Né de l'Usurpation, le légitimisme mourra dans la Légitimité revenue. D'ici là, la baisse de pression dans la sphère légitimiste française, que nous anticipons par le retour sur ses bases espagnoles du prince Louis de Bourbon, ne va pas entamer le légitimisme contemplatif qui remplaça le combat légitimiste à la mort du comte de Chambord en 1883. S'il renaquit vraiment en 1987, au-delà du cénacle des docteurs de la loi, ce fut par le surgissement du prince Alphonse de Bourbon sur la scène médiatique. La flamme s'était maintenue, tremblotante, jusqu'à ce millénaire mitterrandien. De par l'autorité naturelle et l'entregent du prince espagnol, elle se renforça à mesure qu'augmentait la revendication de la maison d'Orléans fondée presque exclusivement sur un vice de pérégrinité du dauphin Philippe de France, duc d'Anjou parti en Espagne sur réquisition de son grand-père Louis XIV, vice de forme que les âmes simples traduiraient par : "Qui va à la chasse perd sa place !" On est dans la cour des grands, les CM2.
Par sa présence l'aîné des descendants de Louis XIV actualise la fondation des Invalides |
1875. Après la capitulation de Sedan et l'insurrection de la Commune de Paris (1870), la Légitimité comptait pour moitié sur les bancs monarchistes de l'Assemblée nationale élue en 1871, pour la plupart d'extraction foncière. L'irrésolution quasi-pathologique d'un prétendant âgé, isolé dès le début de l'exil par l'ostracisme des cours souveraines sur commande de Louis-Philippe, puis par leur désintérêt à l'avènement de Napoléon III, se conjugua aux intrigues de la faction d'Orléans qui ne pouvait attendre le décès de Chambord sans enfants pour prendre sa revanche et gouverner à nouveau. Au prétexte du drapeau blanc, la restauration capota au bénéfice de la République des Ducs. On oublia vite les D'Orléans, tant il fallait faire d'argent en pressurant la nation d'impôts pour relever le pays saigné par Bismarck : le plan Freycinet, mûri de longue date, entra en application dès 1878 pour deux cents lignes de chemins de fer et la rectification des canaux. D'ailleurs les républicains gagnaient les partielles les unes après les autres entamant les positions monarchistes. Pourquoi dès lors s'investir encore en politique, sinon pour faire voter des lois avantageant les riches aventuriers du progrès infini !
En province, il y eut une belle résistance des Culs blancs en milieu rural¹, spécialement dans l'Ouest, le Sud-ouest et le Midi de la France (sauf dans les Pyrénées orientales et le Var), faisant voter contre les "rouges" sur des programmes sociaux avancés - on pense à La Tour du Pin, entre autres - mais aussi contre la Forge et la Banque qu'Orléans représentait à son corps défendant depuis la Monarchie de Juillet. Mais peu à peu, surtout dans le Sud-ouest, les paysans choisirent des intercesseurs avançant sur une dialectique plus affûtée, des socialistes, des radicaux plus proches d'eux en parole, de vrais entrepreneurs en extraction de voix, des pros de la démocratie !
(1) Cf. Noblesse et représentation parlementaire de Jean Bécarud chez Persée (clic)
La Guerre de 14 fractura le paysage électoral en engloutissant pour un temps les idéologies au profit du patriotisme et des valeurs immortelles du pays. La Légitimité survécut au massacre en payant le prix fort comme tout le monde. Ce furent des princes de la maison de Bourbon Parme qui négocièrent une paix séparée avec l'Autriche-Hongrie (que Clemenceau refusa), et pas ceux d'Orléans qui avaient disparu de l'épure par la loi d'exil. Ce fut le commandant François de Bourbon Busset qui reçut les plénipotentiaires impériaux à la Villa Pasques de La Capelle (Aisne) le 7 novembre 1918 pour la capitulation allemande, pas les D'Orléans.
Alfonso-Carlos de Borbón (49-36) |
Après la seconde guerre mondiale et malgré les intrigues désordonnées du défunt comte de Paris, rien ne fut donné aux D'Orléans rentrés en France sous Vincent Auriol. De Gaulle, qui avait mal jugé l'opportunisme agité du chef de maison depuis la débâcle de 40, ne les avait pas rappelés. Des postes de prestige avaient été confiés à des personnalités de la vieille noblesse, comme la présidence de la Croix-Rouge à Jacques de Bourbon Busset. Ces personnalités dont certaines firent de longues carrières diplomatiques avaient l'avantage de l'impartialité dans leur gestion, contrairement aux effectifs fournis par les partis politiques. Il y avait aussi de la part des pouvoirs la recherche d'une certaine classe dans des fonctions exposées et l'instrumentalisation de la vieille souche d'Ancien régime dans la reconstruction morale d'un peuple archi-battu, aux mains des anglo-saxons. Entretemps mourut Charles Maurras (†1952) abandonné de tous hors du premier cercle, et de la maison d'Orléans bien sûr.
Sous la IVème République, les orléanistes rescapés du naufrage de la Libération reçurent quelques miettes (un peu plus sous Giscard d'Estaing plus tard) mais un halo d'impureté remontant au régicide inexpiable entourait les revenants et barrait leurs ambitions. Même l'affaire Darlan fut mise à leur débit dans certains milieux, je l'ai entendu évoquée à contretemps dans les années 60 quand le microcosme frémissait des bruits d'une restauration qui ne dirait pas son nom. Le temps qui efface tout faisait son œuvre comme toujours, jusqu'à ce que les frasques d'une famille trop nombreuse et mal élevée² n'entament un processus de déconsidération difficile à stopper. J'en reste à me demander si le jeu gaullien du chat et de la souris qui dévora le comte de Paris ne fut pas au second degré la perfusion d'un poison qui détruirait le chef de maison quand De Gaulle serait mort. La saga d'une fratrie de onze enfants livrés à eux-mêmes, si elle fit la fortune des pages glacées de la presse, accrut le désespoir des fidèles tiraillés par l'actualité judiciaire, au point de scinder le parti orléaniste en trois sous-partis ennemis puis aujourd'hui rabibochés, la Restauration nationale, la Nouvelle action royaliste et le Centre royaliste d'Action française. De nos jours, aucun prince (ou princesse) d'Orléans n'a une position sociale remarquable, ni dans la haute fonction publique, ni dans le CAC40 et pas plus dans le milieu universitaire ou la recherche, alors qu'on y trouve toujours la vieille noblesse légitimisante. La pente ne pourra être vraiment remontée qu'avec le départ de l'actuel comte de Paris qui résume à lui-seul les malheurs de cette maison.
(2) Relire Les Ténébreuses Affaires du comte de Paris par Jacques d'Orléans chez Albin Michel
La posture espagnole. Bien qu'handicapé par les guerres carlistes du XIX° siècle et le tumulte espagnol qui exila la maison de Bourbon, le légitimisme ne verra jamais le fil se rompre, même avec l'infant Jacques-Henri, moins passionné par la question que par ses conquêtes. Le chaos de la succession de Bourbon (c'est Hervé Pinoteau qui en parle le mieux pour avoir été au contact) fit place au long fleuve tranquille de la dévolution évidente par le couronnement de Don Juan-Carlos à la mort de Franco, aucun prétendant n'ayant le front de contester les termes de cette restauration imposée. Il est clair qu'à partir de 1975, l'aîné des Bourbons, barré de la couronne espagnole, n'avait pas d'autre choix que de réclamer ses droits en France, ce que les autorités françaises acquiescèrent à la surprise de beaucoup, en lui faisant l'honneur de nombreuses invitations au titre de l'aînesse. Si l'agitation du microcosme royaliste français reprenait alors des tours, la question n'en était pas une pour des institutions de référence comme le Saint-Siège et l'Ordre souverain de Malte pour qui la primauté de l'héritier espagnol était sans appel. Cette reconnaissance compte plus pour moi que les conclusions soporifiques de savants sur les lois de dévolution de la couronne de France et les triturations indigestes des lois fondamentales du royaume par le parti d'Orléans.
L'héritier en devenir est-il maintenant le jeune duc de Bourgogne, Louis de Jésus, né en 2010 à New York ? Son père semble très investi dans la défense de l'héritage franquiste et des valeurs traditionnelles qu'il transmet. Il faudra bien attendre dix ans avant de voir monter sur scène le petit duc, mais l'espérance est un puissant moteur et, dans ce mouvement royaliste spécial, surtout quand elle n'aboutit pas.
Confrontés à la réalité d'un pouvoir très compromettant dans sa pratique quotidienne - il y a loin par exemple de la coupe aux lèvres dans la réalisation des ambitions de Monsieur Macron - les légitimistes savourent un idéal pur et sans tache qu'une accession aux affaires pourrait corrompre. Quand on entend leurs chefs (autoproclamés), ils ne visent aucunement la restauration du royaume puisqu'ils se nourrissent à satiété de l'exaltation d'un passé glorieux que rien ne pourra jamais égaler. Le légitimisme est-il un jeu sentimental à justification intellectuelle qui meuble agréablement l'esprit ? Certains jours de disputes je le pense, d'autres jours je crois qu'il est le fil rouge de quelque chose qui ira loin.
La situation intermédiaire de basse pression que j'annonce, peut-être prématurément, convient donc très bien aux contemplatifs. Il sera toujours temps quand l'héritier et son frère jumeau seront grands de remettre en piste les dresseurs de prétendants qui feront claquer le fouet du protocole royal dans la cage aux stages. Mais Louis de Bourbon ayant subi ce dressage chez les Bauffremont, il se pourrait qu'il élimine ceux-là de son entourage, si ce n'est déjà fait, et protège ses fils comme sa propre mère avait essayé de le faire pour lui à la mort de son père, le duc de Cadix. Il a mis du temps pour comprendre certaines choses et le rôle d'otage valorisant la camarilla bourbonienne qui, au début, le promenait partout comme la chasse d'un saint. Mais c'était mal connaître son caractère ; Monseigneur Louis a quand même des chromosomes Franco.
La Légitimité a le temps pour elle. C'est un dogme de temps long qui vient de l'aube du monde puisqu'il est issu du modèle familial naturel. Un contributeur au forum du Trône & l'Autel, aujourd'hui pétrifié, me disait un jour que l'important était de passer le message de la légitimité de génération en génération afin qu'il éclaire le juste moment d'une restauration peut-être très éloignée dans l'avenir. Finalement, c'est une religion messianique et comme toutes les religions, elle a la vie dure, plus encore si elle est chimiquement cérébrale.
Malheureusement la corruption générale des mœurs convoque un gros ventilateur d'aération de cette puanteur qui nous fait nous insurger contre la dérive de notre civilisation, tandis que le légitimisme demeure propre sur lui, fidèle aux valeurs traditionnelles de la patrie, de la famille et du travail. Indéfectiblement lié à l'Eglise catholique pré-conciliaire, il semble, sur un même vecteur d'éternité, repousser une concrétisation forcément prosaïque. Son avenir est-il le nôtre ? Un combat virtuel pour une impossible monarchie sans se salir les idées® ? Le grand nettoyage que tout le monde attend appellera sans doute une dictature de tempête avant la monarchie de beau temps.
Note d'ordre :
Cet article est le dernier d'une série de trois billets, non liés entre eux, sur la légitimité incarnée par le prince franco-espagnol Louis de Bourbon :
- le premier suppute les intentions du prince de part et d'autre des Pyrénées sous le titre Louis de Bourbon double prince ;
- le deuxième tente de cerner la fragilité de la Maison d'Espagne sous le titre Une couronne en question ;
- le troisième, que vous venez de lire, est un exercice de style qui cherche dans la période moderne le fil rouge de cette revendication essentielle pour une monarchie héréditaire par primogéniture mâle, ce que n'est plus la couronne d'Espagne revenue aux Partidas d'Alphonse le Sage ; sans évoquer les futures ruptures de paradigme qui feront l'objet d'un prochain article.
Aucun des trois n'engage d'aucune manière le prince Louis de Bourbon.
Cet article est le dernier d'une série de trois billets, non liés entre eux, sur la légitimité incarnée par le prince franco-espagnol Louis de Bourbon :
- le premier suppute les intentions du prince de part et d'autre des Pyrénées sous le titre Louis de Bourbon double prince ;
- le deuxième tente de cerner la fragilité de la Maison d'Espagne sous le titre Une couronne en question ;
- le troisième, que vous venez de lire, est un exercice de style qui cherche dans la période moderne le fil rouge de cette revendication essentielle pour une monarchie héréditaire par primogéniture mâle, ce que n'est plus la couronne d'Espagne revenue aux Partidas d'Alphonse le Sage ; sans évoquer les futures ruptures de paradigme qui feront l'objet d'un prochain article.
Aucun des trois n'engage d'aucune manière le prince Louis de Bourbon.