samedi 16 juin 2012

Le Prince Naïf est mort


De son vrai nom, Naïf ben Abdoul Aziz el-Séoud, le défunt prince était jusqu'à hier vice premier-ministre du royaume chargé de la police et successeur désigné du roi Abdullah. Il avait un frère et un fils dans le job, l'un à la défense, l'autre au contre-terrorisme. Il est décédé (de leucémie aiguë foudroyante ?) dans un hôpital genevois à 78 ans, sa biographie est dans la wikipédia anglaise, je vous l'épargne. Son cas est intéressant.

S'il avait accédé au trône des Séoud, nous aurions eu le prototype du roi wahhabite, dur à faire pâlir les émirs salafistes, disposant de moyens illimités pour la propagation de la foi et bénéficiant du soutien indéfectible du Département d'Etat américain. La totale pour la marche à l'Europe, mais la solution aussi pour régler les métastases AQMI ! C'est assez simple, mais un peu long, je m'en excuse.

Tout a commencé le Onze-Septembre. Les avions qui tapent dans les tours ont été détournés par des Séoudiens et les liens tissés entre les chefs de tribus, au premier rang desquels la famille royale, et les intégristes musulmans partout dans le monde sont tellement connus que la cour de Riyad réfute aussitôt l'amalgame immédiat des services occidentaux. C'est Naïf, trois mois plus tard, qui consentira à déclarer que 15 des 19 terroristes sont bien de chez eux, les preuves accumulées étant flagrantes ; mais après s'être répandu quand même dans la presse arabe du Golfe pour désigner du doigt celui du Mossad, ce qui fera le miel du négationiste français Meyssan. Sa position est vite intenable puisqu'il est en charge de l'enquête, et n'a rien vu ; aussi prend-il le train en marche de la répression réclamée par les Etats-Unis (sans qui le royaume n'est rien, on ne le répète jamais assez) dès que al-Qaïda fait le faux pas d'attaquer au coeur du royaume en 2003, visant des cantonnements américains puis des bâtiments administratifs, ensuite le consulat américain de Djeddah et les infrastructures de soutien au complexe pétrolier d'Abqaïq ; Oussama Ben Laden, énivré de ses premiers "succès", crie partout qu'il va renverser la famille royale impie. C'est l'époque où il s'échauffe à parler du nouveau Califat.

Naïf y voit ni un combat politique malgré les résonances dans la mouvance wahhabite, ni une lutte contre la subversion, mais une corrida qui ne sera dénouée que par la mort de la Bête. Il n'y va pas de main morte et fait tuer presque tout ce qu'on attrape. Les résidus des colonnes alqaïdistes s'enfuient en 2007 au Yémen où le président Saleh les tolèrera comme atout de négociation ultérieure. Depuis qu'il a rendu son paquetage, le trident USA-Arabie-Yémen peut maintenant les finir.
En 2009, al-Qaïda visera son fils Muhammad (le contre-terroriste) dans un attentat à la bombe kamikaze, mais il passera au travers. La roue de la répression n'en prit que plus de tours. Mais Naïf ne s'est pas contenté de raffles et d'exécutions.

Sentant bien que les rangs alqaïdistes avaient été garnis d'intégristes chauffés à blanc par les imams wahhabites qui dénoncaient à longueur de prière les dérives sociétales d'un royaume en proie au démon de l'occidentalisation, Naïf avait décrété la purification morale du pays. N'avait-il pas dit au clergé local peu après sa nomination de "Crown Prince" l'an dernier que l'Arabie séoudite n'oscillerait ni ne transigerait jamais sur son adhésion à la doctrine wahhabite puritaine, et que son idéologie était la source même de fierté, de succès et de progrès du royaume séoudite. Ce n'était pas que des mots confortant sa position :
Il avait mis au point avec le clergé un programme de "sécurité intellectuelle" avec des stages de redressement des jeunes détenus politiques à qui on enseigne la loi islamique orthodoxe pour les arracher à d'inutile djihad. Le programme est suivi de près par les responsables de Guantanamo. Dans cette veine, il avait aussi élargi le champ d'intervention des Moutaween, la police islamique qui entre partout, se saisit des biens et des gens comme une Gestapo ordinaire.
Les princes libéraux voyaient dans son avènement celle du Grand Inquisiteur couvert du sang des décapitations, ce qui fait tache dans les boutiques de luxe du faubourg Saint-Honoré. C'est un grand soulagement pour eux consenti par Allah qui se prive du bras ferme de Naïf pour étendre son règne. Allah Akbar !

L'autre axe d'effort du Prince Naïf trouve également son origine dans le wahhabisme local : c'est la "réduction" des Chiites. Et ça tombe bien que la maison-mère soit en délicatesse avec les Etats-Unis. Sa lecture des affaires du monde, arabe spécialement, voyait partout la main discrète de Téhéran. Ce qui poussa le roi à intervenir massivement à Bahreïn pour réprimer le soulèvement populaire de Manama majoritairement chiite. Son intuition quant à l'implication des shias dans l'assassinat de Rafiq Hariri en 2005 s'est vérifiée depuis que le TSL en charge de l'affaire a convoqué à la barre le Hezbollah libanais et ses protagonistes désignés nommément. Ceci a également joué dans la décision de contrer tout de suite Bachar el-Assad et sa clique alaouite par le truchement de la Ligue arabe. Mais armait-il les Salafistes pour coombattre al-Qaïda reste tout de même la bonne question. Il n'est que de voir le déroulement de la révolution libyenne et le foutoir inextricable de la résistance syrienne pour avoir un doute.

Partisan du conflit ouvert, il disparait trop tôt pour libérer les Syriens qu'il entendait encager ensuite dans une belle république wahhabite gestapisée comme il les aime. Mais il sera regretté aux Etats-Unis parce qu'il avait tendance à aller au bout de ses projets, ce que nos démocraties ne peuvent toujours réussir. Faire faire ce qu'on ne peut faire, vieil adage du Foreign Office.
Sa disparition libère un peu d'espace à la tolérance, au dialogue inter-confessionnel et à l'instruction publique fondée sur l'apprentissage de connaissances utiles au pays. Mais jusques à quand ? Le jeu d'influences dans la maison des Séoud désignerait son frère Salman à sa place d'Héritier présomptif. Salman ben Abdul Aziz el-Séoud, ministre de la Défense, a une réputation de diplomate et d'arbitre conciliant ayant beaucoup de relations dans le monde... il a 76 ans et pas un tempérament de conquérant. En deux mots, il n'a pas le profil qui convient au tuteur.







PS : au même moment disparaît chez nous le sympathique Thierry Roland. Quelle collision au paradis entre un bavard impénitent au rire d'hyène en rut et le Torqemada pur jus ravi trop tôt à l'estime des siens.

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