Malgré une participation
à l'américaine - la moitié des électeurs n'a pas cru aux élections - la coalition nationaliste a vaincu. La Corse est sur les rails d'une indépendance, sans que l'on connaisse encore la longueur de la voie ferrée. La collectivité unique ou région corse est dès à présent nationaliste. De quelque bord qu'ils se réclament, les partis
français sont réputés "continentaux".
Désormais, on ne peut plus parler de dérive comme aux temps détonants du FLNC, mais de route ! Reste à la coalition nationaliste à bien jouer le coup pendant la courte législature qui s'ouvre au premier de l'an afin de reconfirmer la tendance en 2021, et c'est à partir de la nouvelle législature sexennale que les choses devraient s'enclencher.
D'aucuns dont je fus ont pu penser que le sang des douze nations aborigènes mêlé à celui des Ligures, Vandales, Lombards et autres Ostrogoths métropolitains menacerait le mouvement de
riacquistu (réappropriation) par le concours de bites à la récré, mais tant Gilles Simeoni que Jean-Guy Talamoni et Jean-Christophe Angelini ont montré qu'ils savaient faire de la politique, de la vraie politique.
Le fait saillant, c'est bien d'avoir réussi en-dehors des partis traditionnels en créant des structures partisanes sur la base des croix du cimetière corse mais sans l'esprit de vengeance qui prévalait jusque là. Il a fallu du temps pour faire comprendre aux impatients que la lutte armée et les assassinats étaient la meilleure garantie du statu quo. A croire que le pouvoir central s'y complaisait. Déroulant des programmes économiques et sociaux qui se discutent mais qui sont articulés et logiques, les chefs nationalistes ont convaincu cette fois d'une approche politique et programmatique du défi. Et même certains continentaux, venus s'intégrer dans une région délimitée à forte identité, se sont pris au jeu de l'autonomie. Quand tu viens de Vesoul ou de Chaminadour, tu peux en avoir envie. Reste à dire pourquoi ça va marcher, avant de démontrer pourquoi ça ne marchera pas, et synthèse ;)
Ça va marcher
Pour des causes exogènes, mondialisation, dévolutions de souveraineté, l'Etat français recule et n'assure plus la protection culturelle et physique des citoyens s'il maintient encore des conditions sanitaires satisfaisantes. Tous les Français doutent, même si les chiffres qui tuent ne les terrifient pas plus que ça, parce qu'ils n'en assimileront la létalité que lorsque les virements mensuels de l'Etat et de ses caisses seront amputés (voire taris pour certains). Le séquestre de l'épargne afin de faire face aux injonctions de payer venues de l'étranger sera le coup de gong. Si les taux de place remontent brusquement, nous y aurons droit puisque nous n'avons aucune autre marge de manœuvre pour dégager des liquidités que de piller les ménages.
Le turbo du moteur dépressif est la cause endogène : le pays change de couleur sous les yeux de tous, l'islam s'affiche - à mon sens trop imprudemment depuis le million de fidèles à La Madeleine avant-hier - et le vacarme continu de révolutionnaires de pacotille prend de plus en plus d'espace dans des médiats abonnés au scandale et au scoop, en laissant de moins en moins de place... au bon sens. Les gens assourdis de conneries impossibles n'arrivent plus à imaginer l'avenir de leurs enfants comme avant.
Alors il est tentant de réduire le périmètre des perceptions. L'insularité propose un périmètre net, indiscutable. La forte identité des Corses et des "colons" assimilés qui en rajoutent comme tout nouveau prosélyte, est le gage d'un effort en commun possible pour s'éloigner de cet ouragan noir de la mondialisation. La "guerre au monde extérieur" est gérable dans une petite région dont on connaît tous les recoins, tous les atouts, toutes les souffrances ; ingérable dans une grande région continentale découpée comme une colonie d'Afrique où seul le département conserve une identité. La décentralisation a échoué puisque la province est toujours perfusée depuis Paris (et Bruxelles maintenant) pour n'avoir jamais obtenu la responsabilité fiscale qui signale une véritable autonomie de gestion (comme en bénéficient les COM françaises* et la Nouvelle Calédonie). Alors si l'on fait confiance au génie d'un peuple que l'on célèbre depuis si longtemps, l'indépendance est une formalité avant le bonheur.
*COM = Collectivité d'outremer : Polynésie, Wallis & Futuna, Saint-Martin, Saint-Barthélémy, Saint-Pierre & Miquelon
Mais cela échouera !
Quand on lit le programme du parti modéré
Femu a Corsica on comprend vite que le ressort économique n'est bandé que par les aides, les crédits spéciaux et les subventions de toutes provenances. On peut lire un bref article de Corse-Matin qui date de deux ans où le programme est explicité dans ses grandes lignes
(clic). C'est clair : on refuse le tourisme de masse, on éconduit les programmes de BTP et on développe... le rêve.
Transition écologique, énergie renouvelable, croissance verte, agriculture de montagne de qualité, économie numérique etc... tous domaines en déficit notoire, soutenus par des fonds structurels ou de fonctionnement virés de "l'étranger". C'est la France et l'Europe qui pontent. Drôle d'indépendance que celle qui vous convoque chaque année à sucer les bailleurs de fonds. Plus vous recevez de subventions, plus vous tissez de liens, moins vous commandez, plus vous abrutissez par contrecoup chez vous les innovateurs et les créateurs. L'invention naît de la pénurie.
On me dit dans l'oreillette qu'il serait plus malin de donner des pistes plutôt que de critiquer Madame Maupertuis, professeur d’économie à la faculté de Corte (c'est elle qui a répondu au journaliste). OK ! D'abord je suis à jeun d'avoir rencontré un économiste de faculté ayant réussi en économie appliquée, mais je n'en ai pas vus assez pour généraliser sur la supercherie du siècle.
Si le PIB par habitant est dans la moyenne des provinces françaises métropolitaines (26432€ en 2014), son volume global est trop faible avec seulement 8 milliards et 597 millions d'euros pour concourir dans la zone d'effort, la Méditerranée occidentale, et encore s'agit-il souvent de transferts. Ce PIB est au niveau de celui de la Martinique ou de la Guadeloupe, deux collectivités qui ont fait le tour de la question. Il y a une taille économique critique que certes l'archipel de Malte fait mentir, mais c'est un exemple unique dans une position maritime unique, avec un arsenal réputé, des armateurs et une tradition financière inconnue en Corse. Cette taille critique peut en plus être handicapée par la géographie du territoire. Aménager une île montagneuse coûtera beaucoup plus cher à chaque habitant que de le faire en plaine ; un pays difficile (comme la Suisse par exemple) exige une plus forte valeur ajoutée de son activité économique. A ce que nous percevons (de loin, je l'avoue) les économistes corses semblent hypnotisés par les soutiens extérieurs, sans aucun projet domestique, lourd, structurant.
A titre d'exemple, la Calabre pauvre a aménagé sur fonds européens un port d'éclatement des porte-conteneurs géants qui donne beaucoup d'emplois à la région et passe aujourd'hui trois millions de boîtes. A titre de comparaison, Marseille-Fos espère en passer la moitié en 2018 ! L'activité de Gioia Tauro permettrait le remboursement des crédits européens si l'UE le réclamait, mais l'investissement aurait pu être préfinancé par n'importe quelle banque de développement hors d'Europe. Un port de transbordement n'est pas pertinent en Corse mais pour développer l'île de manière autonome, il faut un ou deux grands projets rentables dont l'évocation se heurte aux limites de mon imagination. Je ne les vois pas non plus dans l'imagination des autres.
C'est au plan de l'échec économique autonome que je situe l'échec de l'indépendance. En résumé, sans même parler de son concurrent radical
Corsica Libera dont le programme audacieux est accessible
ici,
Femu a Corsica veut prendre toutes les décisions économiques et sociales à condition que la métropole continue les virements. Avec une métropole endettée jusqu'au cou, c'est osé ! L'île indépendante pourra-t-elle réaccéder au Marché commun et à ses guichets ? La question est débattue en Catalogne.
La vraie question
Comme la soulevait Camisard dans un commentaire récent « Un pas de plus vers la séparation (morale) d'avec la France. Ce pays se délite dans une indifférence générale absolue », la Corse, dont le mirage scintillant est visible au-delà de l'horizon depuis la moyenne corniche niçoise, est une pièce historique de l'édifice national, grâce surtout à l'épopée napoléonienne qui continue de nos jours dans nos codes et nos institutions. La fierté corse n'est pas toute entière dans la saurisserie, le brocciu passu et le rosé d'Aleria. La France l'a emportée avec elle dans sa grande aventure impériale sur tous les continents, dans ses administrations, ses armées, ses
milieux d'affaires. Que serait la contribution des Corses au monde sans la France ? Plus petite certainement !
Bien sûr, l'impéritie républicaine (et oui, on est sur un blogue monarchiste) a copieusement rabougri le destin français, et les Français de la périphérie ressentent moins leur attachement à la métropole. Nos gloires sont largement du passé. Mais dans un monde surchauffé comme le nôtre, rien ne dit que l'ancien royaume ne puisse encore prendre son billet au balcon en instrumentalisant tous ses atouts, dont l'Île de Beauté fait partie, si elle le veut bien.
Perdre la Corse ne serait pas un drame national pour la France, un chagrin sans doute, mais aussi un certain remords de savoir partir à la dérive un territoire sous éternelle perfusion qui se vendra au plus habile. Depuis le temps des grandes migrations méditerranéennes de l'Antiquité, l'île a toujours dépendu de quelqu'un, sauf à l'époque des guerres sarrazines où elle fut livrée à elle-même. Trois siècles de résistance ont forgé les caractères et débouché sur la construction d'une charpente féodale pour organiser l'espace coupé en tous sens, jusqu'à la domination de Pise ; puis de Gênes dans un tumulte ravageur de 450 ans ! La colonie fut mise en coupe réglée et se souleva maintes fois ; la paix n'est arrivée et non sans mal qu'après le rachat de l'île aux Gênois par le roi Louis XV. Juste avant cela, entre 1755 et 1769, un Etat national corse avait montré des prédispositions sérieuses à se gouverner en pleine justice ; ses acquis fonderont plus tard le
programme du FLNC. Napoléon Bonaparte naquît en 1769 pour, entre autres choses, achever l'amarrage sans y parvenir totalement, c'est dire la difficulté du projet !
(wikisource : Histoire de la Corse).
Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est fondé (par Jean-Jacques Rousseau) sur l'inaliénabilité de la souveraineté du peuple qui tranche et coupe tout en dernier ressort. Mais la logique impeccable du
Contrat social se heurte parfois au principe de réalité de l'époque moderne : les difficultés et menaces du temps sur une planète rapetissée par l'explosion des échanges mènent les communautés humaines à s'agréger pour être plus fortes ou pour former une entité politique viable plus grande qu'elles. Il y a partout dans le monde actuel une marche à l'empire, quelque chose comme un ressac des
libérations, parce que tout le monde a peur du futur et de désordres fracassants dont les échantillons en modèle réduit s'étalent aux yeux de tous par ces guerres réputées de basse intensité. Les Corses pensent-ils pouvoir y faire face seuls ? Eux le croient. Leur histoire les y incite, dangereusement. C'est Charles Bonaparte, le père de l'empereur, qui parlera lors de la guerre franco-corse de 1769, d'une nation qui a
"le cœur plus grand que sa fortune".