mardi 27 juin 2006

Le sou du roi

Second volet sur les conditions locales d'administration sous l'Ancien régime : la fiscalité en Bas-languedoc.

livre Louis XVPuisque nous allons parler en livres autant commencer par expliquer la monnaie :
La monnaie du royaume était la livre tournois de 240d (deniers) ou 20S (sols) de 12 deniers. La livre tournois "pesait" en 1640 0,619g d'or pur, mais elle fut dévaluée et réévaluée avec un creux à 0,124g en 1720 lors de la banqueroute de Law pour remonter à 0,312g jusqu'en 1785.
On estime généralement sa valeur entre 5 et 8 euros d'aujourd'hui. On frappait toutes sortes de pièces. Sous Louis XVI :
- en argent : l'écu de 6 livres, le petit écu de 3 livres, le 1/5 d'écu de 24 sols, le 1/10 d'écu de 12 sols, le 1/20 d'écu de 6 sols.
- en billon : les pièces de 2 sols, 1 sol 1/2, et 1 sol.
- en cuivre : le liard double ou 1/2 sol de 6 deniers et le liard de 3 deniers.
On croisait plus rarement les monnaies d'or : le double louis de 48 livres, le louis de 24 livres dit 4 écus (le pourboire de Louis XVI à Varennes), le 1/2 louis de 12 livres. .
livre Louis XVLes monnaies n'étaient pas frappées de leur valeur nominale ce qui facilitait la dévaluation. Il fallait les reconnaître en diamètre et en poids. On ne frappera les valeurs faciales qu'après l'année 1789 dite "An 1 de la Liberté".
Quant au pouvoir d'achat de cette monnaie, il varie considérablement dans le temps et s'avère difficile à comparer à celui de nos jours par l'accroissement de productivité des biens qu'elle pourrait acheter aujourd'hui. Disons qu'un laquais de 1750 avait 200 livres de gages par an en ville ; un maître d'école élémentaire à la campagne, 125£.

Les registres fiscaux sont une source inestimable pour mesurer le poids de l'attention que porte l'Etat au sens le plus large, à un lieu donné.
En 1740 Sumène "valait" 17481£ en impôts directs.
6481£ de droits ecclésiastiques et seigneuriaux
9000£ de taille, appliqués au compois de 1655
2000£ de capitation
On ne peut décompter les impôts indirects : franc fief, gabelle, marc d'or, centième denier, menue dîme et casuel, et bien d'autres.

La taille (ou impôt foncier)
Le territoire de chaque paroisse était mesuré en parcelles et de chacune d'elle on estimait le revenu, le présage, calculé en livres d'allivrement, une unité de compte. C'était l'assiette de la Taille. La livre d'allivrement était ensuite valorisée en livre tournois (£). En 1722 elle valait 4£16S, en 1789 elle était à 10£, la Constituante la porta à 18£.

Le présage paroissial établi sur le compois de 1655 était de 1676 livres d'allivrement. La paroisse devait donc contribuer pour 8061£ de taille en 1722, et pour 16762£ en 1789 ; 30168£ de taille en 1790 ! La crise financière de l'Etat n'était pas un concept abstrait réservé aux effervescences parisiennes.

La collecte de la taille était adjugée avec un rabais rémunérateur pour celui qui se chargeait du doux travail de levée de l'impôt. Cette remise était d'environ 18 deniers à la livre, ce qui ferait un coût de collecte de 7,5%. On est bien loin des coûts de collecte de l'administration fiscale actuelle.

La capitation (ou impôt personnel)
C'était un impôt réparti par le conseil de communauté (municipalité) sur chaque tête et qui tenait compte des revenus, des activités (patentes de négoce ou d'industrie). La capitation de 1722 leva 1910 £ à Sumène.

Ainsi sur 2500 âmes réparties sur 2500 hectares les impôts "césariens" de taille et capitation de l'an 1722 représentaient 4£ par tête. Ce qui ne semble pas excessif mais nous ne sommes pas dans le jugement des esprits de l'époque. Il n'y avait que 500 capités. Il faut y ajouter la dîme, les banalités, droits divers et les impôts locaux.

La dîme et le casuel
La dîme perçue par l'Eglise était, disait-on, le patrimoine des pauvres. L'Eglise assurait les secours aux indigents par ses bureaux de charité, fournissait le dispensaire et bien sûr le salut garanti des âmes. La dîme prélevée tournait autour de 3000£ (3980£ en 1790). Il est amusant de lire le rapport de mission de l'évêque Séguier qui avait décidé de faire baiser l'anneau p toutes les paroisses de son diocèse en 1675. Le rapport donne l'état des lieux de chaque communauté et commence ainsi :
- Sumène : Il y a 200 communiants et autant de huguenots. Le bénéfice appartient au chapitre de Nîmes et vaut 1150£ de rente. ...
- St Martial : C'est un bénéfice qui appartient à l'Evêque de Nîmes et de 1500£ de rente. Il y a plus de 400 ...
- St Laurent : Prieuré de 500£ de rente de la collation de l'Evêque de Nîmes. Il n'y a que 2 ...
- St Julien : Prieuré cure de 500£ de rente. Il n'y a point d'église ...
- St Bresson : Prieuré cure de 100 écus de rente tout catholique. Il y a ...
- Cézas et Cambo : Bénéfice du chapitre de Nîmes affermé 700£ ; 50 catholiques ...
- Le Vigan : petite ville assez jolie. Le bénéfice aujourd'hui simple était autrefois monacal, il vaut 2000 ou 2500£ de rente. Il n'y a 70 communiants.
Etc.
On l'imagine, comme dans les films anti-cléricaux, suivi d'un char sinistre portant les coffres de fer du fisc épiscopal.
Une paroisse était considérée comme une métairie en production inscrite sur la liste des revenus d'un évêché ou d'un chapitre voire d'une abbaye.

La dîme de Sumène était de 1800£ en 1680, mais atteindra 3980£ en 1789. Le chapitre cathédral de Nîmes touchait aussi les redevances féodales du prieuré qui avait donné des parcelles à bail, et les fermages en propre. S'y ajoutait les dons manuels ou les legs testamentaires des âmes sauvées, que l'on disait considérables. A côté de la dîme, l'institution percevait le casuel, abandonné aux desservants de la paroisse sans doute parce que difficilement contrôlable.

Le casuel d'une cure était formé par les honoraires de messes ou de prestations particulières aux fidèles, comme les mariages, de visites aux malades, la confession, les messes pour les morts et surtout les bénédictions de sépultures. Le casuel était une source de revenus importante étalée tout au long de l'année. La Communauté en tant que telle y abondait aussi.

Les impôts locaux
La charte d'émancipation organisant la franchise municipale de Sumène fut arrachée à la Maison d'Anduze en 1275 pour six mille sols tournois. Le Conseil Général de la paroisse était depuis lors élu chaque année par l'Université, c'est à dire l'ensemble des chefs de famille résidants et propriétaires sans distinction de position sociale. Deux consuls étaient tirés au sort sur deux listes, l'une de la ville, l'autre de la campagne. Les Consuls élus devaient prêter serment devant le Seigneur le 31 décembre. Le Premier de l'an ils étaient en fonction et leurs biens hypothéqués en garantie de leur gestion (on frissonne à observer la situation actuelle ; Chirac aurait été ruiné par Paris). A noter que l'autorité royale n'était pas conviée au chapitre, même si Louis XIV força le passage avec des charges vénales de maires permanents qui furent abolies plus tard. La première chose était d'établir le budget municipal.

Le budget primitif de la Communauté de 1744 approuvé par le Gouverneur du Languedoc, l'Intendant, l'Evêque d'Alès était de 400£. Il couvrait les dépenses administratives de base auxquelles la Communauté ne pouvait se soustraire, et c'est pour cela qu'il était soumis à Toulouse.
S'y ajoutait un budget complémentaire de 1043£ non soumis aux Etats, qui rémunérait deux maîtres et deux maîtresses d'école et leurs loyers, qui contribuait au casuel du curé et rétribuait le missionnaire royal (on était en pays réformé). La Communauté comptait sur 880£ de recettes dont 680£ de banalités (four et moulins), le reste en leude et courtages. Les registres ne disent pas qui couvrait le déficit prévu donc à 563£, les habitants ou les familles des enfants scolarisés.

blason actuel de Sumène


Nous avons gardé pour la fin les droits seigneuriaux. Les plus importants étaient la Censive et le droit de Lod que les emphytéotes versaient à la Directe. Il faut expliquer un peu le système féodal sachant de prime abord qu'il n'y a pas de théorie générale, tant est variable et divers selon les temps et les lieux, ce droit du Nord qui est un droit coutumier non écrit et interprété sans cesse par ses bénéficiaires et ses débiteurs.

Le principe féodal (nulle terre sans Seigneur) gère d'abord la terre et son revenu avant que de créer des pyramides de suzeraineté ou des exploits de chevalerie. La terre de la baronnie d'Hierle appartenait à la Narbonnaise romaine et de ce fait était cadastrée complètement. Les Wisigoths récupérèrent le droit latin en 416 et l'appliquèrent à la gestion de leur conquête jusqu'à l'invasion franque de 526 qui força la loi barbare coutumière.

Deux modèles de Seigneuries se partageaient les pays chacune à son niveau, la Justice et le Fief. En dehors d'eux subsistait l'exception confirmant la règle, les Alleux. Ces trous noirs fonciers provenaient de concessions wisigothiques laissées aux collaborateurs gallo-romains et réglées par le droit romain. Les alleux, il y en avait de nombreuses sortes, était un héritage libre et franc d'Hommage et de Directe, mais soumis quand même au devoir de Justice.

La Justice était une seigneurie qui possédait originellement des droits régaliens, merum imperium, sur tous les habitants de sa juridiction, à savoir, justice criminelle et civile, pouvoir militaire, droit de lever les troupes et de se fortifier. Sumène dépendit le plus longtemps de la Justice d'Hierle.

Le Fief n'avait rien de commun avec la Justice. Le Fief était un concept foncier. Le seigneur du Fief n’avait d'action que sur les possesseurs de terre et uniquement en raison de cela. Le Fief étant une concession de jouissance du sol, on comprend qu'il y eut un propriétaire original distribuant les fiefs. C'est le Seigneur Féodal, dont le droit au sol était imprescriptible et s'appellait Directum Dominium. Ce seigneur était ainsi appelé Seigneur Directe. Il concèdait des parties de la terre à des tiers pour leur mise en valeur à travers un bail dont les conditions particulières, en l'absence de codex, variaient à l'infini. Le loyer du bail était la Censive. Le bénéficiaire de la concession était l'Emphytéote qui obtenait l'entière jouissance de la terre concédée et la transmettait à ses héritiers. Il pouvait même l'aliéner sous réserve des droits de la Directe qui choisissait soit de préempter par son droit de Prélation, soit louer la vente et percevoir le droit de Lod.

Mais ce n'est pas fini. Le propriétaire original ou celui d'un fief pouvait céder tout ou partie de ce fief sous réserve des droits de mouvance. L'acquéreur devenait son vassal et le Directe des emphytéotes installés sur le Fief. C'est la Maison d'Anduze qui avait la Directe du territoire de Sumène.

Les censives étaient établies à Sumène sur 450 possessions et se réglaient chaque années en céréales, chataignes, vin, cheptel, gibier, coton, journées de corvées ou monnaies. Certains droits, toujours contestés par la Communauté, étaient appliqués sur les foires, marchés, cours d'eau et diverses banalités non-concédées comme droit de four, de moulin, de puisage, mesurage, poinçonnage, mercurage.
Outre la censive, les propriétaires devaient le droit de Lod sur les mutations de biens immeubles et fonciers d'environ quinze pour cent de la valeur déclarée.
L'acquisition de Fief ou même de Justice par un roturier était soumise au droit de franc-fief à 5% du revenu des vingt prochaines années. Ainsi l'acquisition d'une parcelle rendant 500£/an était actée après le versement préalable de 500£ au receveur.
Les droits féodaux étaient nombreux et varièrent considérablement à mesure des transactions et franchises arrachées par les vassaux et les simples sujets.

Qu'est-ce qui n'allait pas finalement ? Tout ! Le contribuable percevait mal où était le "retour" sur contributions dans les services fournis par l'Etat. Par exemple l'Eglise prenait 3000£ pour un service qui n'en valait pas 400. Il assistait à la parade des privilèges et ne supportait plus l'inégalité fiscale et ses arrogances. Le Tiers allait s'insurger.

le Tiers de bât
Il suffit de lire le cahier des doléances de la Communauté de 1788 pour comprendre l'exaspération. Sans infliger au lecteur le document complet on relèvera pour ce qui nous intéresse quelques termes :

Préambule
"... Si par suite d'erreurs perpétrices d'âge en âge il y avait dans un empire diverses classes de citoyens dont les droits et intérêts soient différents et souvent opposés, une multitude d'abus par suite desquels les moeurs civiles et domestiques même soient altérées au point que l'oisiveté soit récompensée et l'homme inutile honoré, un tel empire doit périr". (c'est envoyé !)

Voeux :
- Que tous les contribuables soient appelés à élire des députés aux Etats Généraux librement et à la pluralité des suffrages
...
- Que tout contribuable soit éligible
...
Attendu que l'allivrement de Sumène est le plus considérable après celui d'Alès, capitale des Cévennes, que sa population est d'environ 3000 âmes dont 519 payent la capitation, l'Assemblée adhère à cette délibération et prie le 1er consul ... etc." (le dernier coup de semonce est fiscal)

Suivent 259 signatures à commencer par le marquis de Sumène, trois familles nobles et toute la bourgeoisie, ce qui prouvent que la perception du désordre était générale au premier niveau de la nation. Deux nobles ne signèrent pas ; paradoxalement ce furent les plus ardents révolutionnaires du pays.

Bossuet avait affirmé que "Dans tous les Etats, le peuple contribue aux charges publiques, c'est-à-dire à sa propre conservation: et cette partie qu'il donne de ses biens, lui en assure le reste, avec sa liberté et son repos". De son côté Vauban avait écrit "Qu'un Etat ne peut se soutenir si les sujets ne le soûtiennent. Or, ce soutien comprend tous les besoins de l'Etat, ausquels par conséquent tous les Sujets sont obligés de contribuer."
La Révolution aux abois fera contribuer les deux classes privilégiées qui modéraient leur enthousiasme contributif, par la confiscation de leurs biens.

La sagesse est mère de sûreté, mais les Bourbons avaient oublié que les impôts étaient réputés par les Etats Généraux anciens comme un don des Etats, qui exigeaient en retour un sens aigu de l'économie du gouvernement central. "Ne découvrez pas nos autels pour couvrir les dames en cour", disaient les abbés. Les fastes princiers et les guerres n'avaient jamais été populaires ; le seigneuriage (ou faux-monnayage légal) encore moins, sauf pour les paysans endettés ; les exemptions fiscales de tous ordres, plus du tout ; il était venu le temps de le faire savoir au roi qui avait déclaré la banqueroute le 16 août 1788. Mais d'autres aspirations prendraient le pas sur la finance.

Cette note est une évocation du système fiscal. Si elle a excité la curiosité du lecteur, il est prié de se reporter aux ouvrages nombreux qui traitent la fiscalité de l'Ancien régime, domaine insondable.

Références bibliographiques en ligne ou non

La fiscalité en France http://membres.lycos.fr/gpfpme/dates_03.htm
Histoire de Sumène, Boiffils de Massanne, Editions du Vieux Pont
Histoire de Lentillac, http://www.quercy.net/qmedieval/histoire/hist_lentillac/moy_age.html
Histoire du temps passé http://www.amicale-genealogie.org/Histoires_temps-passe/Impots.htm

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