lundi 9 décembre 2019

Démocratie directe avec Rory Stewart

Dans un entretien donné au Grand Continent le 8 décembre, à l'invitation de Gilles Gressani & Mathieu Roger-Lacan, Rory Stewart a cerné le défi démocratique au Royaume-Uni mais son analyse est de pleine application en France puisqu'il y dit que « le modèle actuel de gouvernement est condescendant, insultant et infantilisant pour nos citoyens ». Rory Stewart est un diplomate anglais de grande tradition, instruit, curieux et doté d'un courage physique hors du commun qui l'a poussé au fin fond de l'Empire victorien à ses risques et périls pour seulement... comprendre ! Candidat à la mairie de Londres, on peut souhaiter aux Londoniens de faire bon accueil à l'intelligence cette fois. C'est la partie relative à la démocratie directe qui nous intéresse aujourd'hui, mais auparavant il serait très utile de lire l'entretien en cliquant ici.

Royal-Artillerie a toujours soutenu l'idée d'un grand deal entre le monarque restauré et le peuple incrédule en troquant la gestion exclusive du domaine régalien strict par le roi (en ses conseils) contre la démocratie directe aux étages de conscience civique. Si l'on exclut dans ce schéma la monarchie du domaine public, on exclut aussi le demos de l'étage national parce que ce qui marchait dans une cité-état de l'Antiquité ou de la Renaissance ne fonctionne plus dans un pays presque grand de soixante-cinq millions d'habitants (sans compter les colonies). En plus, les moyens d'information-intoxication sont devenus si puissants qu'on peut abrutir le peuple dans un sens puis dans l'autre au gré des intérêts dominants, livrant la république à la dictature des opinions éphémères. Pourquoi l'alternance est-elle systématique en France ? A cause de ce jeu de bascule des opinions, qui ne sont évidemment pas des convictions mais des réactions aux provocations astucieusement propagées par les médiats. Le quinquennat n'a vu aucun président faire son second mandat et c'est bien parti pour que M. Macron s'arrête en 2022 comme ses prédécesseurs, peut-être au milieu d'un chaos semé par les assistés de l'Etat-providence au ressentiment nourri par les insoumis professionnels qui rêvent de Septembre ou d'un grand soir.

Par contre, et nous rejoignons Rory Stewart, une démocratie directe impliquant les gens dans des réflexions concrètes est souhaitable. Il constate que le ressort démocratique traditionnel britannique fondé sur les classes sociales ne bande plus. Les grands sujets de société voire géopolitiques comme le Brexit, traversent aujourd'hui toutes les classes sociales, les divisent, les antagonisent. Elites, politiciens, hauts fonctionnaires étant mentalement corrompus, il faut repartir d'en bas, les pieds au sol. Je le cite (sans autorisation) :


« Nous ne mobilisons pas les intelligences de nos soixante-dix millions de citoyens. Cette manière de faire de la politique demeure bien trop ancrée dans les idées héritées de Rousseau, dans une conception générale, une idée qu’il y a un Peuple, que les gens expriment leur volonté et qu’ils se taisent ensuite pendant quatre ou cinq années pendant lesquelles le gouvernement met en œuvre cette volonté générale, avant de les convoquer à nouveau pour qu’ils donnent leur avis. Nous devons revenir à la notion anglaise beaucoup plus ancienne du Jury, constitué de citoyens normaux choisis au hasard non pour prendre une décision isolée, mais pour délibérer, pour réfléchir. La vérité de Paris ou de Londres, c’est que les citoyens qui sont hors du gouvernement sont intelligents, peut-être plus intelligents, plus expérimentés et mieux informés que les gens qui gouvernent. Les humains sont des animaux politiques, et à ce titre nous devons tous participer activement à notre citoyenneté et compter de façon plus effective dans nos décisions. Le modèle actuel de gouvernement est condescendant, insultant et infantilisant pour nos citoyens. Une grande partie du populisme vient de notre incapacité à inclure les gens dans une conversation adulte sur les changements pratiques.»

Emmanuel Macron a eu l'intuition de ces cercles d'intelligence populaire après la secousse du Grand Débat mais il n'a pas la capacité intellectuelle ou politique de les inscrire dans un schéma démocratique direct ; parce qu'il faut simplement ruiner tout le millefeuille actuel d'un Etat bedonnant qui se mêle de tout. Si on suit la pensée de Rory Stewart (je me demande si l'idée ne lui serait pas venue lors de ses séjours en Afghanistan), nous pourrions développer un système démocratique balayant tout l'existant. Pour ne pas reproduire l'erreur jacobine, chaque province pourrait choisir son organisation politique (d'évaluation des besoins et d'exécution des décisions). On n'a pas besoin d'expliquer pourquoi des jurés départementaux du Var, du Haut-Rhin, du Nord et de Basse-Seine aboutiront à des décisions différentes concernant l'instruction publique. Idem dans nombre de sujets qui touchent les gens au plus près, comme par exemple et dernier, les règles de permis de construire en zone inondable ou douteuse. Mais ces jurys, pourquoi pas d'arrondissement, ne seront pas voués à bâtir des salles omnisport ou des ronds-points, on pourrait les faire phosphorer sur des défis d'étage national et faire remonter leurs contributions au niveau d'un Sénat, premier conseil du gouvernement futur dans les affaires publiques hors-régalien.

La cellule de base de l'organisation de l'espace reste la municipalité avec son maire français que Rory Stewart, admiratif, a croisé sur les marchés de plein vent. A partir de là tout est à imaginer, en évitant les petites satrapies ridicules et les grandes satrapies prévaricatrices, dans un esprit de contrôle direct qui n'existe même plus dans les villes moyennes et grandes où les édiles ont la cambrure du Cid Campeador. "Les Républiques" disait Maurras. On y vient, on y vient...

Un mot des thuriféraires actuels du RIC et des révocations au caprice des foules : ces gens utilisent la magie d'une démocratie rêvée pour établir leur pouvoir à travers leurs sectionnaires, qui fliqueront tout le pays à la recherche de leurs adversaires réels ou désignés, et les feront taire, comme ont su s'y prendre leurs grands aînés. Mais ce sera un autre sujet qui parlera de les réduire.

Pour finir, le mouvement royaliste serait bien inspiré de creuser la question d'une démocratie directe à échanger contre l'extraction du domaine régalien de la dispute politicienne. Et de le faire ex-nihilo, sans chercher systématiquement le raccord avec le passé dont la connaissance reste utile néanmoins. C'est plus dur, je sais.

Quatre billets de Royal-Artillerie ont déjà parlé de Rory Stewart. On peut les sélectionner en cliquant ici.

2 commentaires:

  1. "On y vient, on y vient"... en êtes-vous si convaincu?
    à bientôt!

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    1. La déconsidération de la classe politique est telle que la réaction normale sera de revenir à la base. Retour au paquet, comme on dit aux cartes.
      Fin 2018, les Gilets Jaunes (différents de ceux d'aujourd'hui) avaient obtenu jusqu'à 84% de soutien de l'opinion. Il y a un vrai rejet.

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