En ces temps agacés de frénésie électorale où l'on recharge nuitamment le carquois des flèches à tirer demain dans la précipitation que mettent les enfants à sauter sur le père Noël des Galeries Lafayette, on est autorisé à s'amuser de la course à l'échalote qui règle la nomenklatura en tout désormais et jusqu'à l'été prochain, au moins.
Le Premier ministre débine son ministre de l’Intérieur, qui, chef du parti majoritaire, essuie les coups en vache que lui porte le président de l’Assemblée nationale, sous les quolibets du président de Corrèze, renforcé du ministre de la Défense !
Ici, le regard, le mot, le geste, tout est scruté tant on y trouve de signifiant. Madame Royal a inventé la "bravitude" au Great Wall, elle a eu bien raison. C'est l'acronyme d'une attitude brave ou bravache, qu'importe. C'est déjà mieux que l'abracadabrantesque ou les racailles ! Mais ça ne servira pas plus.
Ce qui étonne le piéton du roi calé dans son voltaire devant l'écran bleu, tient surtout à l'incroyable légèreté de l'être politique évoluant avec la grâce d'un geai dans le ciel plombé de la République. "La démocratie c'est l'envie" disait Proudhon, et il a bien fallu les satisfaire toutes ou presque pour se maintenir sous les ors des palais nationaux. Après un quart de siècle de gabegie, l'Etat est au seuil de la banqueroute, qui pis est il ne peut même pas la déclarer pour se purger car la monnaie - valeur sérieuse pour grandes personnes - lui a été ôtée des mains.
Bien que sachant la dette publique abyssale en creusement perpétuel pour maintenir sous perfusion notre modèle soviétique, les candidats font quand même assaut d'un supplément de promesses coûteuses qui, je crois pour la première fois dans l'Opinion, trahissent le ridicule de leurs propos de campagne auxquels plus personne ne croit.
Seul M. de Villiers revendique les brèves de comptoir comme pierres d'angle de son programme.
La Nation est convoquée en grandes pompes et universellement au choix du chef suprême, locataire éphémère d'une maison de roi, disposant de pouvoirs plus étendus que n'en a eu Louis XIV. Qu'on veuille les limiter par maints artifices pour mieux partager l'exécutif et améliorer la fameuse séparation de Montesquieu est chaque fois vain, de par les combinaisons partisanes nécessaires au fonctionnement du régime. Intrinsèquement la Cinquième république même pervertie par le quinquennat, est d'essence monarchique, ce dont chaque président jusqu'au prochain d'ailleurs, se réjouit.
Les bons esprits ont fini par se demander si le bordel électoral était à la hauteur de l'enjeu, à nous faire supporter six ou huit mois de concours de pâtés de sable. Ils en concluent que finalement nous méritons mieux. Parmi ceux-ci François Bayrou qui ne cesse de dénoncer l'avidité des compétiteurs dont la capture du pouvoir est le seul enjeu.
A la question : « Vous croyez que les institutions peuvent changer les choses ?… » Il répond, bravache :
« Elles sont à la base de tout. Les deux partis dominants, l’UMP et le PS, ont tous deux exercé le pouvoir absolu, sans partage, pendant plusieurs législatures. Pendant ce temps, la dépense publique, les abus de pouvoir, le gaspillage, la colonisation de l’État par des réseaux partisans ou claniques, tout cela n’a pas cessé de s’aggraver. Or la difficulté des temps rend ces dérives inacceptables, alors que le peuple des citoyens doit porter une charge de plus en plus lourde. Il faut donc reconstruire deux principes oubliés : l’impartialité et la sobriété de l’État. Et pour cela, il faut qu’un peuple décidé et un président indépendant imposent des règles nouvelles ».
« Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy n’ont-ils pas les qualités nécessaires pour le faire ? »
« Ils sont différents, mais c’est la même démarche partisane. Ils veulent tout le pouvoir pour leur parti, et l’éviction du pouvoir pour leurs adversaires. Les clans au pouvoir changeront, le clan Sarkozy au lieu du clan Chirac, le clan Hollande-Royal au lieu du clan Mitterrand, mais les principes seront les mêmes. Or ce sont les principes qu’il faut changer. Un président qui bâtit de nouvelles institutions, qui instaure l’État impartial, qui nomme en fonction des compétences et non des étiquettes, qui rassemble au lieu d’opposer. Au fond, la même démarche qu’en 1958 ».
Il va au coup d’état, Bayrou ?
Autre intervention sur un axe différent mais qui dénonce l'inadéquation du système : Jacques Attali, dont je découvre les récents propos sur le blogue de Jean-Philippe Chauvin.
La politique du long terme est la condition sine qua non de la survie de nos nations.
Elle affronte - pour ne pas dire se fracasse sur - l'incapacité systémique du dirigeant politique à se projeter dans l'avenir, empêtré qu'il est dans les réponses à faire quotidiennement à des questions subalternes mais déterminantes pour sa popularité, sans laquelle il sera immédiatement attaqué au sein même de son clan comme le poulet qui saigne dans la basse-cour. L'exercice de la démocratie relève presque du cannibalisme au niveau du pouvoir.
Des remèdes que propose, sans trop se faire d'illusions, Jacques Attali, aucun n'est susceptible d'agir sur le corps social parce que la durée n'est pas paramétrable dans ce régime. La cagade des réformes Raffarin sur les retraites est la plus triste des démonstrations. Seuls les Etats confrontés à des situations périlleuses ressenties par leur peuple - il cite Israël, Singapour et la Corée du Sud - parviennent à surmonter le syndrome de l'instant primordial et acceptent de couper un peu de leurs satisfactions immédiates au bénéfice des générations qui les suivent. Mais nos démocraties européennes n'y parviennent pas. Pire en France, on pille le capital des générations montantes tout en les amusant par une comédie d'ombres chinoises où repassent toujours les mêmes, distillant les mêmes slogans de solidarité, au profit de qui, on ne vous le dira pas.
Même le rajeunissement de la classe politique afin d'allonger son exposition aux problèmes et l'inciter à se préoccuper du futur, ne me convainc pas. Du moins je n'ai pas sous la main d'exemple de jeunes politiques ayant donné une vista à 180 degrés différente de celle que leurs aînés pourraient avoir un soir de tranquillité ou de cuite. Des nuances entre eux sans doute, mais pas plus dès lors qu'ils ont besoin les uns des autres au passage de témoin.
Est-ce stupide de proposer que la gestion à long terme de nos nations soit confiée au principe de pérennité dans la fonction ?
Un chef d'état de qualité et impartial, disposant de compétences reconnues et libéré de l'exploitation démagogique quotidienne de sa fonction, ne serait-il pas mieux placé pour contre-attaquer à long terme les problèmes qui risquent forts de nous rayer de la carte des nations qui comptent. Nous sommes passés du rang de "cinquième grand" à celui de premier des petits, qui fait où on lui dit de faire.
Ces questions sont bien graves pour être confiées à des amateurs en CDD.
L'entretien de Jacques Attali est paru dans Le Monde du 6 janvier.
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