lundi 15 novembre 2010

L'attelage Fillon-Juppé

L'excellent avocat général Bilger Philippe a fait danser les ministres avant la proclamation des résultats. Je vous convie à entendre le menuet bilgérien à la mode de La Bruyère, ça vaut son pesant d'hermine : philippebilger.com. Mais venons-en à l'actualité.
Il est réconfortant, quelques minutes, de voir les compétences affluer au cabinet Fillon 2 et les baudruches sortir. Mais je conserve mon estime à certains qui partent vaincus par la Machine, après avoir fait du mieux possible, comme Eric Woerth, grand naïf qui a oublié de refermer de pot de confiture de l'UMP, Fadela Amara dans Mission impossible, Rama Yade et sa spontanéité obligatoirement démentie par la tutelle.
J'applaudis avec mention très bien au licenciement de notre ministre hilare des affaires étranges, son seuil d'incompétence était depuis longtemps franchi et la date de péremption échue dès son premier lifting politique. Il fit partie du casting du cabinet de téléréalité précédent, où l'on voit souvent des vieux à l'usage de caution d'audience ! Il faudrait un billet complet pour relever ses cuirs, âneries et conneries, ce dont nous vous priverons dans une édition gratuite...
C'est sans regret aucun que je vois sortir Maître Devedjian, courtisan de second rang près des rideaux, qui portait aux nues le QI du "prince" Jean de Neuilly pour lui succéder un jour au Conseil général des Hauts de Seine après lui avoir fait louper la présidence de l'EPAD de la Défense ! A se demander comment Jean-Philippe Chauvin a pu le rater aux partielles de Bourg-la-Reine en octobre 2005. Je ne taperai pas sur le motodidacte niçois car il est des "temps-ne-fait-rien-à-l'affaire" sincères qui méritent le respect, au moins a-t-il le premier dit souvent la vérité, à temps et contretemps, et il vaut mieux que bien des énarques coincés pas catholiques. Par contre l'exil de Maître Borloo à Valenciennes est libérateur d'inquiétudes sérieuses. Avocat d'affaires en péril, il deviendra avocat d'affairiste et formera le couple infernal du renard et du chat de Pinocchio avec le redoutable dépeceur Tapie ! S'il avait pris Matignon, les portes s'ouvraient grand au compère...

Le buzz est le retour d'Alain Juppé. Le fort en thème est indiscutablement un homme d'Etat même si nous aurions aimé le voir se rebeller en vrai gaulliste contre les reculades du président Chirac lors des révoltes de 1995. "Droit dans ses bottes" jusqu'au coup de sifflet : pénalty !
Jean-Dominique Merchet a émis dimanche quelques doutes sur son blogue "Secret défense" quant au motif de ne pas se réjouir de l'arrivée de Juppé à l'hôtel de Brienne (clic). Les positions "chiraquiennes" du nouveau ministre tant sur l'Alliance atlantique que sur la dissuasion nucléaire ne conviennent pas à la situation du moment. Transparaît déjà cette propension au chantage à l'endroit de nos alliés pour améliorer l'illusion de nos positions, l'illusion seulement, mais n'est-ce pas le principal, dans la veine traditionnelle du gaullisme d'apparat ?

Il sera intéressant de voir comment François Fillon va décaler ses convictions "défense nationale" pour recadrer sans clash son ministre et concurrent qui déboîte de la file. Fillon assume les choix sarkoziens de recentrage au sein de l'Alliance. Canossa aurait-il déjà eu lieu à l'Elysée ?

Malgré les affirmations successives très documentées sur la coopération nucléaire européenne, aucun pays voisin n'a commencé à penser au début d'une possibilité d'un parapluie nucléaire français sur leur tête. Pour eux, cela relève du gag franchouillard imbitable. Parce qu'en ce domaine les intentions se heurtent immédiatement aux dispositions de mise en oeuvre, personne n'a osé publiquement leur proposer de "cogérer" leur ultima ratio avec nous. Bien leur en prend, vu le niveau où se traite ces choses ici. Carla Bruni est-elle consultée ? Qu'importe ! Pour tout le monde, sauf nous, il n'est qu'un parapluie qui ne vous mouille pas, c'est le parapluie américain. Faudra s'y faire.
Maintenant, que la dissuasion nucléaire héritée des cabinets gaullistes de la haute époque soit très lourde à maintenir dans un pays en faillite, ne préjuge en rien que l'issue ne soit que d'en partager les coûts. Avec qui d'ailleurs ? Les Anglais pressentis ont levé les yeux au ciel mais coopèrent dans les nouveaux laboratoires de tests et développements franco-anglais depuis le traité de Londres 2010. Nous ne pourrons jamais aller plus loin, sauf à embarquer dans la nef des fous de désarmement du Captain Obama ! Juppé se dit en phase. Rocard aussi ! Des économies par le ferraillage, logique froide. Seul un gaulliste pourrait défaire la tunique de Nessus si elle nous infecte, mais en revalorisant l'Alliance atlantique ! Sinon il nous mettrait à découvert. Débat corne-cul.

C'est là que le bas blesse. Juppé fait partie de cette école gaulliste qui donne à la France des droits spécifiques dans l'Alliance. Nos alliés ont beau chercher, il n'en voient aucun motif, pas même celui d'avoir gagné la seconde guerre mondiale sans la faire ! Dans une tribune au Monde, Alain Juppé exposait ses idées. Un court extrait, le document complet est consultable par ici :

En 1995, le président Chirac et le gouvernement que je dirigeais ont engagé un processus de rapprochement entre la France et l’OTAN. Nous y avions mis deux conditions clairement énoncées : d’abord parvenir à un partage équitable des responsabilités, c’est-à-dire des commandements, entre Américains et Européens ; ensuite obtenir de nos partenaires européens le lancement d’une politique européenne de sécurité et de défense (PESD) qui en soit une, ce qui supposait à la fois une volonté réelle de leur part et la levée de la réserve, voire du veto américain.
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Le partage équitable était impossible car les prétentions françaises - commander la Méditerranée - étaient exorbitantes au regard simplement des moyens disponibles sur zone, sans parler déjà de notre pusillanimité diplomatique. Sarkozy a obtenu quand même des commandements importants, dimensionnés à nos capacités et donc étanches à d'éventuelles réclamations de nos alliés, qui dans l'ensemble ont applaudi à notre retour au commandement intégré OTAN.

La "contrepartie" PESD vient d'être enterrée dans ses effets polémologiques par le traité de Londres qui n'en tient aucun compte, les Anglais n'y voyant qu'un fromage à bureaucrates (moi aussi). Alain Juppé est dès lors en porte-à-faux sur ses convictions. Comme il ne vient pas nettoyer les casernes (sic) - peut-être les vendre - il n'a de champ que sur l'affaire afghane.

La "solidarité européenne" proclamée, qui est le paravent chinois de notre antiaméricanisme, est justement testée dans la guerre que mène l'ISAF. Comme l'affirmait le vice-président Jo Biden, les Américains ne sont en Afghanistan que pour deux buts : casser définitivement Al-Qaïda et mettre les ogives atomiques pakistanaises en sûreté. Le reste est littérature pour les débats au Congrès. La méthode âprement discutée entre la Maison Blanche et le Pentagone est aussi très claire, qui exclue l'occupation prolongée ou la colonisation de l'espace afghan : clear, hold, build and transfer. Nettoyer l'espace, le tenir, y construire un environnement pérenne, le transférer aux autorités. Et cela avant la fin de la mandature.

La France, qui propose son industrie militaire et son bouclier nucléaire au Européens, ne peut se moucher du coude en se retirant d'Afghanistan à tout motif intéressant mais futile, alors que les dangers précités sont parfaitement "crédibles" et identifiés. Attend-on un avion sur la tour Montparnasse fraîchement désamiantée pour affermir notre résolution ? Des analystes sérieux non-américains commencent à prédire la fin d'Al-Qaïda sous les coups répétés de la CIA dans les territoires tribaux. Notre "spécificité" devrait au moins attendre qu'on ait incinéré la Bête. Ce qui ne laissera pas beaucoup de temps au ministre de la Défense pour s'accomplir dans son grand oeuvre. Il ne lui reste que dix-sept mois et sera-t-il peut-être accaparé très vite par la "politisation" du match Fillon 2.

"Après les retraites, on va faire de la politique"(Sarkozy)
En effet, le programme de gouvernement sera forcément confiné au bénéfice de la politique politicienne puisqu'il est déclaré par beaucoup (comme Bernard Debré), mais Sarkozy l'avait déclaré il y a six mois, que les temps à venir seront ceux de la campagne pour la présidentielle de 2012. Ainsi le cabinet noir en soupentes devrait-il s'impliquer en priorité à dézinguer la concurrence centriste au sein de la majorité et à contrer par tous moyens, parfois légaux, les actes et paroles de l'opposition socialiste, la seule en situation d'accéder. Bien attendre le petit bonhomme vert avant de traverser aux clous. Les sondages seront scrutés, les programmes déroulés en fonction des résultats médiatiques. La routine de la République, quoi : l'intérêt national commande... que mon parti soit à la passerelle. Qu'avons nous fait de tout ce temps pour banaliser notre offre politique de rechange ?
Hindou Kouch
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