voient se lever pour la première fois. Cette fraîcheur d'âmes de corps les met à part du troupeau. Leur regard est plus vif, leurs mouvements sont plus aisés. Ils ont la simplicité active du premier homme dans le premier jardin.
Les montagnes surveillent les plaines et les maintiennent. Ces hommes, eux, sont peu visibles. Ils ne sont pas dans des lieux élevés. Ils ne se cachent pas. Se cacher, c'est encore une manière de se faire voir. Ils circulent au milieu de la foule et nul ne les remarque. Ils ne se remarquent pas eux-mêmes. Ils ont autre chose à faire. Et puis, un jour, ils disent quelques mots et ce sont les mots que tous attendaient. Ces mots vivent de leur vie propre. Souvent, on ne se rappelle plus qui, le premier, les a prononcés.
Quand je plane, paisible, au-dessus des vallées, je suis, parfois, assailli par des essaims de mots. Cela bourdonne, crie, vocifère. Quand j'en ai assez, je me déchaîne et les bouscule vers la mer qui reçoit tout. Ils font encore un peu de bruit, puis se disloquent avant de se percher sur les vagues, en compagnie des mouettes. C'est leur murmure qu'entendent les marins perdus dans le brouillard. Ces voix chuchotantes ne sont pas, comme ils le croient, celles de leurs camarades noyés, c'est l'écume des cités, des discours des Grands, des colloques des savants, des récriminations, revendications, promesses, remémorations, contestations, adjurations, interpellations. Tout cela se dissout dans l'eau et le sel et laisse moins de traces sur le sable qu'un coquillage ou une algue.
Les mots importants, les mots qui comptent ne se diluent pas ainsi."
Quelle belle évocation du Verbe de la Providence dite en termes païens !
Le texte est le plus déjanté que je n'ai lu cette année, l'auteur quelque "Dernier des Mohicans" de la Métamorphose. Le livre, à l'écriture fulgurante, décoiffe malgré la minceur de la trame par l'abolition de toute frontière au délire, avec un certain bonheur des expressions.
Que reste-il à la fin dans "l'épave de mon rêve" comme il le dit si bien ? Le bonheur d'avoir rencontré le (défunt) "Berger des Nuages" (publié à la NRF, 1982), premier des Capétiens dans l'ordre strict de primogéniture mâle, toute autre considération mise à part; homme d'une rare distinction privilégiant une grande liberté de ton, et la liberté tout court.
Jacques de Bourbon Busset (1912-2001) descend de Robert de France, seigneur de Bourbonnais, lui-même sixième fils de saint Louis, et qui établira la maison de Bourbon. La lignée des Busset est originaire de l'évêché de Liège quand en 1464 naquit Pierre de Bourbon, baron de Busset, fils naturel de Louis de Bourbon, Prince Évêque de Liège, et de Catherine d'Egmont, régente de Gueldre.
Jacques de Bourbon Busset, qui pour ses supporters (malgré lui) était Jacques Ier de France, après une vie bien remplie d'honneurs mérités, décèdera d'un accident dans le métro parisien. Il a eu deux fils, Charles et Jean-Louis qui transportent avec eux le rêve bussetiste. Dans le catalogue de ses citations, nous relèverons celle qui nous mortifie :
« Penser contre a toujours été la façon la moins difficile de penser. »
Pour finir nous laissons la parole à Jean-François Revel qui fit l'hommage au cher disparu sous la Coupole en sa séance du jeudi 10 mai 2001.
"Le confrère qui vient de nous être enlevé en succombant aux suites d’un incroyable accident était illustre à plus d’un titre. Jacques de Bourbon Busset était illustre d’abord, bien entendu, en raison de son talent d’écrivain. Et c’est ce qui prime sans aucun doute sur tout le reste dans cette Compagnie dont la raison d’être est l’activité de l’esprit. Son œuvre riche et abondante va du roman (il obtint d’ailleurs le Grand Prix du Roman de l’Académie en 1957, bien des années avant d’y être élu) jusqu’à des essais philosophiques ou critiques et à un Journal qui ne compte pas moins de dix volumes. Jacques de Bourbon Busset était illustre ensuite par sa ligne généalogique, qui remonte jusqu’au plus respecté de nos rois, celui qui, par son caractère exemplaire, sut se rendre digne de la canonisation. Illustre enfin par les responsabilités qu’il exerça dans l’État. D’abord, comme directeur du cabinet de Robert Schuman de 1948 à 1952. Il fut donc de ceux qui contribuèrent à la naissance et à l’entrée dans un début de réalité de la grande idée du dernier demi-siècle : ce qui devait devenir l’Union européenne. Puis, en 1952, il est nommé directeur des Relations culturelles avec l’étranger, poste essentiel pour le soutien et le renforcement des lycées, instituts et alliances, alors beaucoup plus nombreux qu’aujourd’hui, qui dispensent dans le monde entier notre langue, notre littérature et la connaissance de tous les autres aspects de notre civilisation.
Il renouait ainsi en quelque sorte avec une première vocation universitaire. C’est en partie cette première vocation, sans aucun doute, qui donnait à cet ancien élève d’Alain un souci et un sens aigus de l’exactitude de la langue, des termes, des tournures, donc des idées qu’ont pu admirer ici même tous les jeudis les membres qui ont siégé avec lui à la Commission du Dictionnaire, et j’ai eu l’honneur de ce plaisir.
Car, Jacques de Bourbon Busset, ancien élève de l’École normale supérieure, licencié et diplômé d’Études supérieures d’Histoire, ce qui n’est pas indifférent pour comprendre certaines facettes de son œuvre, opte, en 1939, pour la carrière diplomatique. Il est reçu au Grand Concours du Quai d’Orsay. Mobilisé peu après comme lieutenant d’infanterie, il montre un courage qui lui vaudra la croix de guerre avec palme, après plusieurs années de captivité et plusieurs tentatives d’évasion.
On se demande souvent si un désir d’écriture est authentique ou non, si c’est une forme d’ambition ou un aveu d’échec. Dans le cas de Jacques de Bourbon Busset, le choix a été clair. Il était dicté par cette morale du désintéressement qu’enseignait notre grand prédécesseur Henri Bergson, quand Jacques de Bourbon Busset était lui-même étudiant. En effet notre regretté confrère démissionna de la fonction publique alors qu’il venait d’être nommé ministre plénipotentiaire et qu’il pouvait donc légitimement aspirer aux postes les plus importants et aux ambassades les plus prestigieuses. Il y renonça ayant pris la décision de se consacrer à la seule création littéraire.
Outre un amour conjugal qui parcourt et nourrit en filigrane toute son œuvre, la spiritualité religieuse tenait une place considérable chez cet homme de lettres doublé d’un homme d’action. Sa foi profonde ne se grevait cependant d’aucun sectarisme. Il était la discrétion et la tolérance mêmes. Le recevant dans cette Compagnie le 28 janvier 1982, notre confrère Michel Déon citait dans sa réponse cette phrase du nouvel académicien : « L’hésitation, l’indulgence, le manque de sectarisme que je me reprochais m’apparurent comme l’essence même de mon esprit et tout devint facile, un peu trop. »
Fort bien dit. Mais Jacques de Bourbon Busset, recevant lui-même neuf ans plus tard José Cabanis, commentait ainsi un aphorisme d’André Gide : « Choisir, c’est renoncer. » Il en disait : « Si on ne renonce à rien, on ne préfère rien, on ne fait rien, on n’est rien. À quoi sert d’être libre pour rien ? Nos choix nous créent et nous libèrent. »
Par le rapprochement de ces deux pensées, nous comprenons, grâce à lui, que la tolérance n’est pas incompatible avec la conviction ni la conviction avec la tolérance. Tout au contraire, elles n’existent l’une que par l’autre, l’une que grâce à l’autre. Elles s’impliquent réciproquement. La tolérance sans conviction est sans objet. La conviction sans tolérance est sans avenir.
C’est là l’une des leçons principales de l’œuvre de Jacques de Bourbon Busset. Elle nous le rend, et elle nous le fera demeurer à jamais, très cher dans notre souvenir."
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