mardi 21 février 2012

Le Parc aux Cerfs


Aujourd'hui, Mardi gras de la nouvelle lune.

Quand j'étais petit, aimant déjà l'histoire, le Parc aux Cerfs m'apparaissait en songe comme un hôtel particulier bas de plafond, aux rideaux noirs toujours tirés et dont le portail d'entrée était gardé par la police secrète du roi. Il s'y passait des choses pas catholiques avec des petites filles qu'on menait de Paris pour éponger les humeurs d'un roi libidineux. Puis je quittais ma montagne et vint vivre à Versailles sur les anciens marais de Villeneuve l'étang, un quartier à typhoïde. En quelques années j'ai dû faire des centaines de kilomètres à pied dans la ville royale et découvris-je ainsi le vrai Parc aux cerfs.

C'est un quartier de plan américain que l'on aurait désigné aujourd'hui comme une cité administrative. On l'appelle aujourd'hui le quartier Saint-Louis. Les lots à bâtir furent attribués par brevets de place, leur superficie moyenne était de 300 toises-carrées soit 588m² de nos jours. Le défaut de bâtir dans les délais prescrits annulait le brevet de place. Appuyé au Potager du roi, le nouveau quartier jouxtait par sa pointe ouest celui des ministères. Des gens de la maison du roi vinrent s'y loger, des commis de l'administration et bien d'autres aussi capables d'obtenir un brevet comme un marquis de Seignelay, sans doute le fils du Grand Colbert. On y vit une population bigarrée composée de musiciens, officiers de tous les corps de la place, ordinaires et artisans attachés au château, écuyers, baillis, juges, une population finalement très mélangée. On le sait parce que les Archives disposent encore des plans d'attribution des lots avec nom et qualité du bénéficiaire. Tout ceci n'est pas croustillant.

L'hôtel sulfureux où nuitamment venait le roi encapuchonné n'existe pas, pour la simple raison que le roi ne commandait pas à sa personne comme il l'aurait voulu et que ses bons plaisirs s'exerçaient au château ou dans les demeures royales disséminées dans le royaume ; mais le marquis d'Argenson, ancien ministre des Affaires étrangères, écrit dans son journal à l'année 1753 que le roi s'éclipse tous les jours vers une maison qu'il aurait à Versailles, où il passe deux heures sans que l'on sache ce qu'il y fait. L'a-t-il simplement entendu dire dans ce nid de rumeurs qu'était la Cour ? A d'autres moments, il évoque les pucelles apportées de Paris dans les cabinets de Level, valet de chambre du roi. Les gourgandines, parfois jeunes, parfois moins, inexpertes ou délurées existèrent bien, puisqu'on en a des témoignages convergents et il n'est pas fait mystère que Madame de Pompadour soustraita les distractions de son bienfaiteur à de plus jeunes mains que les siennes quand son automne fut venu. Qui étaient-elles donc les mignonnes vicieuses ?

Ne nous fions pas trop au roman historique de Jules Michelet qui aurait effrayé Charles Perrault, allons plutôt aux sources d'époque. La plus connue et reconnue fut Marie-Louise O'Murphy de Boisfaily dont le bonbon fut loué par tout Paris et que le grand Casanova déniaisa avant de la livrer vierge au château, dit-il dans ses Mémoires. D'une vieille famille irlandaise échouée à Rouen, ce n'était pas une de ces petites grisettes de barrière qui se sacrifiaient très jeunes pour acheter l'entrecôte et une vie, si affinités. Quoique la Murphyse, comme on l'appelait dans les couloirs, avec plus d'esprit qu'on n'en prêtait à ses rondeurs, sut établir sa situation. Elle eut du roi une marquise de la Charce et se fit épouser par le sieur d'Ayat, gentilhomme auvergnat rapé mais digne, dont elle eut un général de fils qui fit belle carrière sous trois régimes. Deux mariages plus loin (après deux veuvages et un divorce) la belle Morphyse s'éteignit à Paris à l'âge de 77 ans, munie des sacrements de l'Eglise.

Les autres furent menu fretin convoqué et approuvé par la Pompadour pour éviter qu'une courtisane adroite ne s'enkyste dans les faveurs royales par les voies naturelles. Contrairement aux histoires de loups-garous colportées pour nuire au régime, Louis XV friand de chair fraîche était d'abord un baiseur à la bourgeoise plutôt qu'à la hussarde, le seul affaissement qui puisse lui être reproché. Cette organisation des plaisirs privés du monarque dura vingt ans. Des historiens américains, en croisade de purification de l'histoire, ont "chiffré" le prix du stupre à des sommets, sans craindre le ridicule de leur comptabilité. Il est sans doute vrai que la maxime de Sacha Guitry soit fausse en l'affaire : "les femmes les moins chères sont celles que l'on paie". Entre le prix du chagrin versé aux mères-maquerelles, les cadeaux de repentir, les pensions aux bâtards et la maison, il y eut dépenses. Même après la mort de Madame de Pompadour, on épongera le roi encore vert de cette façon, sans conséquences autres que la progéniture barrée et non reconnue. Jusqu'à ce que l'andropose lui indique les réformes à faire pour pérenniser la monarchie. Hélas il n'eut pas le temps de conclure.

En réaction, lui succéda un roi qu'on disait ennuyeux, élevé par le parti dévot, qui n'eut jamais l'ombre d'une tentation. Dès lors la maison de Bourbon exilera la bagatelle de ses occupations, et ironie du sort, y perdra aussi sa créativité. Le char fut lancé sur le mur de la République sans qu'ils l'aient jamais vu. Après les amours contrariées du Consul empereur, après la gestion notariale des Bourbons revenus (Zoé Talon !!!), le peuple préféra bientôt le panache du duc d'Orléans. Hélas pour les cancans ! Bien qu'il eut quatre fois plus de gènes de Louis XIV que Louis XVI, Louis-Philippe ne renoua pas avec les débordements ancestraux et demeura sage comme une poire belle-hélène sur la glace. Il engendra dix enfants.



Les experts en conjectures situent le mini-sérail de Louis XV au bord du quartier neuf (auj. Saint-Louis), de manière à n'avoir point à guetter à la grille le moment de sortir le "cadeau" du jour. Plus précisément et compte tenu des brevets de place - s'ils sont justes - ils situent la maison au tournant de la rue des Tournelles face à l'Hôtel des Gardes du Corps du Roi sur le plan de Jean Delagrive, vers la rue saint-Médéric, rues qui jadis ne communiquaient pas. Retenons que cette situation n'est pas très propice à l'incognito du roi que tout le monde connaissait et ses gardes d'abord. D'autres, et nous en sommes, la placent dans une situation plus retirée, à l'angle de la rue des Mauvais Garçons (auj. Edouard Charton) et de l'impasse de la Huchette (auj. disparu) avec accès prompt à l'avenue de Sceaux, mais sans soutenir la thèse d'Argenson. Nulle plaque n'ose fixer le lieu du lupanar le plus célèbre au monde, ce qui ne fut qu'une pension de jeunes délurées en stage de bonne épouse. On lira pour terminer les perfidies du marquis d'Argenson pour le plaisir de la médisance. Extrait :

12 février 1753. —On assure que le roi couche avec une nouvelle maîtresse, fille de madame Truchon, et que madame de Pompadour y a consenti et l'a donnée elle-même, voulant conserver son poste de bonne amie, mais qu'elle ne tardera pas à être renvoyée malgré cela, et que mon frère savoit bien ce qu'il faisoit en se brouillant avec elle (ndc: son frère était Secrétaire d'Etat à la Guerre).
C'est Bachelier, vieux valet de chambre du roi, qui lui fournit ces passades. Il lui a fourni une jeune beauté de Montpellier, fille de la présidente Niquet, que je connois. Il faut bien que la marquise souffre tout cela. Tout ce qui coûte est malsain à l'État, et les p... coûtent fort cher à ceux qui peuvent les payer.
Février 1753.— La comédie du Méchant, de Gresset, a été faite sur mon frère, madame de Chaulnes en ayant fourni les matériaux à l'auteur. C'est un méchant pour le plaisir de l'être, qui passe son temps à ourdir les plus détestables tracasseries, qui se fait un jeu de nuire, attristé du bonheur d'autrui et joyeux de son préjudice, et finit par être démasqué et chassé d'une nombreuse société, où il charmoit par sa fausse douceur, son esprit à la mode, par le bon ton, et surtout par l'intérêt qu'il sembloit prendre à tous et qu'il ne prenoit que pour les détruire.
Toute la cour quête pour trouver 100,000 livres pour faire rester à l'Opéra le chanteur Gélyot, et ils sont presque trouvés, moyennant quoi il se fait 10,000 livres de rentes et promet de rester encore deux ans. On n'en donnerait pas tant pour tirer de la misère quantité d'honnêtes gens qui meurent de faim. On ne voit que folie et sottise à chaque démarche de la cour.
— Strasbourg. La mort du préteur Klinglin, dans la citadelle de Strasbourg, a mis fin à son procès ; mais on continue le procès criminel contre son fils.
— Lebel amène au roi des petites filles dans sa chambre, au su de la marquise. Cette chambre du valet de chambre se nomme le Trébuchet, parce qu'on y prend les jeunes oiseaux. Mais madame de Pompadour demeure l'amie du roi; elle seule se croyant capable de donner à la cour un air de magnificence par l'encouragement des beaux-arts et des dépenses frivoles. Cependant elle songe déjà à une belle retraite, et a acheté l'hôtel d'Êvreux 7 à 800,000 livres.










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