mardi 31 janvier 2006

Le Griffon de Renaudot

Louis XVI qu'on disait indécis, et même moyen, n'était pas que doué pour la serrurerie, comme se plaît à le diffuser l'école républicaine qui là comme en d'autres histoires, se raconte des fables pour avoir moins peur des tragiques origines du régime actuel.

Ce roi fit deux ou trois choses intéressantes et créa le corps des pompiers, rétablit le Mont-de-piété de Paris, abandonna aux équipages de l'Escadre le tiers de la valeur des prises de guerre qui lui était jusque là réservées, aida l'abbé de L'Épée dans son oeuvre d'éducation des "sourds-muets sans fortune", dota richement l'école de Valentin Hauÿ pour aveugles, ordonna à ses commandants de vaisseaux de ne point inquiéter les pêcheurs anglais et obtint la réciproque pour ses français, ordonna aux hôpitaux militaires de traiter les blessés ennemis comme les propres sujets du roi, bien avant la Convention de Genève, abolit servage et mainmorte par tout le domaine royal, abolit la question préparatoire à l'instruction judiciaire, accorda le droit de vote aux femmes pour l'élection des députés aux Etats Généraux, et dans la foulée permit aux femmes d'accéder à toutes les maîtrises, finança tous les aménagements de l'Hôtel Dieu afin de le pourvoir de lits individuels, fonda l'hôpital des Enfants Malades pour les petits contagieux, créa le Musée des Sciences et Techniques, futur Conservatoire des Arts et Métiers, fonda l'École des Mines, finança sur sa cassette les expériences d'aérostation des Montgolfier, exempta les Juifs du péage corporel et autres droits humiliants, accorda des pensions de retraite à tous les inscrits maritimes, demanda le premier qu'on établisse une balance annuelle du commerce français, créa le droit de propriété des auteurs et compositeurs de musique, créa l'École de musique et de danse de l'Opéra de Paris et le Musée du Louvre; etc.
Pour un serrurier, ce n'est déjà pas si mal.


griffon de pierre
Arrêtons nous aujourd'hui au Mont-de-Piété puisque l'actualité pousse le Crédit municipal de Paris sous les feux de la rampe médiatique.

Le docteur protestant Théophraste Renaudot, bien connu pour sa Gazette, avait publié un Traité des Pauvres en 1612. Obsédé par le sort des miséreux de la capitale, il avait dressé un plan de lutte contre la pauvreté et obtenu du cardinal la charge de Commissaire Général des Pauvres du Royaume. Plus tard, en 1630, il avait créé à Paris le Bureau et Registre d'Adresses qui fit office de bureau de placement et de dispensaire tout à la fois. Il publia sous le titre "Feuilles du Bureau des Adresses", une feuille de choux mettant en relation employeurs offrant du travail et travailleurs qui en cherchaient, puis très vite acquéreurs et vendeurs de biens, et jusqu'à faire de la réclame pour les artisans. Seront bientôt publiées des "Nouvelles de Paris" et la Gazette distribuée sous ce titre jusqu'en province. Ce n'était pas un journal d'opposition ! Il deviendra le journal officiel du ministre sous le titre de Gazette de France.

Renaudot s'entichera bientôt du Monte di Pietà pour des prêts sur gage lancé par le récollet De Terni au bénéfice des pauvres de Pérouse, déjà au XVè siècle, et sous la protection du cardinal de Richelieu, ouvrira un premier Mont de Piété à Paris en 1637. Ca marcha évidemment, au grand dam des usuriers de tous poils qui peuplaient aussi le parlement, sinon y disposaient de relais "reconnaissants". Il avait déjà fait des jaloux parmi les médicastres de la Faculté qui le détestaient pour sa position de médecin du roi, obtenue grâce aux faveurs du cardinal et du Père Joseph, qui appréciaient beaucoup son ouverture d'esprit.

L'époque est à la chimie, on s'étripe sur les cornues. Renaudot vient de la faculté de Montpellier, plus ouverte aux manipulations de substances modernes. Voilà pas qu'il obtient trois ans plus tard, l'autorisation par lettre patente de préparer des médicaments dans son propre laboratoire, laboratoire qu'il met en plus à la disposition des apothicaires de la place en délicatesse avec les Docteurs Régents de la Faculté. Pis encore, il pousse la provocation jusqu'à construire à ses frais un hôpital pour ses malades à lui, l' Hostel des Consultations Charitables, où il traitera les patients à sa façon !

La vengeance est un plat qui se mange froid, la haine de la Faculté de Paris attendra. Le roi décide entre-temps d'étendre le prêt sur gage à taux modeste aux provinces où il connaîtra un franc succès. Mais toute l'affaire va pâtir de la lutte à mort entre Renaudot et les Mandarins. Dès la disparition du roi Louis XIII, sous la pression de la Faculté de Médecine de Paris, et sous les coups des usuriers combattant cette concurrence déloyale, un arrêt du Parlement de Paris du premier mars 1644, neuf mois seulement après la mort du roi, coulera les Monts-de-Piété. Les taux d'emprunt remonteront aussitôt à cent-vingt pour cent l'an. La belle vie est revenue, on pourra flamber comme avant.

Renaudot très mortifié, suivra la Cour à Saint-Germain dès le déclenchement de la Fronde, puis se retirera à Paris toujours fidèle à son roi, pour mourir d'une dernière crise d'hémiplégie à 69 ans, le 25 octobre 1653. Il repose à Saint Germain l'Auxerrois, la paroisse de la famille royale. Quant aux pauvres ? Quels pauvres ? Un siècle passera.

Le jeune roi Louis XVI, plus attentif au sort de ses sujets, ayant convoqué un comité de médecins pour la réforme hospitalière générale dans un pays qui en un siècle avait vu sa population doubler jusqu'à déborder toutes les possibilités caritatives classiques, forma le vœu ... « d'améliorer les divers hôpitaux de la Ville de Paris. Sa Majesté en ressentira la plus douce des satisfactions s'il peut en résulter un plan sage qui assure davantage la conservation de l'enfance abandonnée, qui prépare une retraite à la vieillesse indigente et adoucisse le sort des malades ».

Il écoutera au même moment la requête du lieutenant de police de Paris, Lenoir, qui milite pour prévenir la dérive de la misère en amont, en sauvant les familles qui n'ont pas encore versé au ruisseau. Sa solution est de les aider financièrement. Le roi passera outre les avis intéressés de la coterie des "financiers" de la place. Par lettres patentes du 9 décembre 1777, il rétablira l'institution de feu Renaudot en autorisant un taux d'intérêt sur prêt de dix pour cent l'an, afin d'assurer ses équilibres comptables. Ce taux n'est pas excessif dans l'environnement de crise budgétaire de l'époque. Son conseiller de Beaunay est nommé directeur. L'affaire est suivie de près à Versailles.

Victime de son succès, le Mont doit être renfloué au bout de douze ans. Le 9 octobre 1789, le roi lui verse trois cent mille livres prélevés sur sa cassette personnelle afin que les nécessiteux puissent retirer leurs affaires engagées sans mettre le Mont-de-Piété de Paris en péril. L'institution survivra à la Révolution malgré un éclipse en 1795 due aux évènements.

Avec des fortunes diverses, mais profitant d'un engouement toujours renouvelé des laissés-pour-compte de la Banque, le Mont-de-Piété traversera tous les régimes et les trois guerres, et sera désigné par les Parisiens sous le sobriquet discret de Chez Ma Tante. Le griffon, mi-lion mi-aigle de la mythologie grecque, gardait les mines d'or du dieu Apollon. Il fut choisi comme emblème par Barnabé De Terni pour ses œuvres italiennes. Il est toujours celui du Crédit Municipal de Paris qui a succédé au Mont-de-Piété en 1918.

Si vous aimez bien Louis XVI, ou si vous souhaitez redécouvrir un roi juste et bon, passez voir le site de Paul et Pierrette Girault de Coursac qui pendant quarante ans ont travaillé à sa réhabilitation historique.

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