Accéder au contenu principal

Action française, de l'antisémitisme au sionisme, une trajectoire inouïe

Avertissement. Ce 12 juillet on peut commémorer la mort du capitaine Alfred Dreyfus en 1935 ainsi que l'arrêt de cassation du jugement qui le réhabilite un 12 juillet également, en 1906. C'est l'occasion pour le piéton du roi de placer un article longtemps retenu, qui devait répondre aux accusations d'antisémitisme visant régulièrement l'Action française de la haute époque dans le milieu journalistique. Je demande pardon à ceux qui ne soupçonnaient pas cette trajectoire intellectuelle et en seront meurtris dans leur intime conviction de la culpabilité de Dreyfus !

Le chef d'escadron Alfred Dreyfus en 1934


C'est une affaire controversée que l'antisémitisme de l'Action française et on a beaucoup écrit sur le sujet, les tenants de l'antisémitisme d'Etat réfutant laborieusement la thèse de l'antisémitisme pavlovien du premier parti royaliste. Tous les arguments pour et contre existent dans l'océan de la production Action française de la haute époque (1899-1945) mais jamais au même moment. L'antisémitisme instinctif du Chemin de Paradis a muté, il s'est usé par le frottement des personnalités du Tout-Paris parmi lesquelles figuraient autant d'israélites et de convertis qu'aujourd'hui*, jusqu'à devenir une posture comme l'écrivait Bernanos d'Hitler, un type qui avait "déshonoré" l'antisémitisme par sa vulgarité. S'inventa à la fin l'expression précitée d'antisémitisme d'Etat, porte de secours offerte par les quatre Etats confédérés, qui laissait fermée celle de la dénonciation ad hominem du petit juif de la Rue Pavée.

Ce billet n'a évidemment pas l'ambition de clore le débat mais revient sur le laboratoire philosophique maurrassien que décrit si bien Eric Vatré*, pour montrer quelques bases de l'antisémitisme du martégal, et dans une seconde partie, porte témoignage de la persistance de l'effluve malgré un immense repentir déclenché par l'histoire.

Très tôt chez Maurras, tout ce qui touche à l'hébraïsme participe de la barbarie, même si les communautés israélites s'établirent sur le territoire devenu français depuis l'époque romaine et se seraient facilement intégrées ensuite sur tout le midi sans l'ostracisme du clergé catholique alors tout-puissant. Il n'est pas concevable pour Charles Maurras de mettre sur un pied d'égalité les ordres grecs, le monde hébraïque et le classicisme français. Cherchez l'intrus. L'intrus menace, comme il le fait comprendre dans la RAF du 1/2/1908. Sauver l'Occident (déjà !) des périls jaune (Japon), sémitique (l'Internationale juive) et islamique convoque pas moins qu'une croisade, avant d'endiguer le grouillement des contingents noirs qui vont nous assaillir. Au-delà des arcanes bibliques qu'il apprit à l'école des pères, on ne peut comprendre sa répulsion des juifs si on ignore son refus du monothéisme qu'ils incarnent par l'élection. Peuple élu, peuple dominant. Pour Maurras le Dieu unique est une centralisation hégémonique, totalitaire, et comme il le confiait à Gustave Thibon dans les bureaux lyonnais du journal : « N'est-ce pas plus doux de croire aux dieux sans nombre de la mythologie, depuis Apollon, père des arts, ou Vénus, mère de l'amour, jusqu'aux petits lares qui protègent nos foyers ? un Dieu unique, cette centralisation !»

Le monde hébraïque incarne à la perfection le monothéisme et ses travers, d'ailleurs il est à l'origine de tous les monothéismes. Ne dit-on pas que l'islam est né des pactes passés entre les Bédouins et les Juifs de Médine ? Le polythéisme quant à lui signe l'Europe primitive, et l'Eglise du Dieu seul eut fort à faire pour l'assimiler. Elle inventa la communion des saints qui en fut le succédané gagnant, à voir l'usure des pieds de plâtre de leurs statues !

Le jeune Maurras n'y va pas de main morte sur le nouveau testament en parlant des apôtres comme un "convoi de bateleurs, de prophètes, de nécromants, d'agités et d'agitateurs sans patrie" (Anthinea). Jacques Bainville de son côté moquera la maxime "ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'il te fît" comme sortie des vapeurs bitumineuses du Jourdain. Frénésie, communisme, anarchie jalonnent les saintes écritures et c'est bien tout le mérite de l'Eglise romaine d'avoir stérilisé le venin des évangiles et l'imbécilité du sermon de la montagne.

Charles Maurras naît au monde philosophique et littéraire parisien dans la compagnie ou le souvenir récent de grosses pointures antisémites telles qu'Arthur de Gobineau (†1882) qui exalte le génie indo-européen, Ernest Renan (†1892) pour qui le judaïsme n'est que du lest dans le christianisme, Edouard Drumont (†1917), talentueux polémiste viscéralement anti-juif et tant d'autres qui ciblent à chacun son tour les grands israélites de la place et les petits fourreurs aux enseignes imprononçables. Charles Maurras en gardera l'empreinte jusqu'au bout, jusqu'à ce cri de dépit à l'énoncé du verdict de Lyon : « C'est la revanche de Dreyfus !» On comprit alors qu'il n'avait rien digéré de la réhabilitation du capitaine juif, et que l'accumulation des malheurs d'autrui avaient sédimenté jusqu'à masquer le fond. Le cri du 27 janvier 1945 faisait remonter le fond. L'Action française ressortait du procès durablement entravée, marquée au fer pour des générations, jusqu'au risorgimento tenté par Pierre Boutang sur une dialectique complètement différente mais peut-être trop savante pour agréger en masse.

Cette veine antisémite produira à jet continu dans tout le pays jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Elle se tarira à l'ouverture des grilles des camps nazis d'extermination quand le monde saura qu'à prendre les mots à la lettre pouvait conduire finalement à la mort industrialisée d'un peuple pour ce qu'il est. Mais il faut être borgne comme la Gauche actuelle pour ignorer que les partis ouvriers de l'entre-deux-guerres étaient antisémites plus violemment encore que les ligues, ne voyant dans la forge et la banque que la main apatride du juif assoiffé du labeur des humbles.

Si l'antisémitisme, explicite jusqu'à l'injure, disparut des interventions et textes du mouvement royaliste d'après-guerre, quoique les expressions "cosmopolitisme" ou fortune anonyme et vagabonde visassent toujours les mêmes, le mépris du juif et la dénonciation des positions indûment acquises continua sous le manteau de la respectabilité, jusqu'à récemment, quand au quarantième anniversaire de la mort de Xavier Vallat (†1972), Haut-commissaire aux questions juives du régime de Vichy, un clash retentissant déstabilisa l'équipe rédactionnelle du journal L'Action Française 2000 par le départ tempétueux de Michel Fromentoux chez Rivarol, et le lancement d'une sorte d'Action française canal orthodoxe menée par Maître Elie Hatem pour continuer d'exalter le souvenir du maréchal Pétain (si si !).

Mais ceci a moins d'intérêt que l'engouement qui, dans le milieu royaliste, naquit dans les années cinquante pour Israël à l'occasion de sa contribution victorieuse à l'expédition franco-anglaise de Suez (1956), les capacités militaires d'une nation étant une valeur importante au catalogue ! La guerre des Six Jours dix ans plus tard en apportera la confirmation. Cette nation savait se battre ! Elle méritait notre alliance.

Le génie de l'Occident et de la race européenne s'accommodèrent alors fort bien des origines bibliques du Déluge puisque nous devenions raccord avec la légende de Japhet, fils de Noé et frère de Sem (la tige d'où poussera le rameau abramique) et de Cham qui peuplera les pays de la Mer Rouge. On verra sur cet axe des intellectuels comme Pierre Boutang et des chevaliers comme Serge de Beketch. Dans un droit de réponse au mensuel de la Restauration nationale, Le Bien Commun, Olivier Véron dénonce l'antisémitisme rampant d'un rédacteur sous couvert d'antisionisme. Le contre-feu est assez étonnant parce qu'il lie les deux concepts de manière aussi adroite qu'érudite, reprenant l'amalgame officiel du CRIF :

« À quoi bon étudier ou prôner l’histoire, les lettres, la philosophie et même la Politique et prétendre en maintenir le vague prestige parmi les lecteurs perdus de l’Action française si c’est pour leur ôter définitivement le goût ou le flair, avec des remugles d’Égalité et Réconciliation ? »

Vient ensuite la volée de bois vert sur le dos d'Olivier de Lérins que l'on pourra déguster ici. Pour vous la faire courte, mais le texte mérite d'être lu jusqu'au bout, Israël défend sa peau au bout du fusil sur la terre que Dieu lui a donnée avec tous les moyens que réclame la disproportion des forces engagées sur zone, quand les penseurs nationalistes français déclament par monts et salons en conférences qu'il faudra bien un jour gagner le pouvoir par tous moyens même légaux en évitant soigneusement d'en saisir aucun ! C'est vache, mais que dire d'un mouvement échoué sur la grève des hésitations depuis cent vingt ans. Olivier Véron en remet une fine couche vers la fin de son pamphlet :
« Est-ce que vous condamnez moralement la résistance désespérée mais belle menée par Bar Kochba et qui s’acheva dans le carnage des suicides de Massada, en un tragique défi de la liberté à la Rome impériale ? Elle a pourtant servi de précédent aux révoltes "inutiles" du ghetto de Varsovie et de plusieurs camps de concentration nazis, et elle sert encore d’ultime avertissement à tous les soldats israéliens qui jurent "plus jamais ça". Car l’efficacité de cette question pour les défis du XXIe siècle est évidente, mais ce sont les élèves officiers d’Israël qui l’étudient dans le tremblement des écoles de préparation à l’endurance et à l’intelligence bibliques et militaires ». Et de terminer sur les vingt-huit rois d'Israël qui se tiennent debout sur la façade de Notre-Dame de Paris.

Roger Peyrefitte insère dans l'ouvrage cité** plus bas la dialectique fondamentale de notre bel Occident : « Les juifs sont les épices, le grain de sénevé, le ferment indispensable du monde chrétien. Israël nous prouve que le monde chrétien est encore plus indispensable aux juifs pour épanouir leurs qualités »

L'antisémitisme d'Action française est officiellement mort, emporté par l'histoire des scandales monstrueux du XXè siècle, bien qu'il persiste en bruit de fond dans la société française, et maintenant à l'extrême-gauche surtout, en soutien des revendications palestiniennes. Si ce n'est plus un "marqueur" pertinent de la mouvance d'Action française, les rédacteurs qui se réclament de cette école de pensée devraient quand même faire attention à ne pas laisser déteindre une humeur trop vive, voire justifiée, à l'endroit de telle ou telle personnalité de confession ou d'origine juive, parce que la critique comme la banque ne prête qu'aux riches.

Ceux de nos lecteurs qui descendent de camelots du roi connaissent l'antisémitisme transmis dans leurs gènes intellectuels. Il est très difficile de s'en défaire, et des réflexes peuvent trahir inopinément le fond de leurs convictions. Il est un bon remède à cela pour casser la malédiction : se faire un ami juif. Ça marche !


Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite se dessèche ! Que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens de toi, si je ne fais de Jérusalem le principal sujet de ma joie ! (psaume 137 des vêpres catholiques)


*Charles Maurras, un itinéraire spirituel (Nouvelles Editions Latines, 1978)
**La meilleure sociologie des juifs de France se trouve dans Les Juifs de Roger Peyrefitte, Flammarion 1965

Commentaires

  1. Il y a déjà plusieurs décennies que l'antisémitisme a viré de bord.
    Certes, une partie de la droite traditionnelle reste "vaguement" antisémite, sans doute plus par tradition que par conviction. Aujourd'hui en France, c'est à gauche et à l’extrême gauche que l'on trouve les plus violents adversaires des juifs, bien que ceux-ci aient été les théoriciens des idées dites progressistes. Et, ironie de l'histoire, de ce fait, une forte proportion de juifs français virent politiquement à droite, alors que l'idéal sioniste est fondamentalement communiste.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Dit autrement : translation du Nouvel Observateur à Causeur !

      Supprimer
  2. Hello! pourriez vous explicitez? Je n'ai pas compris votre phrase:

    "c'est bien tout le mérite de l'Eglise romaine d'avoir stérilisé le venin des évangiles et l'imbécilité du sermon de la montagne."

    Je sais que vous êtes agnostique et donc je conçois que vous soyez étranger aux mystères de la Foi, mais je ne comprends pas en quoi le catholicisme ferait exception?Faites vous allusion à des Nietzsche , des Napoléon qui préféraient l'Islam qui est une religion de combat par rapport au Christianisme qui serait une religion de faible, de "loosers" (reproche souvent fait aux huit Béatitudes du sermon qui coupent définitivement le lien avec la Loi mosaïque)? Mais ou serait" l'exception catholique" en ce cas? En tant que Protestant j'ai du mal a voir de la virilité combattante dans une religion ou le clergé est puceau et se balade en robe. Je me rappelle que les Boers du Transval , les Parpaillots des Cevennes, les Prussiens de la Baltique ou les Slaves des balkans ottomans n'eurent pas besoin ds interprétations de l’église catholique pour se défendre et se battre en territoire hostile:.
    A trop lire les écrits de la Nouvelle Droite j'en deviens peut être paranoïaque voir légèrement schizophrène. J'avoue!
    Cordialement. Camisard

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce paragraphe [Le jeune Maurras n'y va pas de main morte ...etc... l'imbécilité du sermon de la montagne.] évoque l'éloignement de Charles Maurras, jeune encore - les Contes du Chemin de Paradis ont été écrits avant l'âge de 30 ans - du message évangélique quand dans le même temps il reconnaît à l'Eglise catholique d'avoir promu "le salut dans l'ordre" en fondant les règles sociales de la cité dans une conversation avec les esprits qu'il appellera "un arrangement supérieur divinement établi" et en remplaçant l'indispensable polythéisme indo-européen par... la communion des saints. Avouons que c'est génial de la part des Pères et de l'institution civilisatrice qu'ils ont construite en trahissant. Donc il rompt avec la tradition hébraïque parce que, essentiellemnt barbare comparée à l'ordre héllénique, elle est devenu un fruit sec, stérile après la glorieuse transformation opérée par l'Eglise chrétienne. Maurras se définit païen ou polythéiste et quand il brise des lances avec les catholiques c'est toujours dans le domaine philosophique.
      Donc, ce n'est pas de moi qu'il s'agit là (je n'aurais pas osé), mais de Charles Maurras et de l'école maurrassienne du début du XXè siècle.

      Mais si je voulais répondre complètement à votre remarque, je dirais que moins l'Eglise romaine assume sa mission de régulation stricte du corps social, plus sa vanité grandit. Le spectacle actuel d'un pape bancal parfaitement désorienté dans ses relations à l'islam, aux cultes amazoniens, au défi communiste chinois, annonce un naufrage d'éthique, sauf à reconvertir le modèle à la bonne humeur évangélique pour aggraver son utilité caritative et survivre dans une mission nouvelle d'ambiance religieuse, en faisant rentrer les sous. Le grand vaisseau fait route à la côte.

      Supprimer
  3. le christianisme ne peut être qu anti judaïque Le judaïsme hait le Christianisme
    voir comment il est traité dans le Talmud , livre écrit après JC pour combattre
    la religion Chrétienne . Le Christ et Marie sont insultés et les goys meme pas des
    animeaux
    toute l histoire s'explique par ce combat leur but nous abattre
    d'ou la nécessité de combattre le judaïsme politique

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Non, "toute l'histoire" ne s'explique pas le combat du judaïsme contre la religion chrétienne. Les communautés israélites disséminées dans l'Empire romain ne s'opposèrent pas à la nouvelle religion issue de leurs rangs, et quand après les temps barbares, le catholicisme fut installé, ces communautés fonctionnèrent et s'enrichirent jusqu'à ce que le haut-clergé catholique s'en mêle. Le combat fut plutôt lancé par l'hégémonie pour des raisons bien éloignées de la foi au-delà de l'asservissement des âmes.

      Supprimer
  4. Sur le blogue du CER, M. Jean-Yves Pons suggère, à défaut d'ami juif, d'épouser une femme d'origine juive, ça marche aussi.

    RépondreSupprimer
  5. Cette semaine, la France commémore aussi la "rafle du Vél’d’Hiv" organisée par René Bousquet, Secrétaire général de la police nationale à Paris, et accessoirement amis des époux Mitterrand (ex-AF) qui le recevront à Latché. Il est des photos cruelles pour la page d'histoire du grand homme.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La morale de François Mitterrand s'arrêtait aux portes du pouvoir (mais était-il le seul ?). Il a passé sa vie en quête de prébendes et privilèges à n'importe quel prix, jusqu'à sauter les grilles de l'observatoire pour relancer la carrière. René Bousquet était le pape rad-soc du midi toulousain et tenait dans sa main La Dépêche du Midi. Rien ne se faisait aux élections sans son aval ou ses conseils. Il avait des relations dans tous les camps, comme Mitterrand. Une époque sans foi ni loi qui n'est sans doute pas finie.
      C. Gardel

      Supprimer
  6. Sur l'avenir de l'Etat hébreu, on doit lire l'article de Peter Beinart traduit par Orient-XXI :
    "Je ne crois plus en un État juif". Le régime ségrégationniste n'est plus viable.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Si la France fut décrite comme une petite union soviétique, Israël ressemble de plus en plus à l'ancienne Afrique du Sud.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Modération a priori. On peut utiliser dans la rédaction du commentaire les balises "a", "b" et "i" pour formater son texte.