Rama IX dont on fête les soixante ans de règne est un souverain constitutionnel qui ne gouverne pas. Neuvième roi de la dynastie des Chakri qui règne en Thaïlande depuis l'époque de Louis XVI, ce vieux roi (il a 75 ans maintenant), impeccablement droit, fier, attentionné et digne, est pour son peuple déjà un des grands de la mythologie thaïe. Son autorité morale servie par une vie exemplaire, a été mise à contribution dans ce royaume de la diversité, comme un liant entre des antagonismes ethniques et économiques puissants. Si le régime parlementaire institué en 1932 peut en principe ignorer tel sourire, recommandation ou remontrance du roi, il doit compter avec l'opinion attentive des peuples du Siam qui, elle, est influencée par les silences et les gestes du monarque qu'elle admire. Ce qui le convoque de facto à l'arbitrage.
Dans notre république froide et raisonnée, on néglige trop souvent l'influence des familles royales dans les pays qui nous entourent, organisés en monarchies people. C'est nous qui les qualifions ainsi.
Outre le facteur de cohésion nationale, ces familles servent de repères et de modèles quand les temps l'exigent. Le roi de Siam est dans ce rôle. Volontairement ou pas (il ne me l'a pas dit), il instrumentalise l'amour de ses sujets.
Le roi du Bhoutan qui veut se défaire de tous ses attributs gouvernementaux se trouvera, s'il y parvient, dans la même position d'arbitre en dernier appel que le roi de Siam ; ce qui lui rendra l'influence qu'il aura précédemment abandonnée.
Chez nous, revenons en Europe, la reine d'Angleterre se réunit avec le Premier ministre une fois par semaine - contrainte hebdomadaire qui irritait Margaret Thatcher car elle y endurait les remontrances du centre-gauche et d'un certain tiersmondisme qu'elle jugeait exécrable ! Le roi des Belges est intervenu efficacement contre le désordre des institutions dans les affaires de moeurs. Dans les vieilles monarchies nordiques (Pays-Bas y compris) l'attitude de la famille royale en temps de guerre a été d'un grand secours moral aux affligés, et son exil éventuel un phare de l'espoir. Au Danemark, le courage et la fermeté du roi qui resta au pays et porta l'étoile jaune, le transformèrent en héros. Par contre les complaisances teutoniques du père d'Albert II de Belgique furent mal acceptées, ce qui prouve en creux son influence.
Plus récemment en Espagne, c'est bien la conjonction d'une attitude plutôt raide du monarque et l'agenda événementiel de la famille royale, qui a "décalé" les fermentations fascisantes en les ringardisant. Le franquisme a été coulé par Hola plus que par ABC. Par contre on aurait pu attendre de la reine Sophie le mot de trop, qu'on lui aurait aussitôt pardonné, sur les lois décadentes du gouvernement Zapatero, ce qui aurait évité à l'Eglise de monter en ligne avec tant de véhémence. En revanche l'implication (toujours indirecte) du roi dans le paysage basque est positive. Il est aussi leur roi, puisque titré "Roi de toutes les Espagnes". Dès qu'ils en seront vraiment convaincus les Basques se calmeront.
Les doctrinaires français qui poussent en avant encore aujourd'hui la monarchie absolue ou déroulent dans leur argumentaire l'antiparlementarisme, jouent en fait contre le roi, le roi possible.
Le spectacle de l'Etat mis à l'encan des partis politiques abaisse la fonction et ridiculise le mode d'y pourvoir. Il sera bientôt l'heure de proposer à l'Opinion de substituer au président quinquennal actuel dont l'élection provoque un tumulte dévalorisant pour l'autorité de chef d'état, une sorte de secrétaire perpétuel de la Nation qui ne s'userait pas dans la politique du quotidien, mais représenterait plus dignement le pays urbi et orbi, et serait son point fixe par rapport auquel les communautés diverses se parleraient.
Il suffirait peut-être de diffuser ces idées de règne sans gouvernement pour voir croître la faisabilité du "royalisme" dans les esprits. Il y a de bons arguments dans tous les chapitres, le premier n'étant pas l'économie budgétaire conséquente que l'on obtiendrait, mais quand même !
La fonction suprême étant dès lors pérennisée hors des joutes politiques, on pourrait considérer que les choix de gouvernement soient appuyés sur l'ensemble des intérêts particuliers qui seraient représentés proportionnellement à leur force dans le pays, et légitimés par la grille d'analyse du Bien commun auquel ils devraient concourir.
C'est toute la philosophie politique de ce vieux pays républicain qui pourrait être modifiée car serait venu le temps de la pédagogie des gouvernements d'union et celui de l'abandon des affrontements idéologiques de bloc à bloc. La Nation parviendrait, deux siècles après sa naissance, à maturité ! Bien des peuples autour de nous y sont parvenus. Pourquoi notre "génie national" nous en excluerait-il ?
Il serait toujours temps ensuite de juger de la pertinence d'une meilleure implication du roi dans les affaires de l'Etat. Son tempérament dicterait le sens de l'évolution de la fonction jusqu'à ce qu'on parvienne à stabiliser la monarchie revenue. Quelque soit le point atteint, la situation serait meilleure qu'aujourd'hui.
Le combat doctrinal actuel de certaines chapelles serait-il vain parce qu'articulé seulement dans la sphère philosophique avec au final peu d'impact sur le sentiment du Commun ? Or ce qui prime pour instaurer la monarchie, c'est bien l'affectivité du peuple. Cet affect que le roi de Thaïlande sait instrumentaliser avec bonheur.
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