lundi 22 août 2011

Le Jeu du Roi sur l'archipel raspalien

Interview de M. François Moirez, vice-consul de Patagonie à HKSAR, pour La Toile
- parue dans le numéro 11 « Ces hommes qui voulurent ETRE ROI !» -

Au Mont Lozère quand vient mourir le vent de l'Atlantique chargé de nuages lourds, on a les narines envahies d'une odeur d'eau et la gorge étreinte d'un sentiment de désolation provoqué par la végétation rare. C'est dans ce causse d'altitude, lunaire dès qu'il fait gris, que j'ai rencontré le vice-consul de Patagonie à Hong Kong qui se ressourçait au silence du désert, loin de la mégapole chinoise. Je me suis ouvert à lui de ma sympathie étonnée, il m'a dévoilé ce Jeu du Roi¹.

[La Toile] Excellence, au soir d'un parcours professionnel particulièrement riche en Asie du Sud-Est, vous avez accepté l'exequatur de Vice-consul de Patagonie à Hong Kong. 
La charge ne supporte-t-elle que le poids plume de l'utopie, ou prend-elle un certain temps comme toute fonction consulaire ?

[François Moirez] Quand la proposition vient de Jean Raspail lui même, c'est un honneur qu'on ne peut refuser ! Le drapeau patagon ne flottait pas encore à Hong Kong , ville qu'il connaissait pour y avoir vécu un peu dans les années soixante de son Arpentage² du monde, et c'était là encore un peu un jeu : dans un environnement aussi capitaliste où l'on juge les gens au nombre de dizaines de millions de dollars de leur compte en banque - ou à leur parc de Porsche ou de Maserati.., c'était comme un pied de nez à toute cette superficialité.
Alors, la charge de ce poste ne peut être que légère, même si nombre de résidents de la mégapole chinoise sont en leur for intérieur - j'en suis sûr - attiré par le rêve patagon.

[LT] L'annuaire consulaire³ du Royaume de Patagonie est impressionnant puisque ses postes couvrent toute la planète au point de disputer à de grands pays leur rang en termes de maillage diplomatique. Quel est la première motivation qui pousse les impétrants à ce statut diplomatique de fantaisie ?

[FM] Je n'aime pas cette expression "statut diplomatique de fantaisie" ; après tout, si les postes diplomatiques francais dans certains archipels perdus au milieu du Pacifique peuvent être qualifiés de fantaisistes (surtout en l'état de nos finances !), les consulats de Patagonie, eux, relèvent plutôt de ce que je préfère appeler un "statut diplomatique extra-ordinaire".
Extra-ordinaires par leur origine, et par leur raison d'être ; les consuls, de même que tous les citoyens patagons ont souhaité participer au merveilleux "Jeu du Roi ", ce savant mélange d'imagination débridée mise au service de sentiments de bonne tenue.
Quant à savoir si l'on naît Patagon ou si on le devient, c'est là une question trop sérieuse - que je laisserai aux exégètes de la Rive gauche qui ne manqueront pas d'élaborer une foultitude de théories !

[LT] Le Royaume d'Araucanie et Patagonie exista dans les faits. Son premier et unique roi fut un gentilhomme périgourdin, Antoine de Tounens, qui régna aux antipodes sous le nom d'Orlie-Antoine Ier, de 1860 à 1862, avant de perdre pied face au Chili. Jean Raspail ressuscita le royaume éphémère hors et sur ses terres australes immenses et désolées. Vous a-t-il jamais confié le sentiment qui a déclenché son mouvement et pourquoi la prise du titre de Consul général de l'utopie ?

[FM] J'ai connu Jean Raspail quand, élève d'un lycée provincial en France, j'assistais aux séances de "Connaissance du Monde " qui permettaient de découvrir des contrées lointaines, et en tous cas propices aux rêves pour l'enfant que j'étais. Je me souviens en particulier de son film relatant son voyage "de la Terre de Feu à l'Alaska ; je pense que Jean Raspail a toujours été attiré par ces confins du monde et par l'acharnement des peuples à y vivre, en dépit de conditions extrèmement difficiles. Sa découverte de l'honorable Antoine de Tounens, de son épopée véritablement tragi-comique de la fin du 19ème siècle, ainsi que de la disparition des tribus locales, Maputes, Tehuelches ou Alakalufs, massacrées par les Chiliens, les Argentins, ou tuées par les maladies importées ou provoquées par les explorateurs/missionnaires/marchands européens, tout cela l'a amené naturellement à hisser le pavillon patagon sur sa demeure de Provence, puis à accueillir tous ceux qui se sentaient attirés par cette aventure - qui allait bien au dela de la simple aventure littéraire.
Quand il m'a accueilli à Paris, il m'a dit combien il avait été surpris de l'ampleur prise par ce "Jeu", flatté aussi de ce que le drapeau patagon puisse flotter sur les terres les plus disparates de la surface du globe.

[LT] Le 7 mai dernier à Paris, eurent lieu de grandes agapes pour fêter le soixantième anniversaire du prince héritier d'Araucanie et Patagonie, Philippe Boiry. Les deux délires ont-ils des relations fonctionnelles malgré l'aimable détestation qu'ils se vouent et la différence palpable d'intentions (utopie romanesque d’une part et revendication diplomatique fondée de l’autre) qui se rejoignent quand même dans une quête de gloire ?

[FM] Il s'agit pour moi d'un essai, comment dire, d'institutionaliser un rêve - quel horrible mot ! Bien sûr, le roi Orélie-Antoine avait créé dans son esprit une grande quantite de ministères, services administratifs, de titres ronflants et décorations mirobolantes - mais tout cela était resté "dans son esprit". Créer un mouvement ayant pour but par exemple l'indépendance de territoires appartenant à la fois au Chili et à l'Argentine, ce serait quitter pour de bon l'aventure intellectuelle du "Jeu du Roi" pour quelque chose de carrément... "ordinaire" !

(propos recueillis par Catoneo pour La Toile, été 2011)

Notes :
(1) Le Jeu du roi est un roman de Jean Raspail paru chez Robert Laffont en 1976
(2) C'est sous ce chapitre que Raspail regroupe ses récits de voyages exotiques, dont le titre Hong Kong - Chine en sursis (Connaissance du Monde 1963).
(3) L'annuaire patagon est édité par Le Moniteur de Port-Tounens que l'on peut se procurer auprès de la Chancellerie royale c/o M. François Trulli, 20 avenue de Lowendal 75015 Paris

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