D’autant moins que nos difficultés budgétaires apparaissent ci et là dans le débat d’orientation, au point de laisser croire aux autres que nous chercherions à mutualiser la dépense et à privatiser la gloire. En outre les exemples d’engagements militaires fournis pour exalter la convergence hors de la suzeraineté américaine sont tous des cas de non-guerre et s’apparentent à des opérations de gendarmerie de masse ; y compris l’engagement afghan, même si les gueux de la montagne s’avèrent particulièrement retors. La première définition qui ressort des textes préparés pour cette communauté de défense est la « gestion » des crises internationales. Pas d’odeur de cheddite dans le classeur. Au résultat, nous souhaiterions déployer sous notre commandement un corps de bataillons humanitaires coalisés, les médecins-pompiers-gendarmes sans frontières, mais quant à engager à chaud les futures brigades aéro-blindées russes, il nous faut encore réfléchir ! Pourquoi ?
La guerre « ensemble » convoque la confiance au-delà de la convergence des perceptions. Or, les pays de l'Est ont moins confiance dans la France en guerre que nous le laissent croire les directeurs de l’OIF (francophonie). Ce pays a un réflexe fâcheux de dérobade. L'histoire est plus vivante à l'Est qu'à l'Ouest où les fabulistes sont en charge de son enseignement. A Munich, nous avons livré notre frère tchèque, notre frère puisque la Tchécoslovaquie d'alors se considérait comme le jumeau slave de la République française ; tout y était pareil, la culture et les arts étaient français, les industries collaboraient, les universités s'interpénétraient, les relations étaient si étroites et amicales qu’il n’y a plus d’exemple d’une pareille « fusion » de nos jours, même avec le Liban, tant célébré. Chamberlain n’en eut cure ; Daladier en période électorale, approuva. Ils furent acclamés.
En 39 nous avons déclaré la guerre "Pour la Pologne" mais n'avons pas attaqué le Reich, comme prévu aux accords de défense franco-polonais pour obliger la Wehrmacht à diviser ses forces. En 40 nous avons conclu un armistice séparé de confort, laissant le Royaume Uni seul à encaisser tout le choc de l’offensive allemande ! Quatorze pilotes français sauveront l’honneur à la bataille d’Angleterre sous la cocarde anglaise (quatre seulement finiront la guerre).
Pendant la guerre froide qui suivit la guerre de Corée, nous devînmes l'interlocuteur occidental privilégié des Soviétiques auxquels nous faisions mille grâces ! Nous avions même retiré d'URSS tous nos "honorables correspondants" sauf un, l’officier du SDEC de l'ambassade à Moscou. Nous étions aussi le grand ami des Ceaucescu(!), et décalquions de nos modèles yougoslaves l’autogestion des entreprises publiques et la DOT (défense opérationnelle du territoire). Nous étions mentalement intoxiqués par le marxisme-léninisme à tel point que le président Vaclav Havel en visite pour la première fois en France en 1994(!) en détecta immédiatement les nombreuses empreintes et déclara lors de son retour à Prague qu’il revenait d’une Union soviétique qui aurait réussi (je radote, je sais l’avoir déjà dit, mais ces gens perçoivent des réalités imperceptibles par les addictés au socialisme !).
En pleine guerre froide et pas si loin de son pic d’intensité que fut la crise de Cuba de 1962, nous avons quitté en 66 les commandements OTAN qui ont été chassés de France, mettant notre propre pays en grave danger car notre capacité de défense sur le théâtre continental était alors ridiculement basse ; ce retrait a bien sûr fragilisé l'Alliance durant toute la période de son redéploiement, et le « French Denial » devint un paramètre permanent de tous les exercices alliés ultérieurs ; traces indélébiles qui ressurgirent dans la presse américaine à l’occasion de la seconde guerre d’Irak.
Il est très présomptueux de notre part de croire que les pays de l’Est achèteront « notre » pôle européen de défense autonome, parce que tout simplement ils ne croient qu’à l’OTAN et à la détermination américaine ; celle-là même qui nous mettrait justement en danger selon notre lecture des causes d’une guerre. Au premier conflit d’intérêts stratégiques au sein de l’Alliance en période de crise internationale, nous nous retrouverons seuls ! Dans l'effroi, tout le monde choisira le Choc yankee à la Négociation philosophique française. Le président Sarkozy ressent des vibrations de ce genre mais ne peut les publier. Sa seule porte de sortie est de différencier les niveaux d'opérations :
A l’Europe militaire, le ministère européen de la Défense, la gestion des crises de basse intensité et des cataclysmes naturels dans sa sphère géographique d’influence ; l’empire d’Alexandre le Grand (humour)?
A l’OTAN, le ministère occidental de la Guerre, l’immanence de la menace occidentale, la conduite de la guerre absolue (au sens de Clausewitz). Ce n’est pas traîner de sabres que de vouloir faire peur. Sage attitude au contraire !
La guerre vraie est-elle envisagée dans la PESD ? C’est un peu la question que les Américains nous posent, agacés de voir la riche Europe soigner ses modèles sociaux en réduisant ses budgets militaires. La Menace peut être évaluée par les analystes géostratégiques en azimut, calendrier et intensité, mais en aucun cas ceux-ci n’ont conclu à sa disparition, car la guerre est le propre de l’homme comme son rire ! Combien de fois me suis-je surpris dans le RER à maîtriser des pulsions de meurtre ?
Or pour vendre le projet de musculation de la PESD**, les Européistes à tout crin minimisent l’éventualité d’une guerre totale ou absolue, confiants dans la méthode Coué des discussions apaisantes, des conférences à l’eau glacée, des pauses-cafés explicatives, et des casques blancs d’interposition à compte de tiers.
Il est une conséquence de la PESD que nous préférons ne pas voir non plus, au contraire des Slaves qui la craignent ouvertement : que les Etats-Unis, à bout de souffle budgétaire et mobilisés sur le Moyen-Orient et le Pacifique nord, sautent sur l'occasion de la création d’un grand pôle de défense européenne pour retirer toutes leurs forces du sous-continent, laissant la riche Europe des Lumières se démerder. Comme les Européens seront incapables démocratiquement d’accroître leurs budgets militaires pour se mettre au niveau requis, en les doublant au moins car en dessous de 4% du PIB global nous ne ferons peur à personne, la Russie de Poutine ou une coalition du Croissant seront susceptibles de venir un jour ici dicter leur loi.
Seule notre capacité physique et mentale de délivrer le Choc sera respectée par nos contempteurs, et la PESD c’est de l’eau tiède. La préparation d’une guerre ne doit être conduite que pour écraser les armées ennemies et les anéantir. Tout autre tentation de gradation de la riposte, d’apaisements préalables, affaiblit ostensiblement la garde, insinue le doute de notre résolution dans l’esprit de nos adversaires, ouvre des couloirs de contournement pour nos alliés les moins sûrs. Même si la conduite d’une guerre déclarée doit garder toutes les options possibles dans le cartable d’état-major, elle doit être annoncée comme implacable et brutale. Plus violemment vise-t-on l’éradication rapide des forces militaires ennemies, plus sûrement on protègera son peuple des souffrances d’une guerre interminée qui peut devenir totale, sinon subversive, et rapidement fatale dans l’état de désarmement moral où se trouvent bien des peuples d’Europe occidentale. Dans la ouate de notre modèle social nous avons atteint le point de liquéfaction morale.
Ceux de nos enfants qui se relèveront alors des cendres de la prochaine viendront pisser sur nos tombes défleuries : « Ils étaient donc si riches et si niais ! »
En conclusion, fédérons un grand corps européen d’intervention humanitaire capable d’intervenir à bref délai par toute la planète, ce qui nous donnera une pose avantageuse dans les conférences internationales. Au même moment ramenons l’OTAN sur ses bases sûres et musclons la, après avoir choisi d’en être totalement "sans reproches ni murmures" ; sinon, de la quitter complètement avec le courage des martyrs chrétiens. Question de dignité, même si les allumettes ne servent qu'une fois.
Footnotes :
* CED de 1952 : voir l’article de la Wikipedia.
** PESD, Politique européenne de Sécurité et de Défense : voir également l’article de la Wikipedia et le dossier Euractiv.com
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