"Le peuple en ses états" ! Diable !
Selon Charles Maurras, l’Etat est le fonctionnaire de la société. L’Etat, quand il est bien institué, n’a presque pas affaire aux individus. C’est sur les sociétés dont il a la charge, et c’est aussi sur leurs rapports mutuels, que s’exercent ses principaux attributs ; seuls les criminels, avec les héros et les saints, personnalités d’exception, ont des rapports avec l’Etat qui a le droit de connaître ces anomalies ou pour les honorer ou pour les châtier. Ajoutons à la liste des personnes en commerce directe avec l’état, le petit nombre de fonctionnaires, y compris les armées de terre et de mer. Pour tout le reste, un Etat normal laisse agir, sous son épée, la multitude des petites organisations spontanées, collectivités autonomes, qui étaient avant lui et qui sont la véritable substance immortelle de la nation.
Il faut laisser se constituer la France en une multitude de véritables républiques locales, professionnelles, morales ou religieuses d’ailleurs compénétrées les unes par les autres, mais se gouvernant par libres conseils spontanés (ce texte est une contraction de l'original maurrassien, plus long).
Expulser le parlementarisme de l'état central et laisser fleurir les républiques locales, n'est-il pas façon de purifier l'étage suprême vers une gouvernance impeccable en déclassant la corruption des moeurs politiques aux niveaux subalternes ? Dans une note précédente, nous nous interrogions sur la capacité du peuple à se gouverner dans une démocratie de proximité.
En quoi ce matin, le parlementarisme retrouverait-il ses vertus supposées dès le moment où ce processus de choix politiques serait rapproché des besoins exprimés par les votants ? Aucun principe ne surgit pour nous le prouver. Mais on peut observer quelques indications.
Les assemblées régionales telles qu'elles fonctionnent en France, ne sont qu'un refuge pour des politiciens battus au niveau supérieur. Ils y transportent leurs utopies comme leurs expériences, avec le secret espoir d'en réchapper dans des circonstances plus favorables pour leur parti, ou à l'occasion de réinvestitures nationales leur faisant un meilleur sort. Il est amusant de noter qu'aucun leader politique ayant une ambition nationale n'est scotché dans une région : Il n'y pourrait revendiquer aucune "proximité" de son électorat, il serait marqué le plus souvent comme chef local des combines d'appareils, et finalement il bénéficierait de moins d'aura qu'un président de conseil général, a fortiori moins qu'un maire. Il est des députés-maires, des sénateurs-maires. Il n'est pas de conseillers-maires, ça fait cucu. La région, c'est le baiser du lépreux. La preuve Raffarin ! Et demain Ségolène Royal !
Les débats de ces assemblées, hormis la gestion courante des infrastructures et soucis décentralisés, ne visent qu'à reproduire les clivages des partis nationaux, sinon à faire office de chambres de revanche, ainsi que la Gauche les utilisent depuis son raz-de-marée provincial. Par ailleurs le désintérêt manifeste des caciques nationaux pour ces positions, allié au désintérêt manifeste des électeurs pour ces assemblées constituées sur des listes bloquées, permet au leader local selon son tempérament, d'agir en petit dictateur, avec chaque fois un goût immodéré pour de monstrueux gaspillages dans la communication de son ego : ci-dessous le Conseil régional Languedoc-Roussillon destiné à devenir le mausolée de Georges-Frêche Ier de Septimanie, à l'issue de funérailles grandioses qui relègueront celles de Lucky Luciano au niveau de l'enlèvement d'épaves !
La vie "parlementaire" des régions PACA et Languedoc-Roussillon est exemplaire de ce déclassement de la corruption des moeurs à un étage subalterne. Les joutes autour du Front National ont donné la mesure de l'immense hypocrisie de cette classe politique de Division 2, sur laquelle l'électeur régional ne sent aucune prise. Mais le projet de décentralisation n'avait pas l'ambition de "démocratiser" les choix régionaux, mais d'appliquer un Plan quinquennal de type soviétique. La suite donnée tient de la fromagerie républicaine.
Passons en Division 3.
C'est curieusement la classe choisie par certaines pointures politiques pour prendre un bain de "réalité". C'est celle privilégiée par l'actuel président radical-socialiste de la République. Ce sont 95 clubs de notables qui s'occupent à la fois des vieux, des collèges et des routes, et constituent le vivier de la sinécure suprême, le Sénat. On ne s'y fait que des amis, obligatoirement sauf à chercher le suicide politique. Autrement dit, un Conseil général est une enceinte de consensus, dès lors que restent à la porte les grands élans partisans nationaux. Les conseillers généraux sont élus au suffrage direct, par canton. Chacun peut mettre un visage et une histoire sur son conseiller. C'est de la démocratie locale. Il est dommage et pas justifié de manière limpide, que les réformes discutées sur les étages d'administration du pays, visent à la suppression des départements créés par la Convention. A notre sens, c'est un des acquis positifs de la Révolution. Les départements ont créé une forte identification chez leurs habitants et leur découpage s'est avéré plus rationnel que celui des régions-programmes dont certaines sont "inexplicables" sauf à fédérer des "restes" !
En résumé, on remarquera que cette Division du sport démocratique institutionnalise une enceinte parlementaire sans parlementarisme. C'est encourageant.
Passons en Nationale (pour les réfractaires au football, c'est la Division 4).
Nous sommes au niveau de la commune. Logiquement, c'est la circonscription de contact, et donc on devrait voir les enjeux partisans nationaux s'estomper ou disparaître. Ce n'est presque jamais le cas, sauf dans des communes rurales dépeuplées où la mairie est un sacerdoce redouté. Partout ailleurs, s'affrontent les idéologies. Il n'est que de lire les bulletins municipaux pour s'apercevoir de cette irrésistible tentation du baron local à s'élever à la grande politique en approuvant ou débinant les projets du niveau national, sans autre analyse personnelle que la répétition de slogans approuvés par le secrétaire général de son parti d'origine. Les réunions du Conseil municipal tournent de temps en temps à la foire d'empoigne mais rarement sur des questions triviales. Sur des principes !
Deux raisons à cela : d'une part, le Conseil municipal est la porte d'entrée des novices qui, s'ils sont ambitieux, veulent déjà se distinguer et construire un curriculum vitae utile pour l'ascenseur politique et social. D'autre part, la République s'est arrogée la mission de défense et illustration des Droits de l'Homme, et ses élus de premier niveau s'abandonnent souvent à les prendre au premier degré, contestant des décisions préservant pourtant l'intérêt général au détriment d'intérêts catégoriels certes, mais tabous. On identifie plus aisément le droit d'une catégorie que la "justice médiane" d'un choix de gestion. Par contre les manoeuvres ou bavardages du parlementarisme ne se rencontrent que rarement dans ces conseils qui sont voués à une certaine efficacité. Sauf peut-être en terre méridionale, où on adore s'écouter déclamer.
Qu'en déduire ?
La fonction crée l'organe. Le but à atteindre détermine le sérieux des délibérations.
Si l'on est contenu au concret, si le monde extérieur à soi attend des résultats, les dérapages du parlementarisme s'éloignent. On ne changera pas pour autant la propension naturelle du Français à donner son avis sur des questions qu'il maîtrise mal et surtout celles-là, les autres le lassant. Comme l'Italien ou l'Espagnol, le Français adore faire le roi, ratiociner, trancher, couper et remettre une tournée à la fin !
Maurras le Provençal montrait une certaine proximité populaire quand il conseillait de laisser s'épanouir le parlementarisme aux étages subalternes. Il suffirait de vouloir l'interdire pour que bientôt il envahisse tout.
Il faudra quand même se préoccuper de l'ADN gaulois tant qu'il en reste, qui multiplie les pavois de chef jusqu'au plus modeste des hameaux, suscite des présidences dans tous les domaines possibles, le plus large n'étant pas celui des clubs de Pétanque, conteste systématiquement l'autorité du seigneur depuis la fin du Moyen-Age, et finalement déteste l'autorité dès qu'il ne l'applique pas à sa progéniture.
Alors le projet maurrassien d'une "multitude de véritables républiques locales, professionnelles, morales ou religieuses se gouvernant par libres conseils spontanés" est peut-être un pirouette pour se distraire à nous contempler sur le nuage de l'Eternité auquel le maître avait fini par croire.
Il s'agit finalement de faire confiance à la nature humaine, en l'éduquant un peu quand elle passe sur les bancs de l'école. Prévoyons des cours de "Proportionnelle".
Et accessoirement, quand un homme politique triche, ne pas hésiter à le traiter du mot juste : démagoge, concussionnaire, menteur, satrape, voleur, etc... tous qualificatifs à tirer d'une liste bénéficiant de l'exonération pénale !
Rions de l'Anarchie monarchiste par avance !
D'application, elle sera bien autre chose.
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