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Erosion des cultes

C’est un petit immeuble triste, situé rue Marie-Rose dans le 14ème arrondissement de Paris. Jusqu'à ces derniers temps une plaque commémorative accueillait les curieux. Elle a été déposée à la demande des habitants. On y lisait :
[ Ici vécut Lénine de juillet 1909 à juin 1912 ]
Quatre-vingt-dix ans après la prise du Palais d’Hiver, le seul musée français consacré au grand révolutionnaire a fermé ses portes. Dans l’indifférence quasi générale, nous dit M. Hacquemand du Collectif Bellaciao avant de pleurer à chaudes larmes. Pensez donc, on y chantait l'Internationale une fois par an à se pâmer de douleur ! Le local-musée appartenant au Parti communiste qui n'a plus les moyens de sa nostalgie, a été vidé et reloué. Il reste les murs cramoisis, le plancher qui craque, et les mânes de Vladimir Ilitch que l'on pourra une fois par an convoquer en faisant tourner les tables.
...

chapelle blancheCompatissons, il est tant de souvenirs qui disparaissent, et chacun a ses propres regrets ! Les miens concernent les églises rurales, non pas celles inscrites à l'inventaire des monuments historiques - quoique la faillite de l'Etat doive un jour se répercuter aussi sur le patrimoine cultuel -, mais les églises simples, bâties sans autre prétention que de servir de paratonnerre religieux aux communautés qui les avaient édifiées. Un village de France sans église c'est comme une belle femme à qui il manque un oeil. Et nos édiles, peut-être un peu limités dès fois, d'invoquer le principe de précaution pour prendre l'arrêté de péril qui va élargir la lézarde condamnant l'ouvrage. Il y a toujours quelque chose de plus urgent à réparer qu'un édifice fermé et dès lors inutile. Dans la foulée de l'arrêté surgissent les devis. A les lire vous ne pouvez croire qu'il s'agisse de maçonnerie, charpente et couverture. Ce ne serait que ça que l'entrepreneur et son donneur d'ordres ne sauraient justifier les chiffres mirobolants qu'ils avancent pour renflouer l'ouvrage. L'échafaudage capitonné et le principe de précautions élargies vous mangent vite un tiers des crédits pour simplement préserver le voisinage de la poussière du chantier ; et encore nos ancêtres ne le connaissant pas, avaient-ils dû se passer d'amiante !

Sans s'étendre sur la possible vengeance du "franc-maçon honteux", qu'en est-il au fond ? Au fond du puits ? La vérité ?
Cinq pour cent des Français sont catholiques. Du moins est-ce le pourcentage de ceux qui se déplacent occasionnellement ou un peu plus souvent à l'église. Et rien ne dit que ce soit à la campagne que l'on y aille le plus ! Sans doute est-on arrivé au taquet. Quatre pour cent le seuil de résistance infranchissable (?). Mais c'est une moyenne. La déchristianisation des terroirs a précédé celle des villes où les églises se remplissent encore le dimanche. Certaines paroisses rurales sont retournées carrément au paganisme, parce que l'athéisme c'est quand même assez compliqué à gérer pour l'angoisse métaphysique du paysan isolé.

Dans un corps social vient un jour où la dysfonction détruit l'organe. Quand a commencé la déchristianisation ? Je n'en sais rien ; certains la font remonter avant la révolution française, mais quelle que soit l'origine de la pente, elle descend inexorablement depuis. Personne de sérieux n'a le projet d'abattre les églises parce qu'elles sont vides, mais s'il n'y a plus de fidèles à pousser l'in toto corde meo à 11 heures le dimanche, les voûtes pleurent un jour la poussière, leurs clefs d'effritent et se mettent à branler, les arcs s'assoient, l'effondrement s'annonce, et les tribunes du stade local de football réclament au même moment des soins attentifs. Entre la ruine humide et vide et la tribune festive où l'élu serre des mains, il n'y a pas photo.
Certains maires sont attentifs au volet non rémunérateur en voix de leur charge, et s'intéressent au patrimoine laissé par leurs prédécesseurs. D'autres réagissent en petits satrapes et ne supportent aucune contradiction ; s'ils ont décidé que la flèche du clocher, ou la voûte, allait tomber, elle tombera ! Ceux-là doivent être circonvenus. Il s'agit d'éviter l'irréparable mais en étant réalistes.

église et cimetière
Que faire contre l'usure des moeurs et du temps ?
Prier est sans doute une bonne chose, pour les paralytiques. Le Seigneur a tant à faire avec la perdition générale du monde pour délaisser un moment nos problèmes de couvreur-zingueur. A 5% autant ne pas nous disperser, voire faire au feu sa part, au sens littéral.

Si toutes les églises ne sont pas conservables, toutes doivent servir. Les plus moches ou les plus ruinées comme monnaie d'échange, car le foncier est cher. Celles qui méritent de voir le siècle prochain doivent être entourées de tous nos soins. "Tous" implique une organisation complète au-delà de l'imprécation. A commencer par la création d'une association locale ad hoc, car dans notre République on a la manie de ne discuter que dans le champ associatif ou syndical et jamais avec les individus.

Limiter ensuite l'action à une pétition photocopiée, même renouvelée chaque année, ne sert à rien, car si l'ouvrage est en péril, il est de grandes chances que sa fréquentation comme l'intérêt qu'on lui porte, aient été faibles jusque là. L'association doit rechercher des compétences bien avant les bonnes volontés. Celles-ci s'agrègeront facilement ensuite. Un cabinet d'architecture, un sponsor privé voire parapublic, des notables, et un peu d'argent pour défrayer les "activistes" des menus débours. Mais à l'impossible nul n'est tenu et il est inutile de vouloir relever une ruine.

L'axe d'effort devrait être la collaboration. Après avoir fait monter les enchères bien sûr, car il y a une mentalité de souk chez nos édiles accoutumés à la négociation permanente en position de nuisance. Après les injonctions morales, les interpellations publiques lors d'inaugurations et les menaces électorales, il faut arriver à vendre le projet de restauration de l'édifice en partageant les coûts. A l'instar des baux civils qui parlent de "clos, couvert", la commune doit assurer la solidité et l'étanchéité du gros oeuvre, l'association prenant à sa charge tout le second oeuvre et les réseaux. Les exemples abondent qu'avec du bénévolat on en vient à bout. Mais le partage ne peut pas être que financier, sinon il y aura peu à mettre dans le bulletin municipal à la gloire du maire. Il faut partager l'usage.

Pour l'usage des lieux, il est mieux de créer une seconde association car les intéressés ne sont pas exactement les mêmes. Les manifestations culturelles doivent alterner avec les manifestations cultuelles et forcément dans un esprit très oecuménique, vu la faiblesse du marché. Les concerts vont bien dans les églises, les expositions d'art aussi. Mais les fêtes du livre, les brocantes aussi. Au Moyen Âge l'église, maison commune, était l'abri de bien des activités humaines, il n'y a aucun sacrilège à faire revivre une église en la peuplant d'activités humaines. Il suffit qu'il y ait un temps pour le recueillement, voire le culte si les fidèles sont là. Notez que les ouvrages restaurés, restaurent à leur tour les coeurs et ramènent du monde.
J'ai oublié quelqu'un ? Le diocèse peut-être. Une autre fois ?

Epilogue
églisette lacustreIl était au bout du pré de mon enfance une petite chapelle abandonnée, si petite et tout proche de la rivière mais hors du niveau des crues qu'on pouvait penser qu'elle marquait de fait l'emplacement d'un de ces vieux oratoires un peu païens, un peu romains, récupérés un jour par le prieur de l'endroit pour asseoir son autorité par le medium d'une sainte locale en bois. Au bord de l'eau c'est toujours une sainte. A cent mètres de là, les Celtes ruthènes dansaient avec d'obscènes ribaudes aux chairs nues autour de la statue impie de la déesse Ruth. Cette salope fut foudroyée par la crosse du saint évêque Amans un jour d'orage. A-t-on bâti alors la petite chapelle comme pied de nez à la nouvelle autorité, en enfouissant des artefacts périmés sous l'autel ? J'aime le croire.
J'ai un faible pour les petits endroits, on y entend des choses. L'édifice, on dirait presque mieux l'édicule, fut laissé à ronger par les intempéries jusqu'à devenir méconnaissable, puis fut enlacé de lierre, enroncé à son tour. Vint un jour l'ouverture du chantier du camping municipal au bord de l'eau, et les engins niveleurs ne firent qu'une bouchée de la petite chapelle.
J'étais enfant et souvent occupé à réparer ma mobylette, mais il aurait suffi de peu de choses pour sauver la chapelle avec quelques copains de la troupe scoute, si nous avions su comment procéder. A la misère "ils" ajoutèrent l'insulte : une rue du nouveau quartier fut baptisée "rue de la chapelle". Les huns !

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