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La mort annoncée du "China Dream"

Sur le site Question Chine, le sinologue François Danjou (Danjou, vous savez ? la main de bois du capitaine !) titre prudemment "Vents Contraires" à propos des réactions à la dérive autocratique du président Xi Jinping, mais le résultat est le même : le Rêve recule. L'hubris du fils de prince à revenir sur les marches de l'empire, moins éloignées toutefois que celles du roman national comme nous le montre la carte française des 18 Provinces de 1906 ci-dessous, a levé une hostilité régionale palpable, capable de coaliser ses voisins contre elle, à l'image du QUAD (Inde, Japon, Australie, Etats-Unis) qui manoeuvre en escadre dans l'Océan indien et le Pacifique nord avec la Chine pour plastron. Seuls deux pays mendiants acceptent la colonisation chinoise, le Laos et le Cambodge qui n'ont que le tort de disposer des capacités hydroélectriques sous-exploitées du Mékong. Revenons un moment sur ce nouvel empereur communiste dont l'architecture mentale se rapproche de plus en plus de celle des Kim nord-coréens.
"Fils de prince" ou "Princeling", Xi Jinping fait partie d'une caste privilégiée remontant à la Longue Marche. Après de sérieux déboires dus à la Révolution culturelle qui forgera son caractère et une opiniâtreté caractérisée - il soumettra huit fois sa candidature au Parti communiste - le jeune Xi entamera dès la réhabilitation de son père une carrière grise d'apparatchik, en commençant par la Commission centrale militaire où il fera office de secrétaire particulier du futur ministre de la Défense (source The Star). Puis il gravira les échelons, sagement, sans rien faire de spectaculaire, à la différence de son cousin Bo Xilai qui revampera complètement la ville portuaire de Dalian avant d'aller gouverner avec succès la métropole de Chongqing. L'un comme l'autre, bourgeois déviés, furent rééduqués en profondeur puisqu'ils n'eurent de cesse de vouloir plus tard compenser la dérive capitalistique de Deng Xiaoping par une exaltation des valeurs marxistes-léninistes : le fameux "Red GNP" (PNB rouge) qui associe le développement fulgurant né de l'enrichissement possible des individualités à l'égalitarisme communiste. Quelle contorsion ! Il ne fallait pas être grand clerc pour deviner qu'ils étaient l'un et l'autre sur une route de collision, comme on dit en mer. Bo Xilai fut éliminé à l'issue d'un complot finement réglé où fut mouillé sa femme. Il purge sa condamnation à perpétuité au quartier VIP de la centrale pénintentiaire de Qincheng, mais annonce chaque jour pair son retour aux affaires.

La Wikipedia donne le parcours de Xi Jinping. Nous vous y adressons. Si la marche au limes de l'empire défunt fut jugée sans grand intérêt par les officines de surveillance étrangère (c'était l'accomplissement plus ou moins paisible du China Dream de Liu Mingfu), le césarisme exacerbé du titulaire des fonctions suprêmes de la République populaire éclata à la face du monde quand la commémoration des vingt ans du retour de Hong Kong à la mère-patrie se traduisit par un défilé militaire "nord-coréen" dans l'enclave, le chef de l'Etat paradant en command-car sous les vivats des troupes alignées au millimètre. Puis vite apparurent les portraits géants, la constitutionnalisation de la pensée du président, le dynamitage du nombre de mandats, les premières grosses erreurs tant à l'intérieur où la lutte anti-corruption menée par Wang Qishan apparut comme le plus sûr moyen d'éliminer l'opposition au sein du Parti, qu'à l'extérieur, où l'accroissement spectaculaire du tonnnage de la flotte visait explicitement tous les riverains de la Mer de Chine méridionale et le Japon !

La répression collective des Ouighours dans le plus pur style de la Révolution culturelle, la transfusion démographique du Tibet permise par le train du Toit du Monde, la mise au pas de l'enclave hongkongaise malgré son statut international, et demain matin la naturalisation forcée de la Mongolie intérieure (avant l'autre) ont convaincu les chancelleries que le président-empereur Xi avait pété les plombs. Il est temps de lire maintenant la synthèse remarquable de François Danjou parue sur Question Chine.net sous le titre Vents Contraires (clic).
François Danjou a fait Langues O' à Paris avant de passer quinze ans en Chine. Il contribue à de nombreuses revues de géopolitique mais principalement au site Question Chine. S'il faut lui faire un petit reproche, mais cela tient à ce qu'il connaît bien la Chine intérieure pour y avoir vécu, c'est de minimiser les réactions étrangères à cette marche au limes que nous évoquions plus faut.


Pour apporter un éclairage différent au sujet, je rapprocherais la démarche de la clique Xi à vouloir affronter les Etats-Unis dans le Pacifique-nord et dans ce qu'elle considère comme ses eaux territoriales (le Détroit) de celle ayant saisi la clique impériale prussienne qui, à la Belle Epoque, alors que l'Allemagne régnait sur le monde des sciences et techniques, mit en action le pangermanisme et défia les empires coloniaux anglais et français pour faire comme eux des parades navales et rapporter des bananes et du café à leurs mères. Le Deuxième Reich, eut-il été paisible comme le lui avait recommandé Bismarck, allait régner sur toute l'Europe occidentale et orientale par ses usines, ses instituts de recherche, ses universités. La liste des inventions allemandes est longue comme un jour sans pain, qui fut interrompue par la déflagration de 1914. Les communistes chinois la voient-ils cette déflagration ?

Outre l'influence chinoise en Mer de Chine qui vire au détestable à mesure des accaparements d'îlots, l'hégémon impérial va considérablement restreindre la portée des "routes de la soie" comme nous le rappelle le site d'analyse géopolitique Foreign Policy. En anglais, la "One Belt One Road". Les pays de destination sortant de l'épure originelle vont ressentir sans tarder le serrement de gorge appliqué à travers les investissements programmés et les échéances des crédits, quand ce n'est pas le chantage à confier au gentil panda des activités plus utiles à la Chine qu'au pays extracteur. Les Africains sont bien placés pour savourer la nouvelle colonisation par des gens qui les prennent pour des singes. Ceux-ci n'auront qu'une réplique, celle d'ouvrir la chasse aux Chinks pour expulser les néo-colons en gardant pour eux les actifs chinois de développment. Le capital de confiance passe déjà dans les doigts comme de l'eau, quelle que soit leur couleur. L'érection mentale des nouvelles générations de loups chinois provoque un échec monumental après trente années d'investissements amicaux, culturels, diplomatiques (et immobiliers) ajoutés au patient captage des technologies avancées. Même les instituts Confucius sont devenus suspects ! Pour que l'Union européenne prenne des mesures de sauvegarde après avoir décrété la Chine populaire comme son "rival systémique", il faut vraiment que les dirigeants chinois actuels aient fait très fort dans le déni, l'espionnage, les menaces, le pillage des brevets et marques, comme nous le confirme le ton comminatoire de l'ambassadeur de Chine à Paris répondant à Raphaël Glucksmann sur l'affaire du Xinjiang, quoiqu'on pense d'ailleurs de l'intellectuel en cause. En langue crue : "nous tuons chez nous qui nous voulons. Ta gueule!" :

Ambassade de Chine en France
@AmbassadeChine
Compte gouvernemental, Chine · 14 oct.
« Arrêtez de semer des troubles sur les questions liées au Xinjiang qui relèvent entièrement des affaires intérieures de la Chine. Aucun pays ni aucune force n'a le droit d'y interférer, et toutes les tentatives contre la Chine sont vouées à l'échec. twitter.com/rglucks1/statu… »



On ne sait pas en Occident, du moins chez les gens peu informés sur la Chine, que la dérive totalitaire actuelle lève une opposition interne au Parti chez ceux qui anticipent la ruine du modèle par ses excès. Tout le travail de la Clique (dont le Premier ministre Li Keqiang ne fait pas partie) est d'étouffer cette opposition, par tous moyens si possible légaux ; mais la majorité silencieuse des entrepreneurs pris en tenaille entre le caporalisme anachronique des commissaires politiques revenus et les relations publiques et commerciales avec l'étranger, sera un renfort non négligeable pour toute coterie capable de renverser les fondamentalistes déments qui sèment la haine en continu autour d'eux et qui paradent en ville le menton haut et les fesses cambrées, jamais loin de la limousine blindée.
Le Parti communiste chinois fut fondé Rue Chapsal (ou Hangpi Lu) dans la maison de Li Hanju le 23 juillet 1921 à Changhaï. La République populaire de Chine fut proclamée par Mao Tsé-tung depuis le balcon de la Porte de la Paix céleste sur la place Tian´anmen le 1er octobre 1949. Deux centenaires à commémorer, l'un l'an prochain, l'autre dans 29 ans - c'est bientôt. Quoi de plus épatant qu'une grande victoire internationale pour fêter l'évènement ! L'écrasement de Taïwan, la reprise d'Oulan Bator, le retrait des Etats-Unis de leur base d'Okinawa ? A vot'bon cœur !

Commentaires

  1. Super site que "Question de Chine". Merci du tuyau. En me baladant dessus grâce aux nombreux liens qui émaillent chaque article, j'ai pu ainsi pu arriver à celui qui traite de "l'expo des Formosans de souche". Les connaisseurs l'apprecient dirait on. ;-)

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    1. Excellente expo, refusée au Foukien parce qu'en "noir et blanc" (de mémoire), qui montre les Austronésiens découverts à l'origine par les Portugais et les Hollandais.
      Les Chinois continentaux sont dans la position des pieds-noirs français vis à vis des départements algériens, de plus en plus mal assurés. Les Taïwanais sont assez intelligents pour exploiter à fond leurs particularismes... et la largeur du détroit de Formose.

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  2. South China Morning Post du 18/10/2020 : Chinese military beefs up coastal forces as it prepares for possible invasion of Taiwan. Missile bases have been upgraded and equipped with the most advanced hypersonic missile the DF-17, according to one military source. Build-up of forces comes as the PLA continues with a series of exercises designed to keep up the pressure on the island.
    Les chancelleries du Pacifique Nord abrègent les cocktails !

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