Une émission de Jean-Pierre Tésévou Elkabbach à la Bibliothèque Médicis a réuni des professionnels des affaires étrangères toutes griffes dehors et un journaliste allemand, actif à cette époque dans les plus hautes sphères. Ce dernier attira tout l'intérêt. Cette émission est accessible sur la chaîne Public Sénat ou ci-dessous page suivante. On apprend que la chute du Mur créera par ricochet l'Euro au mois de décembre 1989 (même si le nom n'était pas encore arrêté). Nous vous la recommandons.
Je ne pourrais apporter après cette émission que mon témoignage de lonesome piéton et le souvenir de mes propres réactions et celles de mon entourage lors de cette journée historique.
Trois axes de réactions en Occident :
Les militaires : grande alarme à Berlin entre les chefs locaux des quatre nations occupantes. Ils n'avaient pas d'instructions. A Haren-Evere¹ (Bruxelles), on abaissait déjà mentalement les drapeaux de l'Alliance atlantique pour y nouer le crêpe noir ; pour presque tous l'OTAN était finie. Deux ans de travaux de liquidation de l'administration par les fonctionnaires internationaux du siège et des agences, ensuite chacun devrait se battre pour réintégrer les fonctions publiques nationales.
Les FFA² comprenaient aussi qu'elles repassaient le Rhin, sous les délais nécessaires au casernement des unités en métropole. Forcément le nombre d'unités serait allégé.
A noter que si les FFA furent dissoutes (en deux fois), l'OTAN a fait sa mue en phagocytant les républiques orientales, et demeure active, face au même "péril".
Les politiques : deux réactions très négatives qui furent par la suite estompées par la diplomatie, celles du Royaume-Uni (Thatcher) et de la France (Mitterrand). Une réaction dubitative : celle de la Pologne, un peu sur le cul d'être à l'origine³ du grand chambardement.
Les communicateurs autorisés intervinrent sur les ondes françaises pour nous expliquer toutes les conditions que l'Allemagne aurait à remplir avant de songer à une réunification de la Grande Allemagne au cours de la prochaine décennie, Grande Allemagne qui à nouveau leur faisait peur. Finalement, le gouvernement de Bonn jouera perso pour gérer l'avènement du vieux pays, achètera le retrait des troupes russes, et mettra la France et l'Angleterre devant le fait accompli. Helmut Kohl savait déjà que l'occasion était historique de renouer avec le passé, et dans son élan d'enthousiasme refusait la ligne Oder-Neisse qui lui barrait l'accès à la Poméranie**. Il comprendra vite que c'était le pas trop loin pour tous ses voisins et reviendra dans les frontières de 1945, mais en refusant un traité de paix dont les conséquences pécuniaires pouvaient être énormes.
Seuls les Allemands savaient où ils allaient et le prix élevé de leur réunification. Leurs alliés, intoxiqués par une supposée santé prussienne de l'économie socialiste de RDA, pataugeaient dans la désinformation, et les Russes à court d'argent tendaient la main. L'Allemagne paiera tout le monde en cash, en crédits, en accords européens. Déjà les petites communautés allemandes expatriées en Union soviétique et jusqu'en Roumanie faisaient leurs paquets pour rentrer à la "maison".
Le 9 novembre 1989, le cycle imbécile des guerres européennes initié par la Prusse se terminait. L'Europe serait désormais libre, pacifiste et... européenne ! Vingt ans plus tard, le chantier est encore ouvert.
Un jeune officier du KGB vivra au quotidien la liquéfaction rapide de l'Armée Rouge en RDA : il s'appelait Vladimir Poutine, il en tirera la leçon.
Les peuples : nos amis de l'Est étaient fous de joie, au point qu'ils furent sans doute déçus tant ils attendaient de l'Eldorado occidental. Ils n'avaient pas encore perçu les "cadences infernales" qui étaient nécessaires pour faire fortune à l'Ouest. Les Français de la rue toujours partant pour le camp de la liberté, étaient heureux. N'y connaissant personne, je ne sais si les cadres du PCF mirent du temps à comprendre qu'ils étaient condamnés, dès lors plus sûrement par la chute du Mur que par le Programme Commun anachronique de 1981.
Une chose est sûre avec du recul, les peuples européens ont compris l'avenir plus vite que leurs dirigeants, Helmut Kohl mis à part.
Un très bon dossier du CEPII*** sur la réunification par ici
Note (1): Siège du Secrétariat Général de l'OTAN en Belgique
Note (2): Forces Françaises en Allemagne, quartier général à Baden-Baden
Note (3): Insurrections de Solidarnosc à Gdansk et ailleurs en Pologne en 1980
Note (**): Dans les mentalités allemandes et sur les cartes Météo de la télévision, la RDA s'appelait "Mitteldeutschland", ce qui signifiait qu'il y avait encore une Allemagne plus orientale.
Note (***): Centre d'Etudes Prospectives et d'Informations Internationales, gros thinktank français de stratégie économique.
Si l'article vous a plu ou déplu, vous pouvez aussi le faire suivre à un ami en cliquant sur la petite enveloppe ci-dessous :
Un fil a été ouvert sur le forum VLR pour évoquer la chute du Mur.
RépondreSupprimerCLIC