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Aux Suisses de la Garde

"Invictis pax per vitam fortes"
"sub iniqua morte fideles"

C'est la phrase qui orne la plaque helvétique à la mémoire des Suisses massacrés à Paris par les Révolutionnaires de 1792 et que le maire a refusé de voir visser au mur de la Chapelle Expiatoire. Certains ont l'élégance rabougrie par le racolage démocratique, d'autres font très naturellement le singe du Pont au Change, celui-ci est de ceux-là.

La garde suisse du roi de France date de Charles VIII qui créa les Cent-Suisses en 1497. Formés de mercenaires volontaires, elle fut reconnue rapidement comme une unité d'élite sur laquelle on pouvait appuyer la sûreté de l'Etat. Charles IX l'étoffa en la portant à la valeur d'un régiment, puis ses successeurs conservèrent l'idée. Louis XIII pérennisa le régiment de gardes suisses en 1616 et si l'unité des Cent-Suisses fut dès lors chargée de la sûreté intérieure du palais, le régiment participa aux campagnes militaires de la monarchie avec bravoure et réussite.
Au XVIIIè siècle, les missions des bataillons se limitèrent au service de garde. Les officiers étaient tous de haute lignée, recrutés dans le patriciat helvétique et certaines charges étaient transmissibles à leurs héritiers. Les soldats étaient braves, bien soldés et disciplinés. Casernés à Versailles, Rueil et Courbevoie, les mercenaires qui étaient de "beaux partis" finissaient souvent par s'intégrer à la population française à la fin de leur temps relativement long. On y perçut d'ailleurs l'écho des mêmes fermentations d'opinion quand, au seuil de la Révolution, le 2è Bataillon travaillé par une propagande politique soutenue, finit par se mutiner en août 1789 ouvrant la porte à la désertion des moins endurants psychologiquement. Mais la fidélité au serment reprit vite le dessus et le corps se reforma pour assurer ses missions au service de la maison du roi.

Nous sommes à l'été de 1792. La fuite à Varennes est déjà vieille d'un an, mais ses conséquences désastreuses pour l'image populaire du roi fusent comme une mèche lente sous les fondations de la monarchie. La famille royale et sa maison sont "séquestrées" depuis lors au palais des Tuileries sous la surveillance du peuple. La guerre a été déclarée à l'Autriche le 20 avril, et les esprits s'échauffent, d'autant que l'Autrichienne n'a pas la cote parmi la populace. Les souverains disposent bien de leur maison militaire, mais celle-ci n'a pu ou su empêcher l'humiliation du 20 juin 1792 quand les Sans-Culottes vinrent coiffer le roi du bonnet rouge et lui firent boire un verre de pinard à la santé du peuple.
Juillet. La patrie est en danger. Le 15 juillet sur les bords du Rhin, le duc de Brunswick qui commande l'armée prussienne, promet de «livrer Paris à une exécution militaire et à une subversion totale si la famille royale subissait le moindre outrage». La menace entraîne un sursaut patriotique. Les mouvements de volontaires traversent la France et montent vers Paris. L'indécision naturelle du roi est vite prise pour de la connivence avec l'étranger. Toutes les rumeurs de désastre attisent la fièvre ambiante et une commune insurrectionnelle se déclare à l'hôtel de ville. Il n'est ni plus ni moins question que d'arracher le pouvoir exécutif à la monarchie constitutionnelle. Sans-Culottes et Fédérés des provinces marchent sur les Tuileries précédant l'émeute qui gronde et grossit.

Mis en défense correctement, le palais peut tenir contre l'insurrection populaire armée pour l'instant de bric et de broc. Gardes nationaux et gardes suisses sont à leur poste; ces derniers montrent la résolution sereine de soldats professionnels. Ils disposent de tout suffisamment, de presque tout. Mais l'irrésolution de Louis XVI le conduit à suivre le conseil des sirènes de panique qui l'engagent à courir sous la protection de l'Assemblée législative. Louis XVI passe en revue les troupes désormais sous le commandement de La Chesnay depuis que le marquis de Mandat s'est rendu à l'Assemblée sur convocation de Danton qui l'y fera exécuter. La Chesnay n'est pas un "guerrier". Le roi obèse se déplace lentement et ne semble pas inquiet. Selon l'usage, les Suisses et les gardes nationaux fidèles crient : «Vive le roi !» Mais les artilleurs et le bataillon de la Croix-Rouge crient de leur côté : «Vive la Nation !». L'objet du serment de fidélité mythique abandonne sa garde en lui ôtant une arme indispensable dans la dotation, l'enthousiasme. C'est à partir de ce moment que la royauté va s'effondrer sur elle-même, inexorablement, en quelques heures.
Quelle idée a bien pu traverser la tête du roi pour mettre sa famille en sûreté dans l'enceinte parlementaire, alors qu'il disposait en son palais des Tuileries de la force ? Les historiens ont tous des réponses circonstanciées et atténuantes. Il n'est que de dire de ce roi, pétri de qualités, de science et de bonté, qu'il avait un défaut rare dans la dynastie : il n'était pas militaire, et pratiquement non-violent. Cela finira par coûter cher au pays qui lui se vautrera dès lors dans une violence inouïe. Comme allait le crier Bonaparte à son ami Bourrienne chez qui il buvait ce jour-là une pinte : «Les misérables ! On devrait mitrailler les premiers cinq cents, le reste prendrait vite la fuite !».
Mais c'est le roi qui s'enfuît, dégarnissant ce faisant le palais de deux compagnies de suisses pour sa garde rapprochée qui ne lui servira à rien. Hésitations, trahisons, bravoure, héroïsme, sauvagerie, tout va passer aujourd'hui. Laissons la revue Mégapsy nous raconter le reste, en accélérant un peu sa narration.

Les insurgés sont estimés à dix mille tout au plus. La porte de la Cour Royale, on ne sait par quel ordre, s'est ouverte devant l'avant-garde de l'insurrection composée des Marseillais, des Fédérés bretons, de Gardes nationaux des Gobelins, de canonniers du Val-de-Grâce, tous conduits par Westermann qui gesticule sur un petit cheval noir. Ils arrivent jusqu'aux grilles qui forment le vestibule du château en criant aux défenseurs «Frères, rendez-vous, venez avec nous » Ils mettent en même temps en batterie six pièces abandonnées sur les côtés de la cour. Quelques Suisses jettent leurs cartouches par les croisées. Un certain nombre de gendarmes se retirent, au cri de « Vive la nation ! »
Bien encadrés, habitués à une discipline stricte, la plupart des Suisses, quoique le départ des deux compagnies qui ont accompagné la famille royale à l'Assemblée les ait fort réduits, sont encore capables de résistance. Certains sont aux fenêtres avec des gentilshommes volontaires, d'autres ont été massés sur les marches du grand escalier qui descendant des appartements et de la chapelle débouche dans le vestibule. Protégés par une espèce de barricade, le fusil en joue, ils attendent l'attaque.
La horde de Santerre s'est avancée au pied de l'escalier. L'alsacien Westermann, en allemand, parlemente avec les Suisses. Recourbant leurs piques dont ils font des crochets, des insurgés attirent quelques gardes par leurs buffleteries. Les officiers suisses commandent alors de tirer. Un feu bien réglé prend en enfilade cette masse grouillante où chaque coup fait plusieurs victimes. Dès la première décharge les morts jonchent le pavé; les survivants fuient à toutes jambes vers la porte Royale. Cent vingt Suisses, conduits par les capitaines Dürler et Pfyffer, s'emparent de quatre pièces de canon, déblaient la cour et, pénétrant dans le Carrousel, tirent à mitraille sur les Marseillais, peloton de tête des insurgés. Fauchés presque à bout portant, ceux-ci évacuent la place.
Mais le gros de l'émeute, les forces des faubourgs, arrive en colonnes par le quai. Vers dix heures, ce qui reste des Marseillais a rejoint et la bataille recommence. Les Suisses dès lors sont entre deux feux. Ils manquent de munitions. Les insurgés les repoussent avec des pertes sévères et, cour après cour, les forcent à se replier sur le château.
L'Assemblée, avertie par plusieurs émissaires, suit les péripéties de la lutte dans une extrême agitation. Dans son désarroi, elle use son temps en résolutions vaines. Elle met la sécurité des personnes et des propriétés sous la sauvegarde du peuple de Paris ! Elle envoie des commissaires pour « calmer » le dit-peuple. Tout cela au bruit de la mitraille. Des gardes nationaux armés entrent et annoncent faussement du reste - que le «château est forcé ». La foule pénètre à leur suite dans l'Assemblée, criant à la trahison des Suisses, à la perfidie du roi.
Louis XVI, pressé par de nombreux représentants d'arrêter le massacre, écrit deux lignes sur un bout de papier: « Le roi ordonne aux Suisses de déposer à l'instant les armes et de se retirer dans leurs casernes. » Le maréchal de camp d'Hervilly s'offre à porter ce billet aux Tuileries. Il se réserve d'ailleurs d'en faire « l'usage qu'il jugera le plus avantageux », c'est-à-dire qu'il ne le transmettra que si les Suisses ont vraiment le dessous. Ce d'Hervilly commandera plus tard l'expédition de Quiberon. Nu-tête, sans armes, d'Hervilly se glisse à travers les rues et court jusqu'au Carrousel. Habits bleus et rouges confondus jonchent le sol. Une fumée épaisse emplit les cours. Au mépris des balles, d'Hervilly rallie les Suisses et veut d'abord continuer la résistance. Mais les patriotes ont déjà envahi le château par la galerie du Louvre. D'Hervilly constate, et exhibe alors l'ordre du roi. Il fait battre la retraite par les tambours qu'il peut trouver. Une partie des Suisses gagne le jardin et arrive au Manège, ayant perdu au passage la moitié de son effectif. D'autres qui sont restés à l'intérieur du château s'y défendent avec un tranquille héroïsme jusqu'au complet épuisement de leurs munitions. Après quoi ils sont égorgés.
Un petit détachement, marchant en bon ordre sous un feu terrible, parvient à gagner la place Louis XV (la Concorde). Là les Suisses sont entourés par la gendarmerie à cheval ralliée aux émeutiers, conduits à l'Hôtel de ville, interrogés vaguement et massacrés. Partout où ils tombent, la plupart des cadavres sont dépouillés et mutilés avec un acharnement obscène par d'affreuses harpies dont les premières sont apparues aux 5 et 6 Octobre et qui vont accompagner désormais chaque « journée » de la Révolution. Les émeutiers à cette heure ont conquis le château. Ceux des aristocrates, des serviteurs du roi qui n'ont pu fuir, sont tués et jetés par les fenêtres. Ne survivront que quelques femmes de la reine et quelques gentilshommes qui seront conduits à la prison de l'Abbaye.


Le roi, la reine et le petit dauphin vont partir pour le Temple après avoir erré dans Paris. La monarchie s'est effondrée sur sa Garde !

In memoriam.

Commentaires

  1. Bonjour !
    Une suggestion, veuillez tirer une salve de tourelle de 380 pour chaque victime de la garde royale.
    Puis entonnons un requiem à la mémoire et au repos de ces braves parmi les braves.
    Honneur et foi !
    Pour Dieu et pour le Roi !

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