vendredi 5 novembre 2010

Cameron coupe l'élan

" Zeal Does Not Rest " (l'infatigable élan), telle est la devise de l'Ark Royal, porte-aéronefs mythique que le premier ministre Cameron vient d'envoyer par le fond dans la Strategic Defense and Security Review (SDR). Brutal n'est pas assez fort. L'Angleterre est une puissance océanique depuis Henri VIII, qui construisit un véritable "système de guerre navale" avec un ministère et un budget indépendants, ses arsenaux en propre, des bâtiments de guerre dédiés en permanence aux ordres du pouvoir, un recrutement exigeant, une stratégie maritime. "Britannia rules the waves" : les intérêts anglais sont indissociables de ceux de la Royal Navy qui se couvrit de gloire sur les Sept Mers, et l'on comprend pourquoi sa réduction drastique suscite autant d'émoi dans les cambuses.

Securing Britain in an Age of Uncertainty¹, tel est le titre de la SDR 2010. Les états-majors phosphorent sur la guerre du futur sans aboutir à une certitude mais devinent plusieurs éventualités de niveaux et structures divers. On peut tout aussi bien voir s'affronter notre vieil occident et les puissances émergentes dans un conflit de haute intensité, que participer au confinement de pouvoirs régionaux dopés à la testostérone atomique, que contrer le djihad asymétrique d'un islam en guerre ouverte contre le reste du monde, que parer un blitzkrieg cybernétique capable de détruire les réseaux industriels et bancaires du pays. Sans compter l'imprévu ! Chaque réponse absorbe des moyens complètement différents et convoque une ingénierie distincte. Or, eux comme nous, n'ont d'argent pour tout faire ; même les Etats-Unis ont de gros doutes sur la pertinence de certains systèmes d'armes impressionnants certes mais inefficaces au résultat.

Ne pouvant reprendre ici tout le projet Cameron qui vise à réduire de 25% l'enveloppe globale de Whitehall, attachons-nous au volet "marine" puisque nous y sommes impliqués. Selon l'almanach Flottes de Combat, nos deux marines de guerre s'équivalent, ce qui facilite une coopération. Dans les bâtiments d'escadre, nous alignons un porte-avions, deux porte-aéronefs, treize frégates de tous types, six sous-marins nucléaires d'attaque. La permanence à la mer de notre dissuasion est assurée par quatre sous-marins lanceurs d'engins. L'Amirauté aligne trois porte-aéronefs, onze frégates, douze sous-marins nucléaires d'attaque . Sa dissuasion repose également sur quatre sous-marins lanceurs d'engins. Le tonnage de bâtiments ancillaires (avisos et amphibie) est du même ordre de grandeur et au final, nous avons de part et d'autre le même nombre de navires, cinquante-deux.

Outre la suppression de quatre mille postes budgétaires de marins, le cabinet Cameron désarme immédiatement l'Ark Royal et ferraille sa flottille de chasseurs Harrier à décollage court. Les deux porte-avions budgétés seront terminés (2016-2020) car il en coûterait plus cher de les arrêter. Un seul sera maintenu en service. Le Queen Elisabeth sera doté de catapultes et brins d'arrêt pour accueillir les avions alliés, français et américains. Le second sera naphtalisé par l'Amirauté dès qu'il sera reçu. D'aucun pensent que si la situation budgétaire l'exige, celui-ci sera vendu ; à l'Inde ? comme le suggère la Section Défense des Communes ? A noter que ces bâtiments n'auront aucune flottille britannique embarquée avant 2020. Si les quatre sous-marins stratégiques sont conservés, les têtes des engins balistiques, qui ne seront renouvelées que dans cinq ans, seront simplifiées et le nombre d'ogives nucléaires divisé par deux. Quatre autres bâtiments d'escadre seront désarmés. Les neufs gros patrouilleurs maritimes Nimrod-4 sont abandonnés. Par contre sept sous-marins nucléaires d'attaque (type Astute) sur douze sont maintenus.
Tous les chasseurs Harrier seront progressivement retirés du service en 2012 car trop chers à entretenir. Il faut payer les contrats Eurofighter Typhoon et JSF35 américains de la Royal Air Force qui deviennent hors de prix même réduits en nombre. Le Commander John Muxworthy, patron du UKNDA (UK National Defence Association) qui soutient les Armées, a déclaré dès la publication du rapport que "la Marine allait être décimée, ce qui était impardonnable et que l'histoire n'oublierait jamais". Mais que faire sans guinées ? Taxer la Reine ?

Par la réforme de ses trois armées qui sont recentrées sur leur coeur de métier sans concessions à la nostalgie d'une grandeur enfuie, la Grande Bretagne largue la défense des intérêts flous assumée par les cabinets Blair et Brown, ces guerres coûteuses que l'on ne gagne ni ne perd, et qui engagent l'ennemi trop loin des lignes critiques d'attaque. La SDR 2010² établit clairement l'utilité des armées britanniques : d'abord (i) garantir la sûreté et la résistance du Royaume-Uni, dans sa population, son économie, ses infrastructures, son territoire et... son mode de vie. Ensuite, (ii) oeuvrer à la stabilisation du monde et veiller aux intérêts du pays outremer sans s'interdire d'éradiquer les menaces à leur source. On verra peu dans le futur les armées de sa Gracieuse Majesté pacifier de grands territoires jusqu'à l'enlisement pour plaire à la Maison Blanche, mais elles resteront en capacité de frapper vite et fort contre les menaces distantes. Du moins c'est ce que le cabinet Cameron essaie de vendre³, un peu comme Hervé Morin le fit dans son Livre Blanc, pour se déjuger ensuite sur fond de crise financière internationale.

La SDR était à l'agenda de la rencontre au sommet Sarkozy-Cameron d'avant-hier. La France y est déclarée partenaire militaire principal du Royaume Uni depuis notre retour au commandement atlantique intégré. Les Anglais, obligés de coopérer pour maintenir leur rang, choisissent un partenaire à leur taille qui ne les embarquera pas dans une aventure. Ils résolvent ce faisant plusieurs failles critiques du dispositif naval français, à commencer par la présence permanente à la mer d'un groupe aéro-naval. L'affirmation maritime de notre souveraineté ne peut se conduire avec le système à éclipses actuel du Charles-De-Gaulle. Si nous avions de l'argent, nous pourrions même acheter leur second porte-avions, ce que le rapport nous suggère d'ailleurs. A défaut, nous pouvons répartir entre nos deux pays la formation du groupe aéro-naval en modulant sa composition en fonction des navires disponibles à la mer chez chacun. L'autre impact de la réforme anglaise est indirect : c'est la réhabilitation du Rafale. Cet avion multi-rôles a été beaucoup critiqué par ses concurrents. Si la mise au rebut des Harriers de l'aéronavale laisse la Grande Bretagne avec deux modèles d'avions de combat modernes (Tornado et Eurofighter Typhoon), ces modèles sont typiquement "continentaux" car non embarqués. Le JSF35C américain n'arrivera pas avant 2020. L'argument de la polyvalence renaît.

Ce billet a paru dans l'Action Française 2000 datée du 4 octobre (N°2804) sous le titre "La Navy coulée par la crise".

Notes :
(1) : Mettre la Grande Bretagne en sûreté dans un âge d'incertitudes
(2) On peut se procurer la SDR en ligne par ici
(3) Le programme politique de défense de la coalition au pouvoir est accessible par là


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