samedi 15 juin 2019

L'affaire d'Ormuz

Caler les faits ! C'est ce pourquoi les journalistes existaient. Au lieu de quoi ils versent aujourd'hui dans l'alarme, peut-être sur ordre des rédactions, afin d'accroître l'audience des beaufs incultes qui achèteront du Coca Cola. Il en est ainsi de l'incident du Golfe d'Oman.
En cas d'aggravation de la situation régionale, ces experts annoncent un bond du brut à 200 dollars le baril qui culbuterait le prix français du sans-plomb à la pompe avec les conséquences politiques que l'on sait dans un pays qui surtaxe le carburant. Le blocage du Détroit d'Ormuz suggéré comme élément de négociation par les mollahs quant à lui, ouvrirait la plus formidable pénurie d'huile que le monde ait connu depuis la Guerre du Canal de Suez. Et vas-y pour le tour de table du «qu'en pensez-vous ?». Rares sont les critiques sérieuses de ce scénario de presse sur les plateaux médiatiques, ce qui tendrait à faire croire au dessein d'abrutissement des masses qu'ils poursuivent.


Même si depuis Colin Powell les preuves d'images américaines sont suspectes, il semble difficile d'exonérer totalement l'Iran. Certes, le gouvernement nie toute implication mais chacun sait qu'il ne gouverne pas tout le spectre islamique et que les Gardiens de la révolution (Pasdaran) ont leur propre agenda : survivre coûte que coûte dans leurs intérêts propres. Pour purger les soupçons, on ne voit pas non plus les services émiratis immerger des mines, a fortiori les plaquer de nuit sur les coques des tankers, au nez et à la barbe des Omanais assez jaloux de leur position équilibrée en l'affaire. On peut exclure aussi les Séoudiens qui ne sauraient que sous-traiter. Reste la CIA, comme dans les bons romans d'espionnage... mais l'agence de Langley n'est pas dans les petits papiers de Big Twittos.

Si la piste des Pasdaran devenait sérieuse, le mobile de la mise en tension du Golfe collerait parfaitement à la situation intérieure de la République islamique s'il s'agissait de provoquer un sursaut national comme à l'époque de la guerre déclarée par Saddam Hussein. Mais rien n'est moins sûr. Le régime des mollahs est durement secoué par la crise économique et sociale qu'il ne peut surmonter, et il est susceptible de s'écrouler à la faveur d'une catastrophe naturelle ou d'une insurrection générale des mécontents tant ils sont nombreux. Miser sur un sursaut nationaliste est jeter trop loin le bouchon. Les Iraniens sont fatigués de la rhétorique guerrière d'un clergé milliardaire qui se battra pour ses privilèges jusqu'au dernier d'entre eux. L'affaire du Golfe d'Oman ressemble par certains égards à la fuite en avant d'une composante essentielle d'un régime qui ne verrait sa perpétuation que dans le chaos.

En restent pour le moment les effets. Pour que le pétrole monte, il faut que les acheteurs soient plus nombreux que les vendeurs, quels que soient leurs motifs. Or les acteurs du secteur ne croient pas en une reprise rapide du commerce mondial tant que le conflit stratégique Chine-USA n'est pas stabilisé. Peu d'entre eux croient en une paix durable et sincère. Mais qu'au moins les compteurs soient bloqués, comme il en va du différent Occident-Russie ! Ainsi, après les avaries de deux tankers, a-t-on vu un pic de cotations qui pourrait bien n'être que spéculatif et limité à la journée ou à trois jours. Puis pendant les travaux la vente continuera sous la loi de l'offre et de la demande...

L'autre hystérie journalistique concerne le blocage du détroit d'Ormuz (carte ci-dessous). "Compte tenu des réserves stratégiques existantes et des possibilités d’augmentation de la production ailleurs dans le monde, la diminution des flux énergétiques qui en résulterait ne durerait pas assez pour entraîner une pénurie dommageable" affirmait dans Cairn le capitaine de vaisseau Eudeline. Il y a eu un précédent, en 1988, une frégate américaine avait été avariée par un mine dérivante et l'Iran a perdu. Incapables de tenir la ligne du détroit, la flotte iranienne avait immergé des mines à partir de ses propres plateformes pétrolières pour y perdre à la fin des bâtiments de guerre et les deux plateformes en question. La parade actuelle, largement soutenue par les Etats arabes du Golfe sauf le Qatar et le Sultanat d'Oman, serait de forcer le blocus avec des chasseurs de mines escortés et de vitrifier la côte iranienne sur trente milles de profondeur (soit 50 kilomètres) en face de la péninsule déchiquetée de Musandam (à Oman) pour éloigner les sites de tir de missiles sol-mer. En cas de persistance de la menace, une administration précédente à celle de Donald Trump se proposait de ruiner les infrastructures industrielles des îles autour de Qeshm dans la baie de Bandar-e-Abbas, au motif du droit de poursuite des bandes de Pasdaran œuvrant sur le Golfe. C'est ce que Trump englobe dans sa menace d'extermination générale du régime des mollahs.


Pour finir, une mise en surtension du Golfe persique n'est pas de l'intérêt de l'Iran parce qu'il utilise aussi le Détroit d'Ormuz comme débouché et que les Américains peuvent parfaitement sécuriser le commerce arabe tout en bloquant le sien dans ses ports. Mais l'Iran a montré aussi que sa logique ne convoquait pas toujours le bon sens et que proclamations et exhortations sont au menu plus souvent que la solution des équations géopolitiques. Depuis qu'il existe, le régime n'a pas développé le pays mais a exporté ses nuisances tout autour pour un bénéfice nul. Même l'Irak chiite s'en méfie, avant que la Syrie n'y pense.


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