dimanche 17 janvier 2021

Tout n'a pas commencé aux États

 



Ce jeudi 21 janvier, nous commémorerons la décapitation du roi Louis XVI, sacrilège qui a damné le peuple de France pour longtemps. Les manifestations royalistes ordinaires sont perturbées cette année par la lutte contre la pandémie du coronavirus chinois ; et j'aurais compris qu'on ne fasse exceptionnellement rien de spécial, sauf des intentions de messe, l'affaire ayant 228 ans d'âge. Des messes du souvenir seront dites partout (avant le couvre-feu ?) et sont annoncées par le site dédié Messes Louis XVI et quelques autres. L'office de référence est celui du Mémorial de France qui perpétue l’ordonnance du 21 janvier 1815 du roi Louis XVIII, instituant une messe de requiem en la basilique Saint-Denis chaque 21 janvier et 16 octobre, en mémoire de l'exécution du roi Louis XVI et de la reine Marie-Antoinette. Le 21 janvier elle est toujours célébrée à midi.
A chaque anniversaire nous éclairons ce jour si particulier d'un récit de circonstance, d'un commentaire appuyé ou d'une vidéo religieuse, et on peut les retrouver dans ce blogue par le libellé Louis XVI. Pour 2021, le confinement nous donne le temps de revenir au grand balancier de l'histoire pour chercher à comprendre "pourquoi" l'Ancien régime millénaire a fondu les plombs si rapidement (trois mois jour pour jour*) ; les lecteurs de Royal-Artillerie connaissent le "comment" et nous n'y reviendrons pas.

* 5 mai - 4 août 1789


Ouverture des Etats Généraux de 1789

Commençons à l'envers. Le 5 mai 1789 sont réunis à Versailles les Etats Généraux du royaume. C'est un grand succès de l'administration de Louis XVI que d'organiser en quelques mois seulement (la convocation datait du 8 août 1788) la réunion des députés élus par toute la nation pour la première fois depuis cent soixante quinze ans. Il fallait tout redéfinir, les collèges électoraux, les modes de scrutin à la base et aux Etats, les questions matérielles posées par ce grand chambardement à Versailles, les règles de la campagne électorale, et puisqu'on avait choisi d'entendre les doléances de toutes les communautés rurales et urbaines, fallait-il être capable de collecter et synthétiser les cahiers primaires en cahiers généraux de baillage à l'issue d'une campagne électorale complètement libre qui ne dura que quatre mois au début de 1789. Ceci étant accompli par un effort surhumain de l'administration royale, devant onze cents députés des trois ordres qui représentaient assez fidèlement la vieille France monarchique, la séance fut ouverte par le roi. Qui bientôt s'endormit !

Au spectacle du désintérêt du monarque, les fortes têtes se prirent sans doute à rêver d'emporter la décision par les moyens éternels de la conviction d'autrui : la harangue et souvent le désordre qui la suit. Comment étaient donc constitués les ordres ? Le premier, le Clergé, était majoritairement aux mains du bas-clergé des paroisses et donc pourvu de gens habitués à parler en public, à convaincre et disposant de connaissances techniques et administratives éprouvées dans leurs charges. Le second, la Noblesse, celui qui finalement trahira, ne fit pas corps. Ont été élus des petits nobles attachés à leurs privilèges fiscaux, la noblesse de robe, une caste instruite travaillée par les idées nouvelles de ce qu'on appelera les Lumières qui sont la terreur des royalistes d'aujourd'hui, et les grandes familles descendant des origines de la monarchie qui eurent du mal à comprendre les enjeux. A eux deux, ces ordres valaient en nombre le troisième, le Tiers. Composé de bourgeois de toutes les strates sociales sauf celle du labeur, il regroupait un fort contigent d'hommes de loi destinés naturellement par leurs professions à donner et étayer un avis politique, des propriétaires fonciers qui se colletaient avec la dureté des temps et ramenaient les pieds des autres sur terre, et des acteurs économiques des manufactures et du commerce. Le niveau du Tiers est assez élevé en compétences. Tout le monde connaît les grandes revendications de justice et de "progrès" inscrites dans les cahiers de doléances dont on a parlé partout en France durant quatre mois. Certains des députés veulent faire avancer leur cause, d'autres s'en informer et juger ensuite, mais une chose est sûre : l'assemblée est formée de gens qui ne se connaissent pas, sauf chez le second ordre, et surtout, qui n'ont pas l'habitude de travailler ensemble pour aboutir. Cette psychologie particulière des ordres réunis dans une certaine anarchie exige une conduite autoritaire et progressiste des débats politiques que seul le roi peut assumer par sa fonction et son prestige. Il n'en fit rien ou presque. On s'ensable dès le départ dans les questions oiseuses de procédures ! On sait la suite : le Tiers-Etat forme bloc et le 17 juin se proclame Assemblée Nationale pour fixer par écrit les règles de gouvernement et les attributions de chacun dans une Constitution du royaume. C'était parti... jusqu'au 4 août... et ça pouvait s'arrêter là, mais c'est une autre histoire.

Pourquoi le roi dut-il convoquer les Etats généraux du royaume ? Parce que le fonctionnement du pays était bloqué par sa propre organisation des pouvoirs. Comme ses voisins, le royaume de France devait s'adapter à l'évolution des mœurs sociales et des techniques en grand progrès, concurremment au bouillonnement intellectuel d'idées nouvelles qui pénétraient les couches éduquées de la société. Les pouvoirs et lois issus du siècle de Louis XIV devenaient chaque jour plus inadaptés à l'économie générale du royaume, mais ce n'était pas à l'insu du roi et de ses conseillers. Ceux-ci et lui-même étaient parfaitement informés des nécessités du temps. Cependant, malgré la centralisation et l'absolutisme, le pouvoir légal avait glissé dans les parlements, et surtout celui de Paris qui était normateur ; parlements envahis de prébendiers cramponnés à leurs privilèges qui ne jugeaient les projets qu'à l'aune de leurs intérêts propres. Louis XV avait bien vu ce captage de souveraineté et accepta la réforme Maupeou qui régla la question brutalement en débandant ces assemblées quasiment factieuses en 1771, afin de passer les réformes indispensables à la continuation de l'histoire, projets économiques, administratifs et fiscaux entassés dans les tiroirs des ministères en attente de débouché. Mais le roi mourut ! En 1774, croyant au charisme d'une couronne rajeunie pour réformer en douceur le système entre gens raisonnables - il avait lu L'Esprit des lois et l'Encyclopédie - le nouveau roi Louis XVI rappella les parlements ! Après le temps des sourires et des révérences, revinrent les gens de robe à front de taureau qui bloquèrent toute évolution ou changement. Le lit de justice du 8 mai 1788 engageant la réforme Lamoignon qui les contenait à leur juste place, déclencha la bronca à Paris, vite suivie de celle des parlements régionaux revenus eux-aussi aux contestations. Des émeutes sont déclenchées en province, le roi recule pour la première fois et promet des Etats généraux dans l'idée de Loménie de Brienne qui dira en rendant son tablier que : "seule une assemblée de représentants de la nation peut imposer des réformes aux privilégiés et aux parlements". Le roi n'avait pas tranché dans le vif, la procrastination signait son arrêt de mort. Ce n'est pas à la Bastille qu'il aurait fallu charger à mitraille mais au parlement de Paris un an plus tôt. Il me souvient d'avoir lu une réflexion de Mirabeau qui, après sa réplique célèbre des baïonnettes aux Etats, avait demandé autour de lui ce qu'ils allaient devenir si les Suisses chargeaient baïonnette au canon. Avec Louis XVI ils ne risquaient rien.

Le prince alors en charge de l'Etat était dit-on le plus cultivé d'Europe, le plus intéressé aux sciences et techniques, le plus aimable avec ses peuples. Paradoxalement timide et gauche, impolitique au possible, ennuyé par les affaires autres qu'étrangères et la géographie, il était au moment le plus mauvais maillon de la chaîne dynastique par sa pusillanimité et sa paresse à contrer les coteries de la Cour. Les monarchies héréditaires exigent du caractère chez l'impétrant, caractère qui ne peut être jugé qu'en temps de crise. Il est des époques où l'emprise moindre sur les choses de l'Etat peut s'amortir par l'avénement du successeur qui les répare, ce qui est le mantra du régime héréditaire. Mais il est aussi des temps orageux où le prince acculé doit réagir, d'instinct. Nul n'est destiné à régner s'il n'a pas cette grâce. Et Louis XVI s'est avéré impuissant une fois que fut lancée la constitution des pouvoirs. Reste qu'il n'était pas nécessaire de lui couper la tête pour de futiles raisons et terminer une révolution dans l'horreur absolue. C'est pour s'y être prêté lâchement, après avoir convoqué tous les moyens possibles à la ruine de son cousin, que le duc d'Orléans fut frappé d'indignité perpétuelle dans l'esprit de beaucoup et de nos jours encore. En fallait-il plus pour qu'on le tuât aussi ? Il est bien le seul avec quelques conventionnels à avoir mérité son raccourcissement.

Ainsi donc, l'Ancien régime, pétri de contradictions et d'antagonismes de classe, où foisonnaient les injustices du quotidien, ne fut pas submergé par un peuple se "libérant de ses fers" comme on le chante dans des hymnes pompeux, mais par le précipité d'intérêts bourgeois d'une classe avisée, formée aux techniques administratives et économiques, que le roi avait convoquée à la réforme du pays. Cette classe instruite ne manquait que du prestige public d'un pouvoir qu'elle exerçait déjà de mille façons et positions. Lui vint l'envie d'être aux commandes. C'est ainsi qu'aux vieilles familles de la noblesse croisée succédèrent les dynasties bourgeoises qui surent comme personne mettre en coupe réglée un pays qui ne leur rapportait jamais assez. Le 14-Juillet des bourgeois fut un 18-Brumaire qui marqua la victoire finale de la classe la plus "intéressée" au changement (comme le démontre Beau de Loménie). Nous n'avons plus modifié le paradigme depuis lors, quel que soit le nom des régimes politiques qui se sont succédés, monarchies comprises. Aujourd'hui encore et sans doute plus qu'avant, une caste sans honneur, avec des droits et des besoins, se prétend légitime à nous gouverner, en promenant sa suffisance sous les ors de la vieille monarchie. Et les otaries d'applaudir tous les cinq ans ! A quoi servaient les lanternes déjà ? On y applaudissait aussi !


lys funeraires
* pour Louis XVI *

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