La monarchie française dite de principe capétien, est une monarchie familiale, successible dans l'ordre de primogéniture mâle. Les lois fondamentales qui ont composé au fil du temps le codex juridique royal aboutirent à retirer à l'homme tout choix de la succession. L'automaticité fut si complète qu'il était devenu plus simple de croire en un monarque de droit divin, et sa fonction de roi, une charge qui lui était imposée d'en-haut. D'où bien sûr les disputes dynastiques entre ceux qui arguent de l'incapacité du titulaire de modifier les automatismes propres à cette charge par des renonciations ou des abdications, et d'autres qui s'accommodent d'une influence prépondérante de l'environnement historique sur le droit strict. De nos jours cette succession sans surprises autres que le défaut de continuité génétique contredit le réflexe démocratique du choix périodique qui a été incorporé au cortex de tout citoyen à la naissance.
Jean-Philippe Chauvin, prof d'histoire à Versailles, nous dit ce qu'il en pense, et c'est chaque fois intéressant.
Parmi les objections faites à la monarchie, revient souvent l'idée que, du fait du mode de succession héréditaire, le nouveau monarque peut être un parfait imbécile: "le talent n'est pas héréditaire", me rappelle un de mes contradicteurs. "La République, au contraire, assure une diversité de choix; le choix, c'est la liberté". Ces arguments me donnent l'occasion de rappeler, à mon tour, quelques éléments importants sur ce thème de la désignation du chef de l'Etat.
La Monarchie française est héréditaire et successible: cela signifie qu'elle n'est pas esclave des élections et de ceux qui les font, c'est-à-dire non pas vraiment les électeurs (qui, en définitive, départagent des candidats déjà choisis pour cette "reine des élections" qu'est la présidentielle), mais bien plutôt les partis et les puissances d'argent, qui sont les premiers "sélectionneurs", au risque de désespérer les électeurs eux-mêmes qui ne se retrouvent pas dans les candidats proposés. Dans l'élection présidentielle, et on l'a bien vu en 2002, le choix, surtout quand les médias considèrent qu'on ne l'a plus..., ce n'est plus vraiment une décision positive mais une décision négative, de crainte ou de dépit : on vote "contre", au risque de voter en même temps (et là, il n'y a pas le choix!) pour quelqu'un que l'on déteste et que l'on a combattu farouchement quelques jours auparavant, et qui se moque bien de vos scrupules... Formidable jeu de dupes, qui laisse souvent un goût amer.
Objection, votre honneur. Si le système électoral était profondément révisé afin de représenter toutes les sensibilités de l'Opinion, l'argument de la manipulation tomberait de lui-même, du moins dans son principe. En clair, à la proportionnelle intégrale, les législatives donneraient une image fidèle du pays et l'accès exactement juste aux subsides électoraux qui prédisposent les candidats à la fonction suprême. Par contre l'exigence de convaincre tout un chacun dans le pays conduit le processus à une débauche de moyens financiers qui seraient mieux employés ailleurs dans un pays au seuil de la banqueroute. Secondement et c'est sans doute le point le plus faible de l'élection présidentielle, le candidat élu part d'un socle électoral de moins de 20%, socle réduit d'autant que la proportionnelle multipliera les accès à la joute. On peut dire que le socle peut tomber à 15% des votants. Avec un coefficient de 35% de non votants (sans compter en plus les non-inscrits), ce socle de légitimité descend à 10% environ du corps électoral. C'est une faillite politique ! Le pays est ingouvernable. Mais pardonnez mon interruption.
La monarchie, par son principe même, c'est la transmission de la magistrature suprême par le biais le plus simple, le plus naturel, car filial, du père au fils, par la disparition de l'un et "l'apparition immédiate" de l'autre. "Le roi est mort, vive le roi !" et son complément théorique "le roi de France ne meurt jamais !" sont les deux formules qui caractérisent le mieux cette "passation de sceptre" qui, si elle voit la mort physique d'un monarque, voit aussi dans le même temps la pérennité de sa fonction et de l'Etat, immédiatement assurée par son successeur. Ainsi, le roi ne doit son pouvoir qu'à la naissance et au deuil : il n'a pas choisi de naître héritier de roi, "roi en devenir", comme il n'a rien choisi de ceux) qui le précède. Mais cela lui assure une indépendance de fait, sans l'intervention des partis et au-delà de leur propre sphère d'activité et d'influence. En même temps, il n'est pas identifiable à un groupe économique ou social ou même, communautaire. En ces temps de communautarismes parfois agressifs, l'indépendance de naissance du souverain, le fait qu'il appartienne à toute la nation, aux "peuples de France" selon l'expression consacrée, est le meilleur moyen qu'il soit, non un point de friction, mais un trait d'union. Qu'il échappe au "choix" est le meilleur moyen qu'il puisse garantir les libertés de chacun dans l'unité du pays, n'étant l'élu de personne.
N'étant l'élu de personne sauf s'il est sacré à Reims, auquel cas il sera celui du Très-Haut. Mais considérons qu'il soit agnostique in petto. N'étant l'élu de personne, aura-t'il suffisamment d'intérêt aux affaires de sa charge ? Ne préfèrera-t'il pas vaquer plutôt aux plaisirs faciles de sa position s'il n'es pas très doué? Et - c'est la question "existentielle" - aura-t'il le goût du pouvoir et celui d'un certain sacrifice de ses ambitions personnelles, s'il est en revanche extraordinairement doué ? Louis XVI vibrait bien plus à l'exploitation de ses larges connaissances géographiques et ethnologiques.
Certes, il n'est peut-être pas le plus intelligent, mais son indépendance statutaire lui permet de choisir les meilleures compétences pour gouverner le pays : souvenons-nous qu'il n'y a pas de Richelieu possible sans un Louis XIII qui l'appelle et le soutient, y compris contre la Cour et certains membres de la famille royale. Louis XIII n'est pas un roi très doué mais sa position lui a permis de choisir Richelieu, non en fonction de sa popularité ou de ses soutiens, mais en raison de ses qualités propres. L'histoire de la Monarchie compte ainsi de nombreux grands serviteurs et commis de l'Etat qui suppléent aux insuffisances des monarques. Bien sûr, il y eut des erreurs et des égarements mais, tout compte fait, le bilan de l'ancienne Monarchie est plutôt positif comme en conviennent les historiens contemporains nourris d'abord au lait de la république. La nouvelle Monarchie à fonder n'en aura que plus de devoirs...
Reste la question "démocratique" de l'exercice solitaire du pouvoir, ce pouvoir qualifié d'absolu attaché à un homme, cet homme seul ou solitaire qui tranche et coupe pour tous. Dans un monde où l'on ne produit rien que par un travail d'équipe tant les paramètres de décisions sont complexes, comment un homme seul est-il assuré de voir juste ?
La Monarchie "à la française", même "absolue", n'a jamais été le pouvoir d'un seul homme sur la société ou sur le pays : le pouvoir central, même sous Louis XIV, devait composer avec les "franchises et privilèges" multiples dans les provinces, ce qui évitait ce face-à-face inégal d'aujourd'hui entre l'Etat et l'individu, face-à-face souhaité et théorisé par les révolutionnaires de 1789, au nom de la Liberté "majuscule" et théorique. Exemple : la Bretagne garda son autonomie malgré les pressions de l'Etat central, jusqu'à la nuit du 4 août et, surtout jusqu'à la création des départements, fin décembre 1789, départements qui ne furent que de simples relais des injonctions de l'Etat central jusqu'à une période récente.
Je reviendrai sur la grande question de la Liberté et Des libertés (ce qui n'est pas la même chose), des communautés et de l'Etat sous l'ancienne Monarchie.
Le Roi n'est pas "le seul Pouvoir", mais doit accepter, ou assumer, les contre-pouvoirs (qui sont eux-mêmes des pouvoirs...) qui existent et cohabitent dans le royaume. Il n'est seul que pour les grandes décisions régaliennes dans les domaines diplomatique ou de "grande politique": là encore, il fait appel à de nombreux conseils (parfois antagonistes ...) avant de prendre une décision. Néanmoins, dans l'histoire récente, dans une monarchie qui n'est pas absolue, la décision "solitaire" d'un roi d'Espagne face aux putschistes de février 1981 a été déterminante pour résoudre, sans un coup de feu, et avec le soutien immédiat du peuple (quelle que soit la couleur politique des Espagnols...), la crise provoquée par la tentative de coup d'Etat de Tejero. Il me semble que l'Espagne n'a pas eu à regretter cette intervention royale...
Entre les caprices de la providence, les forces relatives du pouvoir et des contre-pouvoirs, les capacités diverses de chacun des rois à comprendre son siècle et à parvenir à imposer à la société les rectifications de trajectoires nécessaires, peut-on dire sans remonter à Richelieu que le bilan de la monarchie capétienne est globalement positif ?
Quant aux bilans, regardons les derniers siècles de notre histoire nationale, et comparons, sans esprit de parti ou d'idéologie: sur le plan des guerres et des invasions de notre pays; sur le plan des régimes constitutionnels et des libertés publiques; sur le plan du pouvoir et des contre-pouvoirs; etc. En ces trois domaines, les faits parlent d'eux-mêmes.
Néanmoins, il faut aussi évoquer le problème institutionnel sous la Ve République qui a tenté de concilier les deux traditions, monarchique et républicaine. C'est son caractère monarchique qui, de par la forte personnalité du général de Gaulle (dont plusieurs ministres comme Edmond Michelet ne cachaient pas leurs sympathies monarchistes...), a permis à la Ve de s'enraciner durablement : mais, renouant dès l'époque giscardienne, avec les mauvaises habitudes politiciennes, la Ve a ainsi montré qu'elle ne pourrait se réaliser pleinement au bénéfice de la France et de l'équilibre du monde qu'en instaurant la monarchie à la tête de ses institutions... Certains ont évoqué cette solution sous une formule apparemment paradoxale : "Couronner la Ve République". C'est une autre question.
Ce mode d'accession au pouvoir est apparemment le plus simple. Le pays élit un candidat "royal" qui s'est présenté ouvertement pour stabiliser le pouvoir exécutif et dans la foulée le corps électoral vote un plébiscite pérennisant la successibilité de la charge à perpétuité. Les attributions actuelles du chef de l'Etat sont assez étendues et puissantes pour permettre un exercice des pouvoirs régaliens dans un contexte monarchique. A supposer que les choses aboutissent, il n'en restera pas moins à faire le travail de redressement du pays, en compactant fortement l'Etat qui est entrain de l'asphyxier et en détruisant les privilèges les plus insupportables, avant de les annuler tous. Le régime sauvé un temps par le couronnement de la charge suprême, résistera-t'il à la chirurgie invasive nécessaire pour le sauver de la gangrène gazeuse ? C'est pas fait !
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