mercredi 17 octobre 2012

Un bouchon de champagne sur le torrent khmer

SM Norodom Sihanouk
Le cercueil du roi-père des Khmers est arrivé ce matin à Phnom Penh. Son prénom, de Sihahanu signifiant "gueule de lion", était son étendard. Comme le racontait le bon docteur Blaggi qui fut son "agent" dans la Chinatown parisienne, il détestait qu'on tue le lion dans ses parties de chasse et fit un jour des remontrances appuyées à celui qui l'avait sauvé d'un tigre. Choisi par le gouverneur-général Decoux dans la pépinière royale pour succéder à son grand-père, il ceint la couronne à dix-huit ans, à peine sorti du lycée Chasseloup-Laubat de Saigon (il n'y avait pas d'établissement de second cycle à Phnom-Penh). C'était largement trop jeune pour gouverner mais ce n'était pas ce que lui demandait la puissance coloniale. Débutant son règne en 1941, il montrera tout le long de sa vie une incroyable plasticité face aux évènements, toujours tragiques, que subit son royaume ; roi, prince-héritier en hommage à son père, régent de la reine-mère, premier ministre, président, roi à nouveau... il abdiqua enfin quand la bise de l'âge fut venue pour devenir "roi-père", laissant bien des observateurs dans la perplexité (voir les métamorphoses du Dieu-roi dans la Wikipedia).
Norodom Sihanouk fonda avec Senghor, Bourguiba et Diori la Francophonie en 1970 en créant à Niamey l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT).

Son successeur
François Chalais, grand reporter à l'ORTF, qui le connaissait bien nous raconte dans Les Chocolats de l'entracte sa dernière rencontre à Paris : « Malgré sa quarantaine à peine entamée, il paraissait très fatigué. Découragé, même. Il disait alors que, si on ne voulait plus de lui, il partirait. Qu'il voulait surtout éviter ce dont il avait le plus horreur : la guerre civile et le sang innocent répandu. Plusieurs fois, devant l'Assemblée nationale, il avait offert sa démission. Chaque fois, cette espèce de deuil que l'on pouvait lire dans les yeux de son peuple avait retenu sa décision. Alors, il souriait de nouveau, retardant ce séjour en France, dans une clinique de Grasse, qui était indispensable à sa santé. C'est parce qu'il se sera attardé, une dernière fois, un peu plus longtemps que de coutume, dans ce refuge si souvent remis à des temps qu'il croyait meilleurs, que ses conseillers et des députés (pratiquement tous nommés par lui et en apparence à sa dévotion) ont organisé la rébellion. S'il avait été à Phnom Penh, ils n'en auraient jamais eu la hardiesse.»

Si son inclination pour un marxisme rural à la chinoise fait peu de doute, on cherche encore l'idée directrice personnelle dans sa "politique" à partir du moment où il obtint le retrait du protectorat le 17 octobre 1953. Sa vision oudinique du pouvoir ne lui permit de rien construire dans la durée à Phnom-Penh, mais on lui accordera que personne à l'époque dans la région ne fit mieux.
Profitant de la vie comme un satrape - il prit sept épouses qui lui donnèrent quatorze enfants - il sera sans surprise chassé du pouvoir pendant la guerre américaine par un général de son entourage réputé efficace, Lon Nol, un homme à poigne, bon administrateur formé par les Français, mais... malade ! L'irrésolution du commanditaire yankee ruinera le pays !

la relève
Réfugié en Chine après un détour par Pyongyang, il se trouve être chez les propres mentors des monstres barbares qu'il fuyait, récupérant bientôt les Khmers Rouges dans son nouveau parti politique de résistance à l'occupation libératrice perpétrée par le Vietnam. Sur ordre de Pékin, il reprend le titre de président du Kampuchea démocratique, régime génocidaire que l'on sait. C'est à dater de ce jour que s'est éteinte ma considération déjà bien entamée pour ce qui n'était au fond qu'un sauteur, intelligent mais trop compulsif de mon point de vue.

Malgré tout, il a démontré la force du principe monarchique qui sauva la cohésion du pays menacé de chaque côté par ses voisins. Ses sujets-concitoyens vénèrent à travers lui et son fils aujourd'hui une dynastie qui remonte à l'an 478 de notre ère, dont la branche post-angkorienne actuelle débute en 1431. Et la belle légende va continuer après lui.





Il est mort d'une crise cardiaque le 14 octobre à Pékin, sans doute à l'Hôpital militaire 301, le Val de Grâce chinois. Le pays a décrété un deuil national d'une semaine. Il faudra trois mois au dictateur Hun Sen pour organiser ses funérailles grandioses dans la grande tradition royale khmère. Le peuple est sincèrement affecté.

Paix à son âme !


3 commentaires:

  1. Le prince Sihanouk fut un grand ami du dictateur coréen Kim il-Sung, qui lui offrit une résidence de 40 pièces à Pyongyang pour l'héberger royalement lors de son exil de 1979.
    Changsuwon se nomme ce petit palais.
    Son fils régnant le prince Sihanomi est venu présenter ses meilleurs voeux à Kim Jong-il dès la deuxième année de son règne.
    Les relations sont restées personnelles, et jusqu'à l'an dernier les échangent entre les deux pays étaient nuls. Donc, il n'y a pas ni alibi politique à cette relation, ni alibi économique.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le premier ministre Hun Sen étant l'homme des Vietnamiens, Norodom Sihanouk devint celui des Chinois. Elémentaire, mon cher Watson. De toute façon le poids diplomatique du Cambodge est insignifiant, comme celui du Laos d'ailleurs.

      Supprimer
  2. C'est Hun Sen le maître de Phnom Penh. Le Ben Ali du Cambodge, est bien expliqué dans The Economist ainsi que le système électoral qui l'élira jusqu'à sa mort. Il tient le pays depuis 26 ans et s'enrichit deux fois plus vite que lui !

    RépondreSupprimer

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.

Les plus consultés sur 12 mois