En traversant la cour de la prison à neuf heures pour aller au supplice, il se tourna deux fois vers la tour où était sa famille, comme pour dire un dernier adieu à ce qu'il avait de plus cher. A l'entrée de la seconde cour se trouvait une voiture de place ; deux gendarmes tenaient la portière. A l'approche du roi, l'un y entra, et se plaça sur le devant. Le roi monta ensuite en me priant de prendre place à côté de lui ; l'autre gendarme entra le dernier, et ferma la portière.
Le roi se trouvant resserré dans une voiture où il ne pouvait parler ni m'entendre sans témoins, prit le parti du silence. Je lui présentai aussitôt mon bréviaire, le seul livre que j'eusse sur moi, et il parut l'accepter avec plaisir. Il témoigna même désirer que je lui indiquasse les psaumes qui convenaient le mieux à sa situation, et il les récitait alternativement avec moi. Les gendarmes, sans ouvrir la bouche, paraissaient extasiés et confondus tout ensemble de la piété tranquille d'un monarque qu'ils n'avaient jamais vu sans doute d'aussi près.
La marche dura près de deux heures. Toutes les rues étaient bordées de plusieurs rangs de citoyens, armés tantôt de piques, tantôt de fusils. En outre, la voiture elle-même était entourée d'un corps de troupes imposant, et formé sans doute de ce qu'il y avait de plus corrompu dans Paris. Pour comble de précautions, on avait placé, en avant des chevaux, une multitude de tambours, afin d'étouffer par ce bruit les cris qui auraient pu se taire entendre en faveur du roi. Mais comment en aurait-on entendu ? Personne ne paraissait ni aux portes ni aux fenêtres ; et on ne voyait dans les rues que des citoyens armés, c'est-à-dire des citoyens qui, tout au moins par faiblesse, concouraient à un crime qu'ils détestaient peut-être dans le cœur.
La voiture parvint ainsi dans le plus profond silence à la place Louis XV, et s'arrêta au milieu d'un grand espace vide qu'on avait laissé autour de l'échafaud. Cet espace était bordé de canons ; et au delà, tant que la vue pouvait s'étendre, on apercevait une multitude en armes. Dès que le roi sentit que la voiture n'allait plus, il se retourna vers moi et me dit à l'oreille : "Nous voilà arrivés, si je ne me trompe". Mon silence lui répondit que oui. Un des bourreaux vint aussitôt ouvrir la portière, et les gendarmes voulurent descendre ; mais le roi les arrêta, et appuyant sa main sur mon genou : "Messieurs, leur dit-il d'un ton de maître, je vous recommande monsieur que voilà ; ayez soin qu'après ma mort il ne lui soit fait aucune insulte. Je vous charge d'y veiller". Ces deux hommes ne répondant rien, le roi voulut reprendre d'un ton plus haut ; mais l'un d'eux lui coupa la parole : "Oui, oui, lui répondit-il, nous en aurons soin ; laissez-nous faire".
Et je dois ajouter que ces mots furent dits d'un ton de voix qui aurait dû me glacer, si dans un moment tel que celui-là il m'eût été possible de me replier sur moi-même. Dès que le roi fut descendu de voiture, trois bourreaux l'entourèrent et voulurent lui ôter ses habits ; mais il les repoussa avec fierté et se déshabilla lui-même. Il défit également son col, ouvrit sa chemise, et s'arrangea de ses propres mains. Les bourreaux, que la contenance fière du roi avait déconcertés un moment, semblèrent alors reprendre de l'audace.
Ils l'entourèrent de nouveau et voulurent lui prendre les mains. "Que prétendez-vous ?" leur dit le prince en retirant ses mains avec vivacité - "Vous lier" répondit un des bourreaux. "Me lier !" repartit le roi d'un air d'indignation. "Je n'y consentirai jamais ; faites ce qui vous est commandé, mais vous ne me lierez pas : renoncez à ce projet". Les bourreaux insistèrent, ils élevèrent la voix et semblaient déjà appeler du secours pour le faire de vive force. C'est ici, peut-être, le moment le plus affreux de cette désolante matinée : une minute de plus, et le meilleur des rois recevait, sous les yeux de ses sujets rebelles, un outrage mille fois plus insupportable que la mort, par la violence qu'on semblait vouloir y mettre.
Il parut le craindre lui-même et se retournant vers moi, il me regarda fixement, comme pour me demander conseil, Hélas ! il m'était impossible de lui en donner un, et je ne lui répondis d'abord que par mon silence. Mais comme il continuait de me regarder : "Sire, lui dis-je avec larmes, dans ce nouvel outrage je ne vois qu'un dernier trait de ressemblance entre Votre majesté et le Dieu qui va être sa récompense". A ces mots, il leva les yeux au ciel avec une expression de douleur que je ne saurais jamais rendre. "Assurément, me dit-il, il ne me faudra rien moins que son exemple pour que je me soumette à un pareil affront". Et se tournant vers les bourreaux : "Faites ce que vous voudrez, leur dit-il ; je boirai le calice jusqu'à la lie".
Les marches qui conduisaient à l'échafaud étaient extrêmement raides à monter : le roi fut obligé de s'appuyer sur mon bras ; et, à la peine qu'il semblait prendre, je craignis un moment que son courage ne commençât à fléchir. Mais, quel fut mon étonnement lorsque, parvenu à la dernière marche, je le vis s'échapper pour ainsi dire de mes mains, traverser d'un pied ferme toute la largeur de l'échafaud, imposer silence par son seul regard à quinze ou vingt tambours qui étaient placés vis-à-vis de lui, et, d'une voix si forte qu'elle dut être entendue du pont Tournant, prononcer distinctement ces paroles à jamais mémorables :
« Je meurs innocent de tous les crimes qu'on m'impute ; je pardonne aux auteurs de ma mort, et je prie Dieu que ce sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France. »
Il allait continuer ; mais un homme à cheval, en uniforme national, fondant tout à coup l'épée à la main, et avec des cris féroces, sur les tambours, les obligea de rouler. Plusieurs voix se firent entendre en même temps pour encourager les bourreaux : ils parurent s'animer eux-mêmes, et, saisissant avec effort le plus vertueux des rois, ils le traînèrent sous la hache qui d'un seul coup fit tomber sa tête. Tout cela fut l'ouvrage de peu d'instants ; le plus jeune des bourreaux (il ne semblait pas avoir plus de dix-huit ans) saisit aussitôt la tête et la montra au peuple, en faisant le tour de l'échafaud : il accompagnait cette cérémonie monstrueuse des cris les plus atroces et des gestes les plus indécents. Le plus morne silence régna d'abord : bientôt quelques cris de Vive la république ! se firent entendre. Peu à peu les voix se multiplièrent ; et, dans moins de dix minutes, ce cri devint celui de la multitude, et tous les chapeaux furent en l'air.
Selon Henry Essex Edgeworth, abbé de Firmont, confesseur de Madame Elizabeth, dernier consolateur du roi et futur chapelain du comte de Provence, futur Louis XVIII.
Il aurait murmuré en quittant l'échafaud "Fils de saint Louis, montez au ciel !" et dut s'enfuir pour échapper à la furie populaire.
Une marche pour Louis XVI est organisée le dimanche 21 janvier 2007 à Paris
Rendez-vous sous vos bannières à 19 heures à l'église de la Madeleine - M° Madeleine.
Venez en nombre car ce drame se répercute encore dans l'instabilité pathologique de nos institutions et la décrépitude de notre pays, autrefois grand, comme le dit si bien Voxifera.
Plus d'infos et une magnifique bande annonce du cortège pour le roi sur le blogue de l'AFE.
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