mercredi 28 décembre 2011

Le sultan qui rêvait

 

"[La France] porte un message : chaque pays doit faire l'effort de revisiter son passé [...] La France ne donne de leçons à personne et la France n'entend pas en recevoir" (Sarkozy depuis Prague vendredi 23 décembre aux funérailles de Vaçlav Havel). Mais c'est tout le contraire qui se passe. Nous ne cessons de "juger" les pays étrangers et nous sommes obligés d'en recevoir les leçons, comme nous en donnent gratuitement notre puissant cousin germain. Ecrire l'histoire officielle française d'un pays étranger, c'est donc quoi ? Revisiter son passé s'il ne l'a pas fait lui-même ! Nous mettons le monde en demeure de se plier à notre jugement ! Et c'est Foutriquet l'historien de pacotille qui s'y colle ! L'écume des désordres sarkoziens ne retombera pas avec les jours qui passent, comme le souhaitait sans trop y croire notre ministre des Affaires étranges, Alain Juppé. Dans l'affaire turque, le tumulte est à l'avantage de la Turquie en ce sens qu'elle y trouve jusqu'ici son intérêt. Sa route est encombrée sur deux axes par la France mais plus pour très longtemps.

Le premier axe auquel on pense est l'intégration de la République de Turquie dans l'Union européenne. C'est devenu un projet secondaire pour le gouvernement d'Ankara, même si les Thraces et les Stambouliotes le réclament encore. Ayant obtenu le droit d'accès à la zone de libre échange de la Communauté européenne, cet acquit mercantile suffit à son développement, quand les "réformes démocratiques" exigées par la pensée unique bruxelloise encombrent son projet de ré-islamisation de la Turquie. Et puis l'Eurolande n'a plus les appâts croustillants à faire tourner les derviches.
In situ, les diaspora établies en Europe occidentale défendent énergiquement les intérêts de la mère-patrie comme on l'a vu la semaine dernière devant le Palais Bourbon, lors du vote de la proposition électoraliste de loi mémorielle. En passant, la forêt de drapeaux turcs et l'affluence de quatre mille manifestants ont clairement signalé à nous tous que les cartes de séjour ou d'identité ne "naturalisent" pas leurs porteurs. Ces gens-là sont des français d'immatriculation, pas plus !

Pourquoi dès lors Erdogan se chargerait-il du faix des moeurs occidentales ? D'autant que la crise approche aussi de la Turquie par ricochet. La stagnation de la zone OCDE va impacter directement les exportations turques qui sont en concurrence avec les productions du Sud et Sud-est asiatiques sur les marchés de consommation solvables. Le sursaut patriotique provoqué par l'outrage français sera bienvenu pour contenir la mauvaise humeur des ouvriers mis à pied.

Le second axe partage les mêmes ressorts que le premier mais se pare du manteau chic de la diplomatie. Le pouvoir économique turc a la légitime ambition de développer ses ventes sur l'ancien territoire ottoman, qui d'Oran à Bagdad représente des dizaines de millions de consommateurs, jusqu'ici fascinés par les produits européens puis asiatiques. Dans ce dessein, il rencontre le projet islamique de l'AKP qui vise à rétablir à terme à son profit le califat, aboli en 1924 par Atatürk, pour ne pas le laisser entre les mains des futurs gouvernements islamistes de l'arc arabe. Le califat est la seule autorité morale capable de contenir l'influence grandissante de l'université al-Azhar du Caire. Et si l'on sait que l'islam est une religion qui règle en détail les moeurs quotidiennes, on devine l'enjeu économique et culturel. L'Egypte populeuse et pauvre n'a pas les forces nécessaires pour monétiser son influence morale ; c'est en plus un pays battu trois fois sur sa propre zone d'intérêts. La Turquie a ce qu'il faut et son émergence économique lui fournit un budget militaire suffisant pour prétendre à une hégémonie régionale.

La France, loin de ses bases, est plantée en plein milieu du jeu ottoman, au Liban comme un piquet. Le contentieux est ancien. Souvenons-nous des accords Sykes-Picot qui dépecèrent le vieil empire nécrosé. Souvenons-nous aussi de la juteuse curatelle française des crédits budgétaires ottomans dispensés par notre Banque ottomane. Souvenons-nous de la mise en ébullition des populations arménienne et grecque d'Asie mineure par notre fameux droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (tiens justement !) ; souvenons-nous aussi du soutien indéfectible et vain de la France à la cause kurde à l'époque du mandat (cf. la vie et les oeuvres de Pierre Rondot, père de l'espion blocnoteur de Clearstream).
Aujourd'hui, Le renversement de la clique alaouite de Damas et l'abaissement du Hezbollah qui s'ensuivra libèreront les Libanais de la tutelle morale de la France, tutelle que même les chrétiens supportent de moins en moins, à lire les éditoriaux des quelques journaux francophones du Proche Orient. Il faut dire qu'à la dernière chaude alerte, quand Israël entreprit de raser le Sud-liban, notre président Chirac s'est spécialement vautré ! Aussi, j'attends de voir les contingents turcs coiffer le béret bleu et nous remplacer à la FINUL, et dans les contrats d'Etat.


L'interlocuteur principal en Méditerranée orientale reste pour quelques années encore les Etats-Unis et très concrètement la VI° Flotte de Naples. Si les Etats-Unis sont en droit d'appréhender une conjonction des nouveaux pouvoirs islamistes, conjonction appelée semble-t-il par la Rue arabe au motif de l'unité de la grande nation, conjonction qui réduirait à pas grand chose les chances de survie de l'Etat hébreu et compliquerait l'accès aux nappes pétrolifères du Golfe persique, ils n'auront pas la même crainte avec le califat turc, même s'il leur faudra marchander souvent avantages et retenues de part et d'autre. Si les dirigeants de l'AKP ne sont pas des génies reconnus - l'hystérie d'Erdogan en témoigne - cette réflexion est quand même à leur portée, et l'insistance avec laquelle la Maison Blanche avait poussé leur entrée dans l'Union européenne le leur signale. Auraient-ils le projet d'un marché commun oriental, sorte de demi-union pour la Méditerranée, que je n'en serais pas surpris.
Les investissements faits au Kurdistan irakien, l'implication quotidienne dans la défense de la Palestine, cette sorte de majorat réclamé dans l'affaire libyenne, les relations osmotiques d'état-major turc à état-major iranien, le resserrement des liens avec l'Azerbaïdjan turcophone et pétrolier, la non-intervention au Caucase reconnaissant la frontière méridionale de la sphère stratégique russe, sans parler de leur condescendance envers la Grèce ruinée, l'attention portée aux communautés musulmanes de Balkans, tous ces éléments dénotent l'émergence d'une puissance régionale renaissante.


Sarkozy ne fait pas le poids et son pays est abonné au déclin¹, mais personne n'ose le lui dire. Il se pourrait pourtant qu'il soit obligé bientôt de parer l'injure comme il est advenu de Berlusconi, humilié en public par ses collègues. La politique étrangère du président français est une politique de coups, actionnés directement depuis le château par le cabinet noir. Mais au Quai d'Orsay qui continue une politique arabe de la France en dépit du bon sens, ce n'est pas mieux. Après s'être aplatie devant Bachar el-Assad au détriment du Liban, la France suit le vent et maintenant mène l'attaque au Conseil de sécurité. S'est-on posé la question de l'origine de la mise à feu de l'Institut d'Egypte au Caire le 17 décembre dernier ? Sans doute, non ! A voir marcher notre président-total, littéralement sur des oeufs, on comprend que ça n'est pas son truc les "vieilleries". Lui, c'est le vélo et le jogging ! Peu lui chaut que l'institut ait été fondé par Napoléon Bonaparte ; le bâtiment actuel renfermait deux cent mille ouvrages sur l'histoire et la géographie de l'Égypte (clic). Et après ? On enverra notre échine souple de la culture trash, Frédéric Mitterrand, proposer de nouveaux rayonnages ; pourquoi se fâcher ?
(1) Dans dix ans, la France aura disparu du Top-10 des économies mondiales (source Centre for Economics and Business Research, Londres)


Reste le déclenchement de la crise diplomatique, la question du génocide arménien, qui n'en est pas une. Le contexte historique et les faits sont développés sur des sites documentés auxquels il serait ridicule de se mesurer. Le choix de Royal-Artillerie vous en propose trois :
- Le site Net Armenie.com qui fait une synthèse historique
- Le site Témoins de génocides impunis, très riche mais sur lequel je n'ai pas trouvé les Albigeois ni les Vendéens, ni les Cambodgiens...
- L'Armenian National Intitute basé à Washington(DC) qui met en ligne beaucoup de documents

1 commentaire:

  1. La loi anti-turque de contrôle des opinions est passée au Sénat hier soir.
    Le Parlement se vautre dans le clientélisme le plus racoleur au détriment de notre politique étrangère. Rien de neuf.

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