vendredi 7 juin 2019

Poisson de mer, poisson d'eau douce

Chacun a pu voir un réchauffement de la relation Macron-Trump aux cérémonies du 75è anniversaire du Débarquement de Normandie, de Portsmouth jusqu'à la préfecture de Caen. Et les éditorialistes de broder des lendemains qui chantent aux échanges franco-américains.


Le Piéton garde un doute sur tout changement de pied du locataire de la Maison Blanche qui est embringué dans une dispute autrement plus importante pour les Etats Unis que le recadrage de ses alliés ouest-européens. Il s'agit du majorat stratégique que l'Empire du Milieu revenu lui dispute sur la zone Asie-pacifique. On va s'arrêter une minute sur un aspect peu commenté dans la presse générale. Jusqu'à l'avènement de Xi Jinping, la réhabilitation de la Chine éternelle se confinait aux territoires que ses empereurs avaient vassalisés, jamais pour la gloire mais par nécessité. Le Tibet, ce sont les eaux du piémont oriental de l'Himalaya ; le Turkestan est la profondeur stratégique nécessaire d'alerte pour contrer tout mouvement des hordes steppiques ; la Mongolie met à distance la Russie blanche ; les îles en mers de Chine sont autant de forts navals qui les contrôlent. C'est toute la trame du China Dream que Xi Jinping a endossé dès la première année de son mandat : revenir sur les marches impériales ! Ce qui, dit en passant, est achevé partout, sauf au Nord-est où la Fédération de Russie conserve des terres chinoises arrachées par les fameux traités inégaux (pour la Russie le Traité d'Aïgoun de 1858 et la Convention de Pékin de 1860). Ce retour était accepté par les Etats Unis d'Amérique avec quelques garanties à fournir, concernant notamment Taïwan dont la réunion au continent ne se ferait que par le vote explicite de ses habitants et une pratique loyale des règles de l'OMC.

Or Xi Jinping et ses équipes ont projeté l'ambition impériale au-delà du limes, à la planète entière par les Routes de la Soie, OBOR (One Belt One Road). Ils ont largement débordé du China Dream quasi-folklorique pour créer l'American Nightmare. Testé d'abord sur l'Asie centrale jusqu'au fleuve Oural, doublé par des trains-blocs vers L'Europe occidentale, l'initiative stratégique a atteint l'Océan indien (Colombo, Gwadar), l'Afrique australe et des discussions sont engagées avec des fournisseurs de matières premières indispensables comme l'Australie. Pour les terriens du dimanche, une ligne maritime se matérialise aussi bien qu'une liaison terrestre, il suffit d'y mettre des bateaux réguliers voire d'y monter une conférence de compagnies ou de chargeurs, et d'automatiser la logistique de bout en bout. Le trafic du port chinois du Pirée est la claire illustration de cette matérialisation de l'élément liquide.


Ceci dit pour cerner les gros soucis du président Trump, qui pourrait être acculé à la guerre si la Chine coupait les approvisionnements de terres rares ! L'Europe vieillissante et les constructeurs allemands de voitures sont à côté de ça un petit souci. Mais entre Trump et Macron il y a aussi une différence de tempérament.

Donald Trump est un homme d'affaires, éduqué (plus ou moins) dans une famille d'affaires avec un passage par une académie de cadets. Il en a la mentalité et tous les réflexes. Seul compte le contrat à la fin ! Négocier même durement n'entame pas la cordialité. On peut s'étriper et s'inviter dans le chalet de l'autre à Gstaad. On peut soutenir les GAFA et coopérer à livre ouvert dans la guerre (Afghanistan, Syrie, Sahel).
Ayant de grandes facilités d'orateur - on l'a encore vu dans son discours de Colleville-sur-mer sans papelard - il a cru en son talent de tribun pour retourner l'opinion en faveur d'un projet simple au bénéfice de l'emploi et de la réindustrialisation, poursuivi avec l'acharnement du promoteur immobilier. Son pays, géré en dépit du bon sens par la nomenklatura démocrate qui se faisait baiser partout, lui était devenu insupportable. Il a sorti l'avion et fait campagne.

Emmanuel Macron
est tout son contraire : le lauréat (Dustin Hoffman), dépucelé par sa prof de théâtre, grandi dans du coton pour faire carrière dans la haute administration, intelligent et rusé dès qu'il détecte l'embellie, n'a pas la carrure du tycoon international ni les codes secrets de la profession. C'est un fort en thème comme Juppé mais pas un guerrier pieds au sol. Il s'est laissé user jusqu'à la corde par l'insurrection des Gilets jaunes, faute d'avoir su trancher le nœud gordien d'un coup net, en prenant une mesure d'autorité immédiate qui frapperait les esprits. Le coup d'Etat interne est au-dessus de sa pointure. D'ailleurs à l'Elysée, il est seul avec son épouse et il exerce un pouvoir jaloux et colérique qui dénote ses insuffisances dans les grands moments. Un détail, mais le caviardage de la dernière lettre du jeune fusillé Henri Fertet signale une timidité qui met en doute son autorité naturelle.

Voici pour rallonger le mien un article autorisé de Radio France internationale qui parle de ce sujet. Bonne Pentecôte ! Et levez le pied dans la tuerie, une bonne tétraplégie vaut mieux que d'aller au Ciel, paraît-il quand on y croit.



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