Une nation "est une âme; un principe spirituel. Deux choses, qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel : l'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs, l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis" (Ernest Renan).
La confusion nation-patrie fut fréquente dans le passé quand on prenait la nation de la racine "nascere" (où l'on est né). Renan donne je crois la notion moderne juste. Pourtant la confusion est permanente dans les milieux patriotiques.
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On commémore cette année le 1500è anniversaire de la bataille de Vouillé qui ouvrait aux hordes franques la porte septentrionale du Midi, région bénie des dieux qui goûtait au retour de la civilisation sous le gouvernement attentif des Goths. Barbares cultivés par une longue cohabitation avec l'Empire romain d'occident, ils lui étaient passés sur le ventre pour y établir leurs clans quand l'Etat impérial vermoulu s'effondra. Ils en reprirent les habitudes et renouèrent avec une administration minutieuse fondée sur le cadastre fiscal antérieur qu'ils poussèrent au plus loin de tous les recoins de leur nouvelle patrie. Les Wisigoths créèrent ainsi le régime foncier féodal dont certains lambeaux sont parvenus jusqu'à nous et qui fut la charpente de la France jusqu'en 1789. Leur droit fut consigné dans le Bréviaire d'Alaric publié en 506 à Aire-sur-Adour. Un grand colloque universitaire de trois jours y fêta son quinzième centenaire l'an passé.
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On comprend que cette situation enviable ait attiré les mouches. Particulièrement celles qui moisissaient dans les brumes du Nord où rouillaient leurs armures.
Il faut toujours un motif supérieur dans les entreprises humaines de confiscation fondées sur la cupidité ou l'hégémonie. Le plus sûr est la guerre de religion dont l'Occident et l'Orient se serviront maintes fois. En l'espèce, il fallait exterminer les hérétiques ariens, surtout l'église wisigothe arienne constituée, pour rétablir la quiétude des catholiques romains par la paix des cimetières.
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Après Vouillé les ravages furent immenses. L'Occitanie réduite jusqu'aux Pyrénées qui bloquèrent Clovis, fut dépecée dans le style de partage des dépouilles en vigueur à l'époque, et le fabuleux trésor wisigothique d'Alaric récupéré par les Mérovingiens, sauf la partie cachée dans la région de Rennes le Château comme le pensent les fumeurs de shit à poêle magnétique.
La conquête des âmes par la Cavalerie allait dévaster trois fois encore le pays.
Les sectateurs du Prophète renforcés des Alains et Vandales de jadis, franchirent les Pyrénées et déferlèrent en 719 sur le Midi toujours instable depuis le VI° siècle. Les Francs qui vivaient de la mise en coupe réglée des paysans, de pillages et rapines sans rien produire eux-mêmes, suscitaient des résistances parfois très fortes des autochtones. Le désordre facilita la conquête maure et leur permit parfois à recruter localement des supplétifs. Charles Martel vainquit à Poitiers des compagnies gasconnes autant que sarrasines et descendit ravager l'Aquitaine et la Provence où il gagnera son surnom ! Il faudra attendre l'Empire carolingien pour que le pays retrouve une ère de paix et la possibilité d'une administration civile normale. Curieusement les communautés qui avaient survécu à la colonisation franque et aux Sarrasins s'épanouirent non pas dans le cadre urbain abandonné par les Romains, ni dans le cadre militaire laissé par les Francs, mais dans le cadre féodal et rural légué par les Wisigoths. Etonnant quand on note que le royaume wisigothique ne dura en tout et pour tout que 95 ans au nord des Pyrénées (412-507).
Ce fut le peuple barbare le plus prestigieux d'Europe, tant par sa longue histoire et ses origines mythiques - les rois descendaient du dieu Gaut - que par les traces qu'il laissa longtemps dans les esprits et dans l'art. Leurs vainqueurs se disputaient leurs utérus et certains les rattachent à la diaspora juive de Dacie. Les ancêtres paternels de Blanche de Castille portaient un titre d'empereur d'Espagne en héritage des rois wisigoths. Ils n'ont jamais complètement disparu.
La fois suivante fut la répétition de la même pièce. L'Eglise catholique romaine considéra insupportable que les populations occitanes lui préfèrent une religion duale de purs esprits comme le catharisme, qui dans sa propagation préfigurait d'ailleurs le prosélytisme huguenot. Le prétexte fut saisi à la fois par les Francimans et par l'Eglise romaine de confisquer ce Midi qui s'était détaché du Nord à la faveur des divisions de l'empire carolingien. On prêcha la croisade en terre chrétienne (un comble !) et la guerre fut atroce, menée avec une sauvagerie épouvantable par les armées des vassaux de Philippe Auguste. L'extermination des Parfaits et l'abaissement du Languedoc durera vingt ans, avec quelques chagrins comme la mort du roi Pierre II d'Aragon à Muret et quelques satisfactions comme celle du comte de Leicester sous les murs de Toulouse et du roi Louis VIII à Montpensier, qui avait préféré combattre les peuples latins pour plaire au souverain pontife plutôt que de bouter l'Anglais hors de France, qui était son vrai ennemi.
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Le calvinisme sera le prétexte de la quatrième et dernière invasion du Sud à des motifs religieux ; mais en l'espèce, les Huguenots ayant beaucoup appris des déboires précédents, prirent le parti dès le début de se venger préventivement des Catholiques, ce qui fait que les torts restent partagés, ce que contestent les Protestants qui instrumentalisent la guerre des Camisards en toute mauvaise foi.
Nation et Patrie sont donc bien différentes. Il y a plusieurs patries dans la nation. Commémorer Vouillé en victoire nationale comme se proposent de le faire les 37è Journées Chouannes de Chiré-en-Montreuil ce week-end, est une hérésie. C'est pour moi un désastre, Vouillé 507 ! D'accord, quinze siècles ont passé cette année ; mais admettez que la France n'a pas quinze siècles à ce jour ! Ses "patries" sont bien plus anciennes et diversifiées qu'elle, pensez à la Bretagne de Merlin l'enchanteur, l'Auvergne avare de son soutien à Vercingétorix, la douce Provence romaine, terre d'empire puis pontificale, la Narbonnaise antique devenue Septimanie puis marche impériale de Gothie, le Pays basque fondé par les Atlantes ! (on me dit dans l'oreillette qu'on en doute).
Ces terres n'ont pas conservé que du folklore. A preuve le renouveau occitan un moment freiné par les deux guerres mondiales que la Nation dût engager, est vigoureux. Les noms des rois d'Aragon et celui des grandes maisons languedociennes, les Trencavel, Saint Gilles, Anduze, Armagnac, se rencontrent sur les plaques de rue. On en baptise les écoles pour élargir l'Histoire à toute la "nation occitane". Même l'université de Valence à l'extrême-sud s'en est emparée et fournit des recherches fouillées. Le catharisme renaît aussi de ses cendres parmi les fous, profitant du recul de l'Eglise romaine dont bien sûr on raconte à l'envi les excès inexpiables. La Nation ne peut être qu'un prisme.
Les nationalistes seraient bien avisés d'intégrer certains paramètres pour comprendre pourquoi les peuples de France ne font pas toujours bloc, pourquoi ils votent une fois non à la fédération européenne et deux ans plus tard oui à la même chose. Pourquoi aussi les religions officielles, chrétiennes ou musulmanes, sont débinées voire craintes. Les enjeux sont multiples dans les esprits, il n'y a pas de bons et de mauvais Français. Il y a de bonnes et de mauvaises mémoires.
On peut transporter sa nation, pas sa patrie. Quand je suis en Chine j'y entraîne ma nation parmi d'autres nations, j'ai même un passeport pour m'en souvenir, mais c'est ma patrie occitane qui me manque, moins que mon pagus, moins que ma famille.
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Je vous trouve bien dur avec les Camisards et leurs descendants.
RépondreSupprimerD'autant plus que le lien (très discutable sur le plan historique et théologique) que vous établissez entre Huguenots et Cathares vient tout droit de l'historiographie romantique qu'a créée au 19ème le pasteur Napoléon Roussel.
Il a d'ailleurs fallu du temps avant que la geste camisarde en vienne à être glorifiée dans la mémoire collective des protestants français. Après tout, même un calviniste poitevin a peu de liens avec cet épisode.
Je ne saurais me placer sur les plans historique ou théologique, mais à celui du ressenti, aux traces qui perdurent encore (dans ma famille), je crois pouvoir avancer que catharisme et calvinisme participent du même rejet intime dans ma sphère de conscience.
RépondreSupprimerElle est quand même étonnante cette propension des peuples du bas-Languedoc à sauter sur tous les schismes qui passent !
Est-ce vous (K) qui avez proposé la parabole des jardins sur le forum Vive le roi ?
RépondreSupprimerEvet effendim !
RépondreSupprimerK.
Catoneo,
RépondreSupprimerVous êtes le Goth-et-Millau du Royalisme et de tout le Grand Sud !