dimanche 21 octobre 2018

Élections afghanes, un défi aux ténèbres

Jeune fille Nouristanie
Les élections afghanes en cours sont pour Royal-Artillerie une projection de l'analyse du 3 février 2012 quand nous expliquions (ou tentions d'expliquer) la remise des clefs du pays aux autorités afghanes, prévue alors pour 2014. Ceux qui ont du temps peuvent retrouver cet article (un peu long) en cliquant ici. Nous terminions jadis sans espoir : « la donne des trois ans qui viennent pourrait être changée même si à la fin les Talibans reprennent les guides, avec l'appui indéfectible de l'ISI pakistanaise et la résignation de la majorité silencieuse afghane usée par 33 ans de guerre. C'est moche pour les femmes et les fillettes, mais nous aurons tout tenté. ».

On ne comprend rien à la situation actuelle si l'on ignore qui était le mollah Omar (↓2013) à l'origine de toutes choses du côté obscur de la Force. Mohammed Omar était un directeur d'école coranique de Sangesar dans le Kandahar, village où naquit la croisade des Talibans. Homme éduqué (il lisait et parlait l'arabe) c'était un chef religieux charismatique, une référence qui sera promue "Commandeur des Croyants" en 1996 par un concile de 1527 oulémas venus de partout, nous dit la Wikipedia.

Peu porté sur les affaires quotidiennes de pouvoir, il montera rarement à Kaboul où l'essentiel des décisions politiques et militaires seront décidées par la choura* traditionnelle, mais il conservera la production du droit (sharia). Le mouvement taliban ne fut rien d'autre qu'une transposition du rigorisme sunnite aux tribus afghanes, comme il en fut du wahhabisme aux tribus d'Arabie heureuse. Lassée par la guerre russe et la guerre civile de partage des dépouilles, la population (pachtoune en majorité) adhéra sans se faire prier pour voir revenir un certain ordre civil qui flattait ses propres superstitions et ses mœurs archaïques. Femmes et filles (physiquement défavorisées depuis Cromagnon) en souffrirent le plus.
(*) Choura : enceinte de concertation, parlement au sens premier

Puis ce fut la guerre américaine consécutive au Onze-Septembre. Mollah Omar s'était allié à al-Qaïda contre ses propres idées car il jugeait que l'afflux des djihadistes étrangers était une menace pour la purification des mœurs soviétisées. Hélas pour son intégrité morale, le riche Séoudien Oussama Ben Laden apportait du cash, en veux-tu en voilà, et Ayman al-Zawahiri, le Frère musulman égyptien, le manuel de la guerre asymétrique totale avec la rhétorique affûtée pour le vendre. Mollah Omar, fils de petit paysan né du trou du cul du monde, en fut sans doute impressionné pour leur céder le commandement militaire, jusqu'à la "bavure" des tours jumelles de New York qu'il condamna ouvertement dès lors qu'il prévoyait la suite imparable. Il avait raison, mais les circonstances de l'invasion l'enchaînèrent à al-Qaïda pour le malheur et pour le pire.

Après le retrait progressif de l'ISAF (OTAN), corrélé à la montée en puissance des autorités afghanes, l'Etat central afghan se déploya et la modernisation du pays progressa à des vitesses différentes selon les provinces, jusqu'à faire croire que l'affaire allait être gagnée, sauf dans la poche de Falaise ou de Saint-Nazaire. Mais, en souvenir des heures les plus sombres, les chefs talibans ne furent pas conviés au gâteau démocratique et ils se retrouvèrent devant un pays partagé sans eux, comme à l'époque de la guerre civile qui opposa Pachtounes, Ouzbeks, Tadkjiks voire Hazaras, guerre civile qu'ils avaient cessée par la force en 2000 au milieu des ruines de Kaboul.

Massoud assassiné par des crouilles en 2001
Depuis la fin de la guerre américaine, les Talibans firent des représentations dans les capitales étrangères pour changer leur image de djihadistes frustres. Ils ont été reçus à Djakarta, Moscou, Téhéran, Doha et des émissaires ont tourné en Europe occidentale. Leur argument de base est qu'ils luttent carrément contre l'Etat islamique (Daesh) dont beaucoup d'éléments se sont repliés dans le chaos afghan. L'autre argument est qu'ils accepteront une place à la choura de Kaboul moyennant négociation - on ne peut se rendre comme à Sedan ! Mais en vain, et pour des raisons confuses qui tiennent sans doute au partage définitif des pouvoirs locaux entre les intérêts établis, ils ont été confinés aux montagnes d'où ils ne descendent qu'à la nuit tombée, comme là-bas, dis ! Alors restent les bombes !

Disons pour être juste que la présidence à Kaboul a fait preuve de bonne volonté en prenant langue avec les chefs talibans dans le droit fil des positions originelles du mollah Omar qui étaient basées sur le nationalisme afghan découplé des influences étrangères (lire: arabes); mais les discussions tournèrent court entre marchands de tapis, peu pressés d'aboutir, qui d'un côté devaient laisser un peu de chantilly sur le gâteau, de l'autre, oublier l'arc de triomphe fleuri de la victoire.

Mais la population ne marche plus dans la combine et endure les exactions des fous de Dieu avec colère puisque l'Etat peine à s'imposer partout. Les avancées sociétales et une relative prospérité chassent des esprits le recours à une foi incandescente qui n'a rien développé d'utile nulle part ailleurs sauf des comptes suisses. Le terrorisme aveugle désagrège ce qu'il restait d'empathie chez les derniers croyants pour les talibans car le pays en a soupé des guerres pour rien, des guerres d'étendards, des guerres pour seigneurs de la guerre qui n'apportent que du malheur !

Que viennent faire les élections dans ce contexte ?

Les élections, parfaitement inutiles dans un pays bouleversé, deviennent un dérivatif à la dureté des temps et reconnaissons un courage certain aux électeurs qui pénètrent dans les bureaux de vote pour concrétiser l'illusion d'une souveraineté populaire qu'on essaie d'inculquer dans le cerveau des foules. Les hommes sont abrutis de paléo-machisme tribal. L'avenir de l'Afghanistan passera par les femmes. Moins encrassées dans leur tête que les hommes qui lisent le coran au premier degré (la nouvelle de Sylvain Tesson titrée La Statuette est cruelle mais si vraie), elles sont plus résilientes, pour employer un terme de métallurgie. Elles ont une vue claire de leur futur pays qu'elles inscrivent ouvertement dans le XXI° siècle à leurs risques et périls. Elles opposent le droit naturel à la dictature des clercs fondée sur la transcendance de la terreur. Les reportages abondent dans les arts, les sports et la santé où elles brillent. Reste à investir l'éducation.

Construire une vraie société amalgamant plusieurs nations implantées là depuis la nuit des temps, n'est pas une mince affaire, mais c'est le seul défi à remporter. Le reste est vulgaire.




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