vendredi 28 août 2020

Sahel, la grosse fatigue

Le putsch malien a signé l'échec de la "pacification française" et peut-être son terme. Sur Orient XXI, Rémi Carayol fait l'analyse de notre intervention au Sahel, depuis le raid de M. Hollande sur Tombouctou jusqu'à la démission du dilettante socialiste IBK ces jours-ci. Après avoir évoqué la complexité explosive du Mali ethnique - Bernard Lugan avait fait le tour de la question structurelle dans ses bulletins mensuels "L'Afrique Réelle" - l'auteur qui se cantonne à relater la théorie des injonctions parisiennes à l'endroit du protectorat, fait sans l'assumer explicitement (ses lecteurs ne le comprendraient pas) le procès de la démocratisation à outrance, fameuses élections magiques, que le nouvel ordre mondial exige de tout régime en crise, comme il en va ce tantôt du régime confessionnel des Libanais. Aparté : le résultat le plus "probant" n'est pas au Liban mais en Irak où les communautés légitimées par leurs groupes parlementaires font masse pour se détruire à travers leurs milices.

Même si lundi, M. Macron demande au président Aoun un cabinet de mission, sous-entendu composé exclusivement de compétences utiles au pays, après avoir pris fait et cause pour le Hezbollah, nous ne sommes pas loin d'imposer à nouveau au Liban comme au Mali un gouvernement de coalition qui là-bas comme ici n'est que le compromis d'un partage des "affaires". Ces syndicats d'ententes frauduleuses n'ont partout réussi qu'à déporter un maximum d'argent dans les paradis bancaires. On parle ces jours-ci des millionnaires comme Karim Keïta (fils d'IBK) exfiltré en Côte d'Ivoire près de ses comptes, ou Zoé Kabila (frère de Joseph et gouverneur du Tanganyika) en délicatesse avec les donateurs américains. On peut les prendre un par un, c'est sans fin. Rolex ? Pas assez cher, mon fils ! On laisse tomber Ibrahim Boubacar Keïta pour corruption aggravée par un régime clanique légitimé par les urnes, avant de reconstruire un régime aux mêmes normes démocratiques mais plus obéissant ? Ce n'est plus de la politique étrangère mais l'idéologisation d'une mission de contention des fermentations populaires, nourries par le sous-développement chronique de l'Afrique noire.

Democracy, the God that failed ! écrivait Hans Hermann Hoppe. Qu'importe, ça sonne bien aux oreilles de l'opinion internationale et dans les enceintes onusiennes, la démocratie. Alors on persiste dans cette dérive qui finit par faire beaucoup de morts. Bien sûr, disent les normateurs, c'est parce que ces peuples sont immatures qu'ils sont incapables d'appliquer la vraie démocratie de Westminster qui les sauverait de l'abîme. A lire l'article de Carayol, on comprend bien qu'il n'est pas venu encore le temps des réalités. La guerre des partis, soutenue par Paris pour faire émerger une sacro-sainte majorité, est-elle plus supportable que la guerre des clans, des tribus, celle des civilisations nomades contre leurs voisines agro-pastorales ? Le coup d'Etat malien nous répond que non ! Les putschistes demandent du temps pour organiser la cohabitation de tous à l'intérieur de frontières internationales sures et reconnues. Trois ans c'est peut-être beaucoup mais dix-huit mois au moins sembleraient un délai efficace pour aboutir. Nous n'oserons pas brouillonner une feuille de route, mais il nous semble préférable de fédérer les intérêts tribaux dans un grand conseil des chefs coutumiers plutôt que de demander par millions les avis éclairés du berger peul, du planteur bambara, du marchand de graines et de sodas, du gonfleur de roues songhai et du pêcheur d'anguilles pour la distribution des maroquins. A le faire malgré tout, autant que la démarche soit purement décorative pour un régime fédéralisé par le haut. Reste Barkhane :


Les conseillers de M. Macron pensent-ils toujours tenir le Sahel depuis les plateaux mauritaniens jusqu'au Darfour avec un corps expéditionnaire de cinq mille hommes, même bien équipés ? Le théâtre d'opérations fait 36 degrés de longitude (du 12°W au 24°E) soit un dixième du globe terrestre. Les Américains ont dû faire un calcul rapide en 240 signes pour leur Commander-in-Chief et plient les gaules. Je ressors ma vieille carte 953 Michelin et je m'étonne que les Compagnies sahariennes aient pu tenir le territoire (sans doute moins peuplé) de l'Atlantique au Fezzan ! Elles enrôlaient des goumiers provenant de tous les groupes ethniques sahélo/sahariens, Maures, Bédouins arabophones, Toubous du Niger, Touaregs et autres ethnies de l'Est. Elles étaient autonomes, vivaient en autarcie, savaient tout faire et pratiquaient la vadrouille plus souvent que la vie de fort ; tactique qui sera reprise plus tard avec les commandos de chasse en Algérie. Nul ne met en question la détermination des commandants français au Sahel, mais Barkhane est un bien gros marteau pour écraser la mouche terroriste qui pond ses œufs partout en profitant du contexte psychologique. Va-t-on s'intéresser un jour au fond des choses ? A la compétition pour les maigres ressources, à la haine tribale remontant à la traite arabe, à la concussion généralisée mais parfaitement documentée chez nos services, au déni de tout vivre-ensemble... et en tirer les bonnes conclusions ? Mais sans jamais cesser de se demander où est la queue de trajectoire : dans quel but ultime sommes-nous là-bas ?


La doxa française est de protéger au Sahel l'Europe de l'infiltration des malfaisants du défunt califat. Oui bon ! Tous les attentats européens sont l'œuvre de résidents nationaux. Croit-on les combattre en patrouillant le désert ? Un truc m'échappe, et si nos partenaires européens sont de bonne volonté, peut-être doutent-ils maintenant de notre expertise, au vu des résultats moyens moyens. Le dispositif Tacouba cassera du terroriste, c'est sûr puisque l'Europe forme les meilleures forces spéciales, mais le cadet sans avenir de la fratrie de cinq à qui sera proposé un fusil, une moto et une femme n'aura pas besoin d'apprendre les hadiths du Prophète pour rejoindre la guérilla. La ressource est inépuisable, comme la misère quotidienne et morale de peuples éternellement sous-développés.

Finalement, nous en sommes partis trop tôt !

3 commentaires:

  1. Deux soldats du 1erRHP de Tarbes ont sauté sur un IED à Tessalit (Mali). Ils roulaient en VBL Panhard autant dire tout nus. Ces véhicules sont inadaptés à la guerre asymétrique. Les affaires d'Irak et d'Afghanistan l'ont amplement démontré. Ce sont des VBL sur la photo de l'article.

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  2. J'ai lu le livre de Hoppe, je ne l'ai pas trouvé convainquant, assez déçu.

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    1. Il a une forme de raisonnement qui convient mieux à un auditoire anglo-saxon. Mais chez les prosateurs vivants, il est celui qui attaque le plus franchement la doxa démocratique.
      Deux billets développent sa pensée sur Royal-Artillerie :
      - De la supériorité économique de la monarchie
      - La démocratie sociale force l'intégration des étrangers

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