Présence de l'absence, ce nom se murmure parfois, et parfois se crie comme une insulte. C'est un sésame de dispute dans la querelle dynastique française. On vous explique ici pourquoi.
Emmanuel de Godoy y Alvarez de Faria naquit à Badajoz le 12 mai 1767. On ne rapporte aucun phénomène cosmologique ou sismique. C'était le fils d'un colonel de l'armée espagnole, à l'éducation soignée. Plusieurs ancêtres de Godoy appartinrent aux ordres militaires de Santiago et de Calatrava, comme deux de ses frères ensuite, l'un devenant même "Maître" de ces deux ordres.
A 17 ans, Emmanuel de Godoy fut nommé dans les Gardes du Corps à Madrid comme son frère; celui-là même que le roi Charles III exilera de la cour pour ses avances exagérées à la princesse des Asturies, Marie-Louise. Un jour d'escorte de la sérénissime princesse sur le chemin de Ségovie, le cheval de Manuel se cabre et le jette au sol. Après une sainte colère, il remonte aussitôt, attirant par son éclat l'attention du prince et de son épouse. A 21 ans, il est présenté officiellement aux princes des Asturies (titre porté par l'infant d'Espagne comme aujourd'hui). Doué d'une belle conversation et d'un minois séducteur, il s'attirera l'affection et l'amitié de Charles et de Marie-Louise.
In 1788, Marie Louise est dans sa 37ème année. Certains la disent gracieuse, élégante, mais peu attrayante, un peu légère et même arrogante, jusqu'à avoir carrément gâché la vieillesse de Charles III au palais. L'ambassadeur de Russie qui ne l'aimait pas, la trouva jaunâtre et édentée sans doute à cause de ses nombreuses maternités et fausses couches.
Le prince des Asturies accède au trône le 14 décembre 1788 sous le nom de Charles IV. Le 30 du mois, Godoy est nommé cadet surnuméraire au palais. En mai 1789, il devient colonel de cavalerie, en novembre, chevalier de Santiago, en août 1790, commandeur de l'Ordre, en février 1791, aide de camp, mars, gentilhomme de la cour, juillet, lieutenant général et grand-croix de Charles III. Mais ce n'est pas fini, en 1792, il reçoit le titre de duc d'Alcudia avec la grandesse d'Espagne, en novembre, la Toison d'Or et au printemps de 1793, le commandement en chef. Il a vingt-six ans. Suivront les titres de duc de Sueca, marquis d'Alvarez, sieur de Soto de Roma. En la circonstance, fulgurant est un qualificatif faible !
Les relations amoureuses entre la reine et Godoy seront de notoriété publique au point de lui attribuer la paternité des infants François de Paule et Isabelle, future reine de Naples, que la belle-maman aura plaisir à insulter comme une "bâtarde épileptique engendrée par le crime et le mauvais oeil". Ces calomnies retentiront jusqu'à aujourd'hui dans la querelle dynastique française puisque la branche aînée des Bourbons est issue de François de Paule, par la primogéniture généalogique suivante :
Philippe V (1683-1746) fils de Louis Grand Dauphin le fils de louis XIV - Charles III (1716-1788) troisième fils régnant du précédent - Charles IV (1748-1819) fils du précédent - infant François de Paule (1794-1865) fils du précédent (le fils de Charles IV, Ferdinand VII n'aura que des filles) - François d'Assise (1822-1902) fils du précédent - Alphonse XII (1857-1885) fils du précédent - Alphonse XIII (1886-1941) fils posthume du précédent et prétendant au trône de France à la suite du décès du comte de Chambord - Jacques (1908-1975) fils du précédent - Alphonse (1936-1989) fils du précédent - Louis Alphonse (né en 1974) fils du précédent, désigné comme Louis XX par les légitimistes français.
En 1789 éclate la Révolution française ! Le premier ministre de Charles III toujours en poste, Floridablanca, ferme les frontières pour arrêter la propagation des idées sulfureuses et menace clairement la Convention. Quand Louis XVI est emprisonné, il déclare la Convention responsable de la sécurité de la famille royale, aggravant ce faisant leur cas. Et dans un grand élan de moralité, il accuse par devant Charles IV, la reine et Godoy de relations prohibées. En janvier 1792 il sera renvoyé et jeté en prison. Il finira ses jours chez lui, à Murcie. Lui succèdera Aranda, ancien premier ministre de Charles III, ami de Voltaire et de certains révolutionnaires français. Il reconnaîtra la République française dès que Louis XVI sera destitué, en échange de quoi il obtiendra de la France qu'elle reconnaisse la neutralité espagnole dans le conflit européen en cours.
Le reine en profite pour obtenir sa destitution afin de le remplacer par ...... Godoy qui prend ses fonctions le 15 novembre 1792. Selon toutes probabilités, Marie Louise compensera de la sorte la nullité politique de Charles IV, avec son probable consentement.
Godoy suivra la ligne de neutralité et tentera de sauver la famille royale de France, mais en vain. A l'exécution de Louis XVI, Charles IV enverra à la Convention une lettre que celle-ci jugera inconvenante, lui déclarant aussitôt la guerre. Les Bourbons devront-ils quitter leur trône usurpé ? La libération du peuple le plus magnanime d'Europe sous le meilleur des climat gagnera-t'elle la partie ? C'est bien ce qui se disait alors en Espagne quand le général Ricardos meurt à la porte de Perpignan. Aranda tentera de stopper l'offensive espagnole, arguant de la pusillanimité de Charles IV et de Godoy. Au sortir du Conseil, il s'entendra dire par Charles IV: "Au service de mon père vous fûtes effronté et têtu, mais n'étiez jamais allé jusqu'à l'insulte". Il sera embastillé dans la nuit. La France regagnera le terrain perdu et entrera en Espagne jusqu'à Miranda de l'Ebre. Pour stopper l'invasion, Godoy signera en juillet 1795 la paix de Bâle pour échanger les territoires conquis par les Français contre l'île de Saint-Domingue. Godoy en retirera personnellement le titre de "prince de la Paix". C'était la première alerte, l'Europe redessinait ses frontières.
Le 18 août 1796, Godoy s'allia à la France par le traité de San Ildefonso, stipulant que l'Espagne conserverait la Louisiane tant que la Grande Bretagne n'aurait pas rétrocédé Gibraltar, et déclara aussitôt la guerre à l'Angleterre. Hélas la défaite de l'escadre au cap Saint-Vincent en février 1797 brûlera son projet et ce n'est pas la perte du bras de l'amiral Nelson devant Santa Cruz de Tenerife qui l'en consolera.
La situation économique désastreuse tant de l'Espagne que de la Grande Bretagne obligera les belligérants à déposer les armes. Les relations de Godoy avec le Directoire dès lors se renforceront.
A cette époque, Godoy fera donner à son amante de longue date, Pepita Tudo, les titres de comtesse de Castillofiel et de vicomtesse de Rocafuerte. Certains parlèrent d'un mariage secret célébré le 22 juin 1797 au Prado. Pepita, orpheline d'un artilleur, avait vécu depuis l'âge de seize ans dans la maison de Godoy, en compagnie de ses deux soeurs et de sa mère, à la suite d'une réclamation que cette dernière était venue faire un jour, contre la lenteur de sa pension de veuve. Deux garçons naîtront de cette liaison, Manuel en 1805 et Louis en 1807. A 90 ans passés, Pepita confiera à un publiciste que Godoy n'avait jamais connu qu'un amour éternel et désespéré : la reine Marie-Louise.
Le roi cependant lui avait choisi pour épouse, Thérèse de Bourbon et Vallabriga, la fille de l'infant Don Louis comte de Chinchon, cousine de Charles IV et future comtesse de Chinchon. C'était fait pour qu'il rompe bien sûr avec la Pepita !
Le 5 septembre un décret autorisera le mariage de Godoy. Ce mariage était le fait du prince. Les époux se détesteront immédiatement ! Selon l'ambassadeur allemand, après avoir reçu la dot de cinq millions de réaux par son mariage avec Thérèse, Godoy eut l'audace d'installer chez lui Pepita Tudo en lui laissant la meilleure place à ses côtés, que les circonstances fussent publiques ou privées. Dès les premiers mois, les invités des Godoy durent souvent ravaler leur gêne de partager la table avec Godoy, son épouse Thérèse et Pepita sa maîtresse ! Le futur ministre Jovellanos en fut témoin.
En 1797 celui-ci entra au Conseil pour le portefeuille de la Justice, en même temps que Saavedra prenait l'Economie. Tous les deux cherchèrent à faire sortir Godoy du Conseil. Dans une discussion à propos d'un simple camp militaire de la frontière portugaise, Charles IV finit par suivre Saavedra et renvoya Godoy qui remit sa démission formelle le 28 mars 1788. Le roi avait succombé aux pressions du Directoire et de la reine Marie-Louise qui entre-temps avait changé d'amant.
Le roi continua tout de même à honorer son ami Godoy :"Manuel, prend soin de toi, parce que nous avons besoin de toi, parce que tu es le seul ami que nous ayons, et que nous t'aimons comme depuis toujours".
Godoy fut donc remplacé par Saavedra, qui lui-même démissionnera en août 1798, juste après Jovellanos, à cause de l'anarchie qu'à tous les deux ils avaient provoquée. On les remplaça par Urqijo qui était passé aussi par les draps de la reine, rousseauiste, anticlérical et ancien protégé d'Aranda, qui suivra tranquillement les directives du Directoire.
Mais le 9 novembre c'est le coup d'état à Paris (18 brumaire). Bonaparte qui méprisait Urqijo, nomma ambassadeur en Espagne son frère Lucien avec pour mission de gagner Charles IV et Godoy à sa cause. Urqijo proteste; il est renvoyé le 13 décembre 1800 et emprisonné à Pampelune. Godoy refusa le poste mais fit nommer une de ses relations politiques comme premier secrétaire, Pedro Cevallos, qui dirigera dans cette fonction tout le quotidien du gouvernement de Madrid. Charles IV amusé lui dira :"C'est mieux comme ça, Manuel, si c'est un parent, tout restera en famille!"
Mais il est des contempteurs du pouvoir qui s'agitent dans l'ombre. Depuis 1789 déjà, Goya était peintre de la cour, mais sur recommandation de Godoy qui lui avait acheté les Maya ainsi que sa collection de "Bizarres", et qui avait même pris soin d'étudier le langage des signes pour communiquer avec lui, il devint le 31 décembre 1799, premier peintre de la cour. Goya était passé par le lit de la duchesse d'Albe avec laquelle il partageait une haine solide de Marie-Louise, jusqu'à mettre son art au service de la "ridiculisation" des souverains d'Espagne. La duchesse reçut un jour de ses informateurs à Paris, les modèles de costume que la reine entendait porter; aussitôt fit-elle faire les mêmes pour elle et sa suite de demoiselles d'honneur, afin de parader au Retiro ou rue de Alcala à Madrid. Quelques mois plus tard, le palais de Liria, résidence de la duchesse brûlait, elle avec. Elle "s'éteignit" à 29 ans, le 23 juillet 1802. Les commérages madrilènes allèrent bon train à l'encontre de Godoy et de Marie-Louise qui l'auraient dit-on empoisonnée, la privant ainsi de réactions.
En 1800 naquit Charlotte Louise (+1886) fille de Godoy et de Thérèse. Les souverains viendront de l'Escorial pour assister au baptême célébré par le grand Inquisiteur en personne dans les appartements royaux. On la décora de l'ordre de Marie-Louise, réservé d'ordinaire aux infants d'Espagne. La reine qui s'était entichée d'elle jusque pendant son exil à Rome, essaiera de la marier à son fils François de Paule. Ce qui contredirait en passant la rumeur publique sur la paternité douteuse de François de Paule. Charlotte enfant, Thérèse dira d'elle :"Je déteste cette créature qui par sa seule présence me fait souvenir que mon mari est son père!". La reine ainsi la protégeait.
En 1801 Pedro Cevallos et Lucien Bonaparte (d'ordre et pour compte de Godoy et Napoléon) signèrent trois pactes et lancèrent un ultimatum à Lisbonne. Par lequel, en échange du royaume d'Etrurie pour le beau-fils du roi, l'Espagne s'accommodait des exigences françaises d'invasion du Portugal, au motif qu'il refusait de fermer ses ports aux Anglais dans le cadre du Blocus continental décrété par Bonaparte. La guerre du Portugal reçut le nom de "guerre des oranges" par une lettre de Godoy à la reine dans laquelle il racontait : "Les troupes m'ont donné du jardin de Yelves deux rameaux d'oranger que je mets aux pieds de la reine".
Ainsi Godoy prendra le commandement des troupes qui envahissent le Portugal le 16 mai 1801, pour 48 heures seulement, le temps de recevoir des Portugais leurs implorations de paix. Godoy la signera sans le consentement de Napoléon dont les intentions étaient d'occuper militairement le Portugal. L'Espagne annexera la forteresse d'Olivenza et la France une partie de la Guyane.
En 1802 ce fut la Paix d'Amiens avec l'Angleterre. L'Espagne perdait Trinidad et recouvrait Minorque. La France vendit la Louisiane aux Etats-Unis d'Amérique en oubliant le droit de préemption de l'Espagne. C'est alors que Godoy et Marie-Louise interceptèrent une lettre de Napoléon à Charles IV dans laquelle il était dit sans ambages que "le vrai roi d'Espagne c'est Godoy, qui d'ailleurs est l'amant de la reine". Ils rapportèrent la lettre chez l'ambassadeur français et se rendirent chez le roi, lui indiquant au passage que la couronne d'Espagne ne devait donner aucune suite aux injonctions éventuelles d'un infâme tyran. Le 11 octobre 1803 l'ambassadeur se présente devant Charles IV avec la fameuse lettre de Napoléon. Le roi la prend et conclut immédiatement l'audience. Napoléon après une violente colère, s'estimera floué par Godoy et Charles IV.
1805, le 5 octobre. Les Anglais surveillent plusieurs bateaux espagnols revenant du Pérou pour se joindre à l'escadre française. Le 21, c'est Trafalgar et la consécration de la suprématie britannique sur les mers, et la fin de la liberté de navigation des flottes espagnoles. L'Espagne est abattue. Le prince des Asturies, Ferdinand, commence à réunir autour de lui les déçus de la politique Godoy, et son professeur Escoiquiz ira jusqu'à créer une parti de propagande avec l'unique objectif de discréditer Godoy et les souverains. Des affiches seront publiées, certaines réalisées par Goya, montrant les souverains et Godoy dans des postures obscènes. Marie-Louise écrivit à Godoy : "Ma belle-fille est une vipère et une grenouille à l'agonie (elle mourra de tuberculose l'année suivante)".
Après la mort de sa femme, Ferdinand accusant Godoy d'indignité, écrira à Napoléon le suppliant de lui trouver une princesse de son sang comme seconde épouse. Godoy révèlera alors la haine que lui portait Ferdinand et demandera pour lui-même la régence du Portugal. Le 27 octobre 1807, au traité de Fontainebleau, le Portugal sera partagé entre la France, l'Espagne et ... Godoy qui récupèrera le sud avec le titre de "roi des Algarves", se mettant ainsi à l'abri de toutes rétorsions de la part du successeur de Charles IV, le futur Ferdinand VII. Le Portugal fut envahi par les Français et les Espagnols. C'est à ce moment-là que Godoy apprit que Napoléon envisageait de mettre son frère Joseph sur le trône d'Espagne.
La décomposition de la monarchie espagnole était à son comble. Tous les espoirs nationalistes se tournèrent vers le prince des Asturies. Le 28 octobre 1807 à l'Escorial, à la demande de la reine, Godoy étant retenu par la maladie à Madrid, le roi fit irruption dans les appartements de Ferdinand, et explosa de rage en découvrant les preuves d'une conspiration, puis ordonna les arrêts de rigueur pour le prince. Quand Godoy lui rendit visite quelques jours après, Ferdinand lui sautera au cou en pleurant: "Manuel, Manuel, sauve-moi de grâce !". Il écrira ensuite à son père le roi s'accusant d'avoir manqué à ses devoirs et implorant son pardon et la permission de lui baiser les pieds. Se défendant d'avoir projeté la mort de son père, d'avoir demandé l'aide de Napoléon, et montrant ici la bassesse qui anima tout son règne à venir, il dénoncera tous ses complices conspirateurs: Escoiquiz, Infantado, Orgaz, Ayerbe, et jusqu'à sa défunte épouse. Le roi pardonnera, et dans un jugement en forme de farce d'opérette, acquittera tous les prévenus.
Le 22 décembre, de nouveaux contingents militaires français pénétrèrent en Espagne sans la permission du gouvernement espagnol. Le 1er février 1808, Junot prit la régence du Portugal au nom de l'Empire français.
En mars 1808, Murat arrivait aux portes de Madrid. Ferdinand pensa qu'ils lui apportaient la couronne. Alors Godoy qui avait compris, tenta de faire partir les souverains et la cour vers le Mexique. Le 15 mars, la cour quitta l'Escorial vers Séville, et le 16 s'arrêta à Aranjuez. Le bruit courait la ville que Godoy avait vendu le pays à Napoléon afin d'empêcher Ferdinand d'occuper le trône. La rumeur était soutenue par les partisans du prince jusqu'à provoquer ce que les historiens appelleront "l'émeute d'Aranjuez". Godoy alla au palais pour raconter les folles rumeurs à Charles et Marie-Louise. Paternellement, Charles lui dira: "Dors en paix cette nuit; je suis ton bouclier, mon Manuel, et je le serai toute ma vie". Godoy sur ces entrefaites à qui il ne fallait jamais en promettre, passera toute la journée de l'émeute dans le lit d'une dame dont l'histoire a tu le nom jusqu'à nos jours.
Mais le 17 mars, la populace dirigée par les partisans de Ferdinand monte à l'assaut de la demeure de Godoy. Ils n'y trouvent que Pepita, sa femme Thérèse effrayée et sa fille. Au lieu de les attaquer, on les tranquillise leur faisant croire qu'on était venu pour les délivrer. La foule les accompagne ensuite au palais royal, criant "les innocents ont la vie", "la colombe innocente vit". Marie-Louise les accueille et blâme au passage Thérèse de n'avoir jamais été une vraie mère. A partir de cette nuit, les souverains prendront soin personnellement de leur chère Charlotte, tandis que Thérèse s'enfuira à Tolède chez son frère le cardinal-primat.
Le 19 au matin, on trouve Godoy caché dans sa demeure et il est aussitôt transféré au quartier des Gardes du Corps au milieu d'une volée de coups non retenus. Devant cette situation insurrectionnelle, et peut-être aussi pour sauver la vie de Godoy, Charles IV abdique alors au bénéfice de son fils qui devient Ferdinand VII.
La première décision du nouveau roi sera la confiscation de tous les biens de Godoy, et son emprisonnement au château de Villaviciosa de Odonis, propriété de son épouse, héritière de son père, l'infant Don Louis.
Le 21 mars 1808, Murat débarque à Aranjuez et Marie-Louise lui demande l'aide de Napoléon. L'Empereur ordonnera la libération de Godoy et son transfert en France, à Bayonne. Quatre jours après l'abdication Charles écrivit à Napoléon que son abdication était feinte au vu des circonstances. Napoléon le convaincra de venir le voir à Bayonne. Godoy sera libéré du château de Villaviciosa par Murat le 10 avril. Murat décrira la scène à Napoléon: Godoy sans chemise, sans vêtements ni soin d'aucune sorte, une barbe longue et mauvaise, pieds nus, certaines plaies non encore refermées. Napoléon ordonna que Godoy lui soit amené à Bayonne. Un peu effrayé que son père ne parle à Napoléon avant lui, Ferdinand VII fonça sur Bayonne où il arriva le 20. Godoy arriva le 26, l'impératrice Joséphine le 27, les souverains le 30, Pepita et toute sa famille le premier mai. On a là le spectacle le plus honteux qu'ait jamais donné la monarchie espagnole, une reddition en masse.
Au souper donné par l'Empire, avant que Charles ne déconsidère son fils félon, Napoléon lui cria: "Vous n'êtes qu'un malfaisant, un animal !". La reine ira jusqu'à demander à l'empereur de fusiller le Ferdinand pour arrêter les émeutes. "Elle semblait un momie à moitié défaite" notera Joséphine avec perfidie. Le 2 mai, Murat court à Madrid récupérer le reste de la famille royale, à travers une foule massée devant le Palais royal, appelant au soulèvement contre les Français.
Charles IV abdiquera finalement le 5 mai 1808 en présence de Napoléon, lui cédant le royaume d'Espagne et ses propriétés en propre, contre le château de Compiègne, le château de Chambord, et une pension viagère, qu'il ne recevra jamais. Le 6 mai, Ferdinand, ignorant l'abdication de son père, abdiquera lui-même en faveur de Charles IV. Et Napoléon donnera finalement le royaume à son frère Joseph, et nommera Urqijo au gouvernement. Le 5 mai, l'Empereur aurait dit à Ferdinand: "Prince, choisissez entre l'abdication ou le trépas, ici même". Celui-ci n'hésita pas plus longtemps que la nuit.
Le 9 mai, Charles IV, Godoy et leurs familles prirent la route de Fontainebleau. Ils seront transférés le 19 juin chez eux à Compiègne. Le 4 octobre ils descendront à Aix-en-Provence et le 24 s'installeront à Marseille pour quatre ans. Marie-Louise y sera accusée à tort d'avoir dérobé les bijoux de la couronne ! Le 18 juillet 1812, ils arrivent au terme de l'exode et s'installeront au palais Barberini à Rome.
En avril 1814 la guerre espagnole de libération se termine sur la retraite des Français. Ferdinand VII débarque à Madrid en provenance de Valençay où il était retenu depuis le 16 mai 1808. Il maintint l'exil de ses parents et de Godoy, duquel il soudoya les domestiques pour être tenu au courant de ses faits et gestes. Le 1er octobre 1814, Charles IV abdiqua une troisième fois en faveur de son fils Ferdinand VII, contre la modeste somme de huit millions de réaux. Ferdinand obtiendra du pape l'exil de Godoy et de Pepita (famille comprise) à Pesaro sur l'Adriatique.
Premier mars 1815, de retour d'Elbe, Napoléon débarque à Antibes !
Murat son beau-frère marche sur Rome. Charles et Marie-Louise épouvantés s’enfuient à Vérone où ils rejoindront Godoy et Pepita, lequel demandera à l'ambassadeur d'Autriche de les accueillir tous à Vienne. Mais Ferdinand informé par ses sbires les en empêchera. Après Waterloo, les souverains retournèrent à Rome avec Pepita et ses enfants, mais Godoy dut retourner à son exil de Pesaro.
En septembre 1815 les souverains demandèrent au pape l'annulation du mariage de Godoy afin qu'il puisse épouser Pepita. Marie-Louise témoignera en faveur de Godoy qui reviendra à Rome le 7 octobre après la levée du décret d'exil. Pepita et sa famille seront envoyées à Gênes pour sauver les apparences mais ses domestiques appointés par Ferdinand VII la feront découvrir, jusqu'à ce que la police soudoyée les chasse. Il en sera de même à Livourne. Elle s'établira finalement à Pise en 1817. Ferdinand VII se persuadera que le trésor royal avait été dérobé par Marie-Louise, Godoy et Pepita, et non pas engagé par Joseph Bonaparte pour couvrir ses dépenses de guerre. Il réclamera aussi un diamant en forme de poire appelé "La Perilla" que la reine avait donné à Godoy. Ainsi Pepita sera-t'elle soumise à un très vif interrogatoire de police la sommant de répertorier consciencieusement les biens dont elle disposait à Pise. Pepita, rusée sous son visage lisse, sut leurrer tout le monde. Un rapport de basse police établi plus tard à Paris en 1831, à l'époque où elle et Godoy séjournaient à Paris, fit état de bijoux portés par elle et estimés à la valeur de quatre millions de francs, ainsi qu'une mise en gage d'autres bijoux pour cautionner l'achat d'un hôtel particulier, d'une maison de campagne, en sus de quoi il fut noté qu'elle aidait pécuniairement certains compatriotes démunis.
En mars 1818 le plus jeune fils de Pepita et de Godoy mourut, tandis que le roi Charles avait attrapé la malaria. En octobre ce fut Godoy qui attrapa la malaria et Charles comme Marie-Louise se succédèrent à son chevet. Bien que libre-penseur, Godoy reçut l'eucharistie et l'extrême onction. Et il se rétablit.
Charles fut une nouvelle fois informé par des envoyés de Ferdinand VII de la liaison amoureuse entre la reine et Godoy, ainsi que de sa paternité douteuse sur Isabelle et François de Paule. Charles ira à Naples prendre les conseils de son frère Ferdinand IV, roi des Deux-Siciles, pour dénoncer les dispositions testamentaires en faveur de Marie-Louise, et pour faire annuler son mariage par le pape. Mais à Rome Marie-Louise attrapa une pneumonie qui l'emportera après plusieurs jours d'agonie le 2 janvier 1819, au cours desquels elle ne se séparera pas de Godoy. A sa fille Louisette elle dira quelques minutes avant son dernier soupir : "Je pars, je te laisse Manuel. Sois sure que toi et ton frère Ferdinand le roi d'Espagne ne trouverez jamais autant d'affection".
Charles écrivit dès le 7 janvier à Godoy qu'il était peu convenable pour un septuagénaire tel que lui de cohabiter avec une adolescente comme Charlotte. Il décida de faire à Charlotte une pension et demanda à Godoy de quitter le palais Barberini avec sa fille. Le 14 janvier, Charles fut pris de diarrhée et cinq jours après mourut à Naples de dysenterie. Ferdinand VII interdit le retour de Godoy et de sa famille à Madrid et parvint à leur supprimer toutes leurs pensions. Il empêcha aussi Charlotte de se marier avec plusieurs prétendants, mais elle prit tout le monde de surprise et se maria quand même le 8 novembre 1821 avec le prince italien Camilo Ruspoli. Plus tard ses oncles qui régentaient l'Espagne l'autorisèrent à rentrer, mais pas Godoy.
En 1828, Thérèse devenue comtesse de Chinchon, mourut à Paris. Le 7 février de l'année suivante Pepita et Godoy décidèrent de se marier. Le 11 avril toute la famille de Godoy s'installa à Paris. Le 29 septembre 1833 Isabelle montait sur le trône d'Espagne sous le nom d'Isabelle II en rupture de la loi salique rapportée par les Cortès (en 1789 et 1830), ce qui déclenchera la révolte carliste, "pour l'honneur". Godoy vit dans ce tumulte l'occasion de recouvrer tous ses biens et y parvint.
En 1836, Godoy publia enfin ses mémoires, respectant ainsi la promesse faite à Charles IV de ne pas le faire du vivant de Ferdinand VII. A cette époque Pepita débarqua elle aussi à Madrid pour récupérer ses biens propres.
Elle avait laissé à Paris avec Godoy, son fils de Manuel et ses petits-enfants, et ne les reverrait jamais plus. Le 31 mai 1847, le gouvernement de Joaquin Francisco Pacheco publia un décret réhabilitant Emmanuel de Godoy. Celui-ci, abandonné de tous, mourra le 4 octobre 1851 à Paris dans l'indifférence générale. Son corps sera déposé en l'église Saint-Roch, puis transféré au Père-Lachaise où il demeure aujourd'hui.
Manuel Godoy a laissé sa marque sur l'Espagne plus que ne le firent les rois Charles IV et Ferdinand VII. Il gouverna dans l'esprit des Lumières, supprima la censure, laissa entrer les ouvrages de l'Encyclopédie, mit des limites aux activités de la Sainte Inquisition, et autorisa le retour des Juifs dans le royaume. L'héritage culturel et éducatif de Godoy est important : création de l'Ecole Royale de Médecine, création du Corps des Ingénieurs et Cosmographes, écoles vétérinaires, écoles des sourds-muets, école de bijouterie, observatoire astronomique; il encouragea les publications et expéditions botaniques jusqu'à créer un musée de l'hydrographie et un grand jardin botanique. En outre il établit pour la première fois les règles d'exercice de docteurs et des pharmaciens. Un bel et grand homme d'état que le duc d'Alcudia !
Si d'aventure son acide désoxyribonucléique courrait dans les gènes des Bourbon d'Espagne, on pourrait considérer que ce fut un apport bénéfique, d'aucuns diront rénovateur.
Les faits relatés proviennent le plus souvent de Boadilla del Monte et de diverses biographies qui ont permis de croiser certaines dates.
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