L'année européenne de la France s'achève dans la confusion de la République qui accumule maintenant les causes d'un déclin inéluctable de notre nation en l'état présent des forces qui l'enserrent.
Rejeté par une Europe qui lui reproche de se cramponner becs et ongles à des privilèges désuets qui obèrent les productions de l'intelligence, seules chances de l'Occident à moyen terme, ridiculisé par une insurrection générale des quartiers pauvres qu'il aura fallu un mois à réduire, humilié par la mise en cause de ses soldats en mission sur les théâtres extérieurs d'opérations, abandonné par un président diminué et indolent, l'Etat français doit annoncer en plus sa déconfiture financière à la face du monde.
Désormais nos élans, nos projets, nos bonnes idées, seront freinés par notre impécuniosité et par le défaut de crédit que nous feront sentir nos partenaires habituels. Comment avons-nous pu atteindre et franchir ses limites, alors que nous nous faisions la réputation d'un peuple éduqué, admirablement sensé, juste et courageux ?
Nous avons péché par orgueil.
Nous avons péché par idéologie.
Nous avons péché par cosmopolitisme.
L'orgueil de notre diplomatie qui a décidé de se mesurer au gouvernement de notre allié de référence. C'est d'ailleurs beaucoup dire, nous n'en n'avions qu'un, ayant réussi jusque là à trahir tous les autres, les plus faibles en premier. L'orgueil de nos armées dont la dernière prise de contact avec la guerre remonte à la première guerre du Golfe, mais qui se targue d'une supériorité morale indiscutable dans ses opérations post-coloniales. Un officier de chasseurs alpins français - ce qui est la crème de la crème - se conduire comme un Tigre bosno-serbe sur une route de Côte d'Ivoire, c'est inouï ! L'orgueil de notre président, incapable d'aligner trois mots sans les lire, mais prompt à couper la parole aux nouveaux venus de l'Est, qui désormais nous débinent, prenant langue directement outre-atlantique.
L'idéologie soviétique même francisée est en train de couler le pays comme il en est advenu du grand frère russe. Notre modèle social que notre PIB est incapable de financer, prend l'eau de partout. Et les nomenklaturas nombreuses, retranchées dans la forteresse de leurs intérêts particuliers, entendent bien que toute la nation ait crevé d'abord, avant de se remettre, par force, elles-mêmes en cause. Peut-être se partageront-elles les défroques de l'Etat défunt comme elles l'ont fait en URSS !
La générosité de nos systèmes de pensions, l'exploitation par des professions libérales d'un système étatique de soins, l'universalité du filet social, le prix modique du système éducatif complet, tous ces avantages pris comme acquis, sont intenables dans un pays sans rente d'aucune sorte, ligoté par une administration jalouse de tout succès hors de son sein, et subissant sans réelle préparation l'orage de la mondialisation. Ces principes sont encore considérés comme intangibles, faisant partie des valeurs de la République qu'il faut à tout prix sauver, même à l'agonie, y compris en ruinant par avance les générations futures, et en bradant le capital national non soumis à concurrence étrangère comme les autoroutes.
Le goût cosmopolite des Français a pu traduire un temps leur ouverture d'esprit sur le monde, et l'aventure impériale que l'on critique aujourd'hui, y contribua fortement. La France s'est de la sorte enrichie dans les domaines des sciences, de la littérature et des arts. Mais cette convivialité naturelle a été détournée par les administrations au nom des valeurs précitées sans s'indigner aucunement que ces préférences "étrangères" distribuées en quantités innombrables, piétinaient les droits élémentaires des nationaux. Que n'a-t-on pas édicté comme lois et programmes facilitant l'immigration de populations nombreuses, attirées par un niveau de vie ou même de survie, incomparable à celui qu'on leur assure chez elles. La France, et bien de nos voisins aussi, a été ciblée comme le guichet du père Noël à compte ouvert. Ces asiles politiques, économiques, ou complices, furent distribués sans mesurer l'impact sur le futur, et ceux que le filet ne retenait pas, étaient régularisés plus tard pour maintenir la paix sociale et essuyer les larmes des âmes généreuses (à condition que l'Etat se charge de tout). Or ce pays n'est pas un pays d'immigration, car il n'y a plus un seul arpent de terre à mettre en valeur, plus une seule livre de charbon à extraire, plus de barrages à construire. Tous grands travaux si tant est que nous puissions nous en offrir encore, sont faits à la machine. Au bout du compte, nous avons laissé s'accumuler des millions de déracinés que nous sommes bien incapables d'assimiler, ou simplement d'intégrer, parce que le schéma fondamental de la République s'y oppose, tout simplement. On comprend bien que le communautarisme prôné par les spécialistes est le nom chic de l'Apartheid.
Si les trente dernières années ont vu passer aux commandes de grands serviteurs de l'Etat, on s'aperçoit vite que l'hystérie démocratique attisée encore plus par le quinquennat, a chaque fois interdit les améliorations structurelles de cet Etat que l'on sentait enfler sous nos pieds. Le loto national est devenu le loto électoral. Les programmes les plus racoleurs dont on n'appliquera que les chapitres les plus spectaculaires en termes d'image, feront florès. En 1980 la classe politique se disputait sans vergogne autour d'un schéma marxiste. La démagogie qui ouvrit les portes du grand bazar national sous le président Giscard, allait faire rage pendant un quart de siècle, laissant à la fin - nous y sommes - le citoyen hébété.
Tout se fait aujourd'hui à la course. On monte les marches des perrons en courant, les idées de même. L'administrateur zappe aussi vite que l'électeur. On fait, on défait sans autre but à atteindre que celui de la prochaine consultation. On parle beaucoup, trop bien sûr jusqu'à passer la moitié de son temps dans la co-mu-ni-ca-tion !
Ce brouhaha finit pas s'accorder en fréquence, dès que les élites ressentent l'urgence de défendre l'idéologie républicaine qu'ils estiment menacée. Ils ont le complexe de l'assiégé depuis 1875, personne ne peut expliquer pourquoi. Ces élites se battent de plus pour des cadavres. Elles défendent par exemple la démocratie parlementaire dans un pays qui a réduit son parlement à l'état de casernes de pompiers, d'où se lancent à la demande, les enquêtes, groupes de réflexion ou comités de surveillance dès que l'Opinion a détecté dans les média un dysfonctionnement de notre société. Pléthore de dysfonctionnements, pléthore d'experts, groupes et comités. Ca tourne au gag. Les mêmes défendent la séparation des trois pouvoirs, en s'inquiétant un peu du quatrième qui semble assez rétif, maintenant que les ponts inférieurs du navire sont noyés.
Des trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, nous venons de dire que le second est mort. La séparation d'avec le troisième est sans doute la plus hypocrite. Quinze ans de lutte anti-corruption n'ont rien donné chez nous. Deux caissiers politiques ont été légèrement condamnés : Emmanuelli à gauche et Juppé à droite. Le reste, d'amnisties en non-lieux, s'est sorti des tracas jusqu'à revenir même dans les cabinets ministériels. Notre classement dans le tableau international de corruption est assez "bon" !
Quant à l'exécutif, il est au main d'un satrape qui veut gérer l'ordinaire et n'y parvient plus, forcé de cohabiter à nouveau avec un premier ministre ambitieux.
La France s'arrachera-t-elle à son déclin ?
Peut-être pas. A moins de changer de régime dans le but de libérer ce qui lui reste d'énergie pour rebondir. Ceci passe par le démontage patient de l'Etat actuel et de ses métastases locales. L'autorité en haut, les libertés en bas. Et une vue à long terme de l'intérêt de la nation, préservée des soubresauts d'une opinion blasée forcément pusillanime car depuis trop longtemps échaudée. Il faudra convertir les élites à la pérennisation du pouvoir.
Ceux qui savent choisiront le roi.
Tous nos voeux de santé mentale et physique pour la période agitée qui s'annonce.
BONNE ANNEE 2006