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La France malade de son État

Fresque de Goin à Grenoble

Auditionné au Parlement après l'attaque meurtrière à la Préfecture de Police de Paris, le ministre de l'Intérieur Castaner ne cherchera ni responsable ni coupable en l'affaire, et il rejette d'emblée le criblage de l'Administration pour détecter les déviants, faute d'un logiciel adapté (sic). Répondant aux questions qui apparemment le dépassent, il s'applique et fait du mieux qu'il peut, peu ! Le secteur du Renseignement ne pouvant être désossé en place publique, le Sénat abandonne la commission d'enquête et remet une pièce dans la machine DPR (Délégation parlementaire au renseignement) qui travaille à huis clos et caviarde généreusement ses rapports pour ne pas interférer dans le travail des Services. Ce travail de la DPR vise à corriger ou éditer des lois et règles améliorant l'institution, ce n'est pas un balcon médiatique, tant mieux ! Parce que failles et dysfonctionnements divers sont le quotidien de la Police parisienne, gouvernée par un petit préfet aussi ridicule sous sa grande casquette qu'arrogant, et seul un travail en profondeur peut déblayer le terrain des incapables venus là faire carrière avant tout. «C'est un vrai sujet !» dirait monsieur Castaner. Allons au fond des choses en ce qui concerne l'État.

Nous avons trois États :

(1) l'Etat provisoire que représente l'exécutif avec ses ministres, sous-ministres, conseils et cabinets ministériels. Il est issu indirectement des élections démocratiques et ses mandats sont limités dans le temps.

(2) L'Etat profond ou permanent, formé de la haute fonction publique issue des corps de surveillance et de conseil. C'est ici que se recrute la noblesse d'Etat qui, depuis la Libération, a une vision à long terme de l'administration du pays. C'est notre caste des Brahmanes. Ils ne mangent pas dans nos couverts et font carrière tracée.

(3) L'Etat d'exécution formé par tous les services centraux et publics qui rémunère six millions de fonctionnaires quand la moyenne OCDE appliquée à la France serait de quatre. Il y a aussi les Etats dans l'Etat mais ce serait trop long. Si on dit SNCF, EDF, arsenaux, chacun comprend de quoi nous ne parlerons pas.





L'Etat d'exécution (3) obéit à plusieurs maîtres. Une partie dépend des services centraux, en région, des préfectures, parquets, DDASS et rectorats, c'est l'Etat national. A côté de lui prolifère l'Etat territorial qui dépend des satrapies locales. C'est le secteur en inflation à mesure des dévolutions consenties par le pouvoir central dans le cadre de la décentralisation, souvent faute d'argent. C'est évidemment l'Etat au contact de l'usager qui, à travers lui, juge l'Etat dans sa totalité, privilèges et horaires compris !

L'Etat profond (2) est rarement exempt d'orgueil. Ses membres partagent la certitude de tenir le pays debout en dépit des errements électoralistes de l'Etat provisoire qui lui est supérieur hiérarchiquement. Son recrutement remonte parfois à l'Ancien régime et un certain niveau de qualité est généralement la règle, même si Maurice Rheims croisait parfois des "cons terribles" chez les conseillers-maîtres. C'est contre cet Etat permanent et sûr de lui que se rebiffent les politiques. Ceux-là l'accusent de détourner leur prérogative législative dans la rédaction des décrets d'application des lois, leur differement, leur dénaturation. La strate est en outre infiltrée par la franc-maçonnerie dans laquelle cherchent à pénétrer les intermittents du pouvoir que sont les politiques, dans le but de s'établir socialement comme il est dit plus bas.

L'Etat provisoire (1) est le royaume impermanent des ambitions dévorantes où circule ce que les Italiens appellent "La Casta". Entrepreneurs en extraction de voix, rares sont les élus de convictions, ancrés au pays réel. C'est la république des bavards et des habiles, en un mot des démagogues, mais c'est le régime démocratique d'étage national qui veut ça. Il y est plus souvent question d'accéder à un statut social plus élevé qu'avant la campagne sur la seule durée du mandat électif que de contrôler l'exécutif. Le top est de pouvoir à la fin entrer dans l'Etat profond et sécuriser ainsi l'avenir de sa famille.

Et ça ne marche pas !

A preuve s'il en faut, le discours mardi dernier de monsieur Macron dans la cour de la Préfecture de Police de Paris appelant toute la nation à se substituer à l'Etat dans le contrôle de la radicalisation islamique. Ahurissant ! Julien Suaudeau note à juste titre dans Slate que « l'État, s'il conserve en théorie le monopole de la violence physique légitime, reconnaît qu'il n'a plus les moyens pratiques de l'exercer efficacement pour nous protéger ». En d'autres circonstances, on aurait formé des milices citoyennes, avec sectionnaires et patrouilles nocturnes. Mais que s'est-il passé pour que le Chef de cet Etat désavoue publiquement sa haute administration ? On a déjà ouï des reproches réitérés du pouvoir contre l'Etat profond qui bloque réformes et évolutions. Les gnomes de l'Elysée ont même caressé l'idée de dépouilles à l'américaine qui purgerait les directions après chaque élection présidentielle afin que l'impétrant puisse gouverner sans se battre contre les "permanents". En fait c'est une crise de régime que ce pays affronte.

L'Etat permanent, à qui est remis par l'Etat provisoire le contrôle de toute la société d'al brès a la toumbo est maintenant jugé incapable d'aboutir dans le cas précis de la guerre au terrorisme, paralysé par le nouveau concept bloquant d'islamophobie. Ce désaveu est partagé par tout l'exécutif et le parlement. Visée, la haute administration est retranchée derrière ses statuts, et quand retombe l'écume législative, règne en maître. En fait, on en revient à l'organisation pragmatique de l'Ancien régime où les parlements servaient de cour d'appel, émettaient des vœux voire des remontrances, mais pénétraient peu dans le quotidien de la vie sociale et laissaient les Intendants agir. Mais cet Etat permanent est infiltré par les idées nouvelles comme l'était jadis l'Etat de Louis XVI. Il subit donc les préventions, précautions et timidités à la mode du temps que lui injecte l'Etat provisoire.

A défaut d'être saisi de grandes causes le plus souvent déportées au niveau des institutions européennes, l'hubris sociétal du parlement d'aujourd'hui est jugé ridicule ou malfaisant par la haute administration en ce qu'il valorise chaque minorité visible pour lesquelles naissent des droits, en sus du clivage provoqué par toute discrimination positive. Pourtant c'est bien dans la vocation d'un parlement démocratique d'écraser son opposition et de survaloriser ses clients. Le modèle est naturellement diviseur, comme l'avait jugé le Poméranien depuis son hôtel particulier de l'Avenue de Villeneuve-l'Etang à Versailles quand la délégation française était venu en 1870 quérir ses volontés quant au régime devant succéder au Second empire : "Qu'on leur foute la République, c'est ce qui les divisera le plus !". Ça n'a jamais raté, sauf en Quatorze mais c'était spécial ! Depuis vingt ans, les pouvoirs publics séparent et traitent à part les musulmans, même et surtout quand ils s'en défendent. C'est la voie de la communautarisation à l'anglaise avec des corpus de lois adaptées. Nous n'y sommes pas encore mais nous y allons ; c'est dans la logique du clientélisme. Et parfois c'est à se demander si des communautés réglées selon leurs lois ne seraient pas plus pacifiques au lieu des provocations permanentes actuelles et de tout bord. Mais c'est un autre sujet qui croise à angle droit la définition républicaine du "peuple" français.


Pro domo

Ce monde ingérable qu'est devenu l'Etat ne peut plus continuer. En fait l'Etat, censé gérer la société, ne se gère plus lui-même tant il a enflé comme la baleine crevée sur la plage. Il est plus que temps de faire la part du feu et débander tout le domaine qui n'est pas régalien, le plus mal loti budgétairement pour distraire des crédits clients vers l'électorat vainqueur. L'Etat non-régalien doit être remis au peuple qui en conservera les secteurs utiles et les confiera à qui il voudra, région par région (par exemple). Rappelons le périmètre régalien : la Justice haute, la sécurité (police et gendarmerie), la guerre (ou la défense), la diplomatie et la parité monétaire. S'y agrègent des domaines cousins qui pourraient être éventuellement remplacés par des organismes régionaux ou privés : la santé, l'instruction publique, opéra et ballets. Tout le reste et à remettre dans les mains des collectivités locales et régionales représentant les peuples de France, avec la capacité d'y adosser les taxes locales correspondantes.

Et c'est là qu'apparaît le monarque souverain qui préside dans la continuité de sa fonction la haute administration permanente, l'arbitre, la règle et la commande ! La fonction est évidemment utile, elle appartient au domaine régalien, par essence continue. Sa pertinence se démontre parce qu'elle est la seule réponse aux dérives paralysantes que nous rencontrons. Par définition, les gens du roi ne sont pas intéressés par le mât de cocagne des élections, ils gèrent en leur âme et conscience le pays et n'en rapportent qu'au souverain. Au nom du roi et pas du petit marquis intermittent en vogue, tant de choses deviennent possibles car justifiées par le bien commun et non plus par les fameuses promesses de campagne. Chacun des trois Etats précités occupera dès lors la totalité de son domaine sans compétition pour la domination des deux autres puisque la place en haut est prise. A chacun la sienne, enfin !

Commentaires

  1. Je tire du "Gândhî" de Jacques Attali cette condamnation définitive du socialisme exprimée par le mahatma en novembre 1934 :

    " L'Etat constitue la violence concentrée et organisée. L'individu a une âme mais l'Etat représente une machine sans âme qui ne peut se débarrasser de la violence qui l'a fait naître. Je vois croître le pouvoir d'Etat avec beaucoup de crainte, parce qu'il se vante de faire le bien en réduisant l'exploitation capitalistique alors qu'en réalité il cause les plus graves dégâts en annihilant l'individualisme qui est à la racine de tout progrès."
    (repiqué dans The Collected Work of Mahatma Gandhi, Governement's Publications Division, New Delhi 1958-1984)

    Le saint fou était aussi un anarchiste.

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