samedi 28 janvier 2006

Le Dragon des Cimes

Si vous parlez de Wang Tchouk au dîner de l'ambassadrice, vous éveillerez l'intérêt de votre voisin qui mastique le canard domestique à l'orange avec de vulgaires repères sarkoziens, et vous parviendrez à lui ravir l'attention de la belle Shéhérazade aux yeux de biche qui buvait ses paroles. Parce que Wang Tchouk c'est exotique et sérieux à la fois. Cent fois mieux que le vivarium politique français.

La presse britannique pourrait l'appeler le dragon des cimes mais faute de s'être levée à l'heure, nous déposons le titre nous-même et vous narrons toute l'histoire.
Jigmé Singye Wang Tchouk eut en 1987 cette formule choc : "Je suis plus intéressé par le Bonheur National Brut que par le Produit National Brut". L'homme vit dans un pays d'escaliers grand comme la Suisse, qui sur une distance de 150 kilomètres monte de 300 à 7000 mètres. 680 000 sujets seulement mettent en valeur ce royaume tropicalo-himalayen qui se développe à un rythme soutenu tant en économie qu'en démographie. Je vous parle du roi du Bhoutan.

Monarchie absolue depuis 1907, la Terre du Dragon Tonnerre dispose d'un gouvernement composé de plusieurs ministres et d'une assemblée nationale de 150 membres ainsi que d'assemblées villageoises (depuis 1981) et de districts plus récemment. Ce sont des forums où les Bhoutanais font part de leurs propositions et où sont expliquées les décisions gouvernementales.
Parmi celles-ci, on relève une volonté de se démarquer courageusement du mercantilisme mondial triomphant. Le roi a proscrit le tabac nocif pour la santé, comme il a décidé de protéger son peuple constitué de diverses ethnies, des ravages de la libre circulation des fauteurs de troubles et autres suceurs de sang. Ceci indispose bien sûr les promoteurs de la libéralisation à outrance des moeurs, droits d'ingérence, et migrations des comptes bancaires, qui mettent tant qu'ils le peuvent, des bâtons dans les roues du char royal, dans toutes les enceintes promouvant la permissivité générale.
Lui n'en a cure.
Tous les hommes naissent...Après avoir proclamé sagement la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, dont nous vous passons le premier article, le plus important, il a le 17 décembre dernier, annoncé que le royaume se transformerait en une démocratie parlementaire en 2008 et qu'il abdiquerait à cette date en faveur du prince héritier, son fils aîné qui sera alors âgé de vingt-huit ans. Le projet de constitution, en préparation depuis 2001, prévoit la création d'un parlement bicaméral, composé d'une Assemblée nationale de 75 membres et d'un Conseil national de 25 membres. Le chef de l'État serait le roi, mais il pourrait être destitué par un vote réunissant les voix des deux tiers des membres du Parlement.

Et de faire la tournée des assemblées "cantonales" pour vendre son projet constitutionnel. Entre-temps, le royaume s'il se méfie du monde, le regarde quand même à travers ces étranges lucarnes bleues qu'on a fini par importer de la Chine voisine. Et d'y voir les malheurs en tous genres, le vacarme parlementaire, la concussion généralisée, la chose publique kidnappée par des factions prébendières, et pour finir la guerre !
Aussi, les sujets du Dragon Tonnerre viennent-ils de lui faire savoir qu'il valait mieux rouler le beau parchemin de la nouvelle constitution dans les réserves de la bibliothèque nationale et laisser les choses en l'état , et garder malgré lui les soucis du juste gouvernement. La démocratie c'est pour les oisifs.

L'opinion internationale a souri au début de la campagne. Aujourd'hui elle grince, car ce peuple "arriéré" n'entre pas dans les canons de la beauté politique unanimement acceptés. Inouï, ce peuple bizarre se fie au jugement d'un homme de confiance. Il repousse le dogme de la collégialité incontournable des analyses sociétales, il refuse de rétribuer les acteurs du forum politique, qui pis est, finira-t'il par aimer son roi ? Aimer un despote ? Du jamais vu ! Ce royaume va-t'il devenir un laboratoire anti-parlementaire ? Le Népal voisin a déjà fermé son hémicycle aux bavards. Si le Bhoutan s'y met aussi, c'est grave, docteur !
Mais le gouvernement du Bhoutan est assez malin pour avoir su présenter sa démarche à des responsables politiques de qualité, qui ne vivent pas scotchés sur les droits de l'homme applicables à autrui surtout. La liste des soutiens internationaux est éloquente : au-delà des grandes structures classiques comme le PNUD ou l'OMS, on trouve la Suisse (bien sûr), les Pays-Bas, le Japon, le Danemark et la Norvège, à savoir quatre monarchies constitutionnelles.

Son Bonheur National Brut intéresse beaucoup d'économistes, un peu saturés des thèses des Chicago Boys. Bien que fondé sur les valeurs du bouddhisme tibétain, le BNB se mesure à partir de paramètres "laïques" plus palpables, au nombre de quatre, chiffre bouddhique :

  • Croissance et développement économique ;
  • Conservation et promotion de la culture ;
  • Sauvegarde de l'environnement et utilisation durable des ressources ;
  • Bonne gouvernance responsable.

  • Une conférence s'est tenue en Ecosse l'été dernier. Quand verra-t'on la seconde à Davos ? Jamais !
    A défaut d'y être allé voir nous-même, le visa est cher, laissons parler le premier ministre du royaume :
    « la poursuite du "Bonheur national brut" a produit de riches dividendes pour notre peuple. Le Bhoutan a atteint un progrès économique soutenu sans compromettre l'intégrité de notre environnement et de notre culture. Nous avons été en mesure de conserver bien plus des 60% de superficies émergées sous couvert forestier requises par nos lois. Nous avons exploité des voies plus durables de croissance économique comme l'essor des installations hydroélectriques et des ressources d'écotourisme, tout en renonçant délibérément aux gains économiques à court terme de la coupe et de la vente de bois d'œuvre. En conséquence, nous sommes en mesure de créer des revenus considérables tout en protégeant les bassins versants et l'habitat de la flore et de la faune. De même, nous avons accordé l'attention qui lui est due à la conservation de nos riches traditions et de notre culture que nous estimons fondamentales pour préserver l'identité et l'âme de notre peuple. »

    le roi du BhoutanUne ambassadrice itinérante de l'ONU, Misako Konno, a raconté son séjour :
    « Pendant la semaine que j'ai passée au Bhoutan, qui a débuté dans la capitale Thimpu, je me suis toujours déplacée dans une charrette tirée par un cheval. J'ai peiné pendant des heures sur des routes de montagne aux virages en épingle à cheveux. La gentillesse qui se lisait sur le visage des gens rencontrés au détour des routes m'a frappée et c'est ce qui m'a fait penser à la philosophie bhoutanaise du "bonheur national brut", qui ne concerne pas seulement les gens, mais aussi la nature en général. Les Bhoutanais détestent tuer des créatures vivantes, ce que leur interdit leurs convictions religieuses, et cela se voit dans la manière dont ils coexistent mais aussi dans le respect qu'ils portent aux plantes, aux animaux, aux animaux et autres formes de vie.
    Pour moi, le Bhoutan est un pays digne où les gens vivent heureux; c'est un pays développé en termes écologiques. »
    Evidemment l'utopie met par terre la productivisme de la World Company qui aurait déjà dévasté la forêt bhoutanaise, rasé les maisons basses pour monter des usines à gosses "Nike", et aurait appelé à cotisation les gogos écologistes pour préserver une faune dont elle aurait déshabillé l'environnement.
    La leçon au monde, et l'axe d'effort au peuple, ont été donnés par un homme. Un homme peut-être, mais un sacré dragon !

    VIVE LE ROI

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