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Place Tahrir ou des Cocus

 

Que pense le maréchal Tantawi, embaumé vivant derrière son bureau reverni ? Qu'ils pendent le raïs et me foutent la paix ! Il a pris ses assurances auprès des Frères musulmans vainqueurs des élections, à charge pour eux de laisser l'état-major venir à une retraite tranquille, à charge pour lui de leur prêter main forte dans la pacification des naïfs. L'humour cairotte, redoutable de précision et acidité, aura-t-il raison du pacte de non-agression mutuelle ? J'en doute si les salafistes s'en mêlent. Demandons-le à Tariq Ramadan, grand enfumeur de gaouris devant l'Eternel. Il est courageux.

Islam, pluralisme, démocratie dans ses fondements plutôt que dans ses pratiques, deviennent un amalgame possible de la nouvelle alchimie islamique. La non-représentation des niais de la Place est un vrai problème d'autant qu'ils se sont dressés contre sans trop savoir ce pour quoi ils se battaient, plus loin que la liberté individuelle à l'occidentale. Sont-ils adaptables à l'Etat des Frères ? A l'évidence ils n'ont pas combattu la religion et accepteront peut-être les finalités d'une charia dépouillée des règles néandertaliennes. L'Islam littéral du Coran ânonné est très minoritaire et cantonné au monde arabe. Wahhabites et salafistes sont l'exception culturelle fondée sur l'illettrisme et le lavage de cerveaux des madrasas. Le centre de gravité de l'Islam est quelque part entre la Turquie, la Malaisie et l'Indonésie où cohabitent, avec quelques accrochages sanglants parfois, les valeurs occidentales et celles de l'islam réformé.

Sans doute Tariq Ramadan dévoile-t-il sans y toucher la ruse des Frères musulmans, dont son grand-père fut le fondateur, assassiné par la police du roi Farouk. Un Etat, civil d'abord, reconnaissant l'expression de tous et affichant à tous les carrefours de l'opinion la liberté de dire et faire jusqu'à la limite non franchie de ne pas agresser la liberté d'autrui. C'est cette frontière qui va devenir mobile, avec la mise en pression de cette liberté d'opposition aux nouvelles valeurs ; en même temps que seront nommés aux postes-clés de tous niveaux, du quartier aux ministères, des Frères et des idiots utiles. Sera établi plus tard un Etat islamique adapté aux mœurs égyptiennes passablement corrodées par le canal de Suez, quand la société aura été patiemment verrouillée.

Les chancelleries européennes ne croient pas aux assurances des Frères Musulmans la main sur le coeur, même s'ils enfreignent en s'en vantant un principe majeur de la charia: ils vont lancer des emprunts à intérêts sur le marché international des capitaux pour faire vivre le pays. Les Américains du Département d'Etat restent très prudents, se contentant d'émettre des avis sans frais, mais David Pollock, une pointure du Washington Intitute for Near-East Policy (clic), expliquait hier soir le double langage de la confrérie en se fondant sur des exemples concrets, faciles à trouver entre leurs deux sites, anglais et arabe. On peut lire son article ici. Nous ne nous y attardons pas, chacun devine.

crédit Shawn Baldwin, NYTimes
La fin de l'histoire risque de ne pas être celle attendue. Au-delà des questions "fondamentales" sur la préséance des valeurs, va surgir le retour de bâton économique. Si les Frères musulmans ont prospéré indéniablement sur la misère bien réelle des laissés-pour-compte de la société égyptienne en politisant leurs œuvres caritatives, il leur était utile de dénoncer le système, un des plus pourri de la région. Il n'y a aucune raison aujourd'hui de prédire aucune embellie économique pour l'Egypte "crasseuse", d'autant que le tourisme s'est effondré et qu'il n'a jamais nourri tout le monde. Trouveront-ils des fonds islamiques pour donner le change en endettant la nation jusqu'au cou ? Les bailleurs ont eux-aussi leurs limites et leurs sûretés, et il est peu probable qu'ils pontent à fonds perdus. Reviendront un jour place Tahrir les cocus d'hier en bien plus grand nombre et le peuple immense des bidonvilles derrière eux, voulant monnayer leur espérance disparue*.

Liberté, égalité, tolérance ne sont pas inscrits dans la Charia. C'est là que se croisent à quatre-vingt-dix degrés les valeurs de la place Tahrir et celles du nouveau parlement. C'est ce sac de nœuds le bout de l'histoire.


(*) addendum postérieur : c'est exactement ce qu'il s'est passé avec l'appel à Abdel Fattah al-Sissi le 3 juillet 2013.

Commentaires

  1. Il faut lire comment un hacker suédois a contourné le blocage officiel d'Internet pendant les évènement de la place Tahrir l'an dernier et a permis que filtrent les nouvelles et les images de la répression.
    PressEurop

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    Réponses
    1. Merci Dédé. Ca rejoint aussi mon billet précédent sur le risque cybernétique.
      C.

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