lundi 26 avril 2021

Le Réveil de Dilsey

Qui, s'abandonnant au plaisir de lire et d'écrire, n'a jamais eu la folle ambition de structurer son passe-temps dans la publication de son imaginaire sous la forme d'un roman, forcément autobiographique un peu sur les bords, quitte à la fin à donner "son" bouquin invendable, imprimé à compte d'auteur, à la famille et le reste à l'héritage ? Retiré des affaires, le Piéton s'est laissé convaincre par le démon de l'écriture au moins trois fois, un roman de triade entre la rivère des Perles et le phare d'Agincourt, un scénario de road-movie entre Châteauroux et Poissy, et les aventures immorales de deux sicarios d'une entreprise internationale de prêts bonifiés sans confirmations. Ce troisième est en cours, les mecs sont en fuite à Port-Moresby et ne veulent toujours pas mourir ! Qu'importe, à défaut d'entendre dire un jour que vous êtes bien l'auteur-qu'on-cause-pour-le-prix-qu'on-court, vous vous rabattrez sur un fanzine littéraire ou sur un blogue, en vous appliquant un peu. Jusqu'au jour du réveil de Dilsey ! Là, toute vanité qui aurait survécu aux réalités sera purgée bien plus sûrement que dans l'Ecclesiaste, et vous vous contenterez d'écrire de petits billets, laissant Marcel Proust dormir tranquille.

Mama noire fumant

« 8 avril 1928 - Le jour se levait, triste et froid, mur mouvant de lumière grise qui sortait du nord-est et semblait se fondre en vapeurs humides, se désagréger en atomes tenus et vénéneux, comme de la poussière, précipitant moins une humidité qu'une substance voisine de l'huile légère, incomplètement congelée. Quand Dilsey, ayant ouvert la porte de sa case, apparut sur le seuil, elle eut l'impression que des aiguilles lui transperçaient la chair latéralement. Elle portait un chapeau de paille noire, perché sur son madras,et, sur une robe de soie violette, une cape en velours lie de vin, bordée d'une fourrure anonyme et pelée. Elle resta un moment sur le seuil, son visage creux insondable levé vers le temps, et une main décharnée, plate et flasque comme un ventre de poisson, puis elle écarta sa cape et examina son corsage.
Sa robe, de teinte royale et moribonde, lui tombait des épaules en plis mous, recouvrait les seins affaissés, se tendait sur le ventre pour retomber ensuite légèrement ballonnée par-dessus les jupons qu'elle enlevait un à un suivant la marche du printemps et des jours chauds. Elle avait été corpulente autrefois, mais, aujourd'hui, son squelette se dressait sous les plis lâches d'une peau vidée qui se tendait encore sur un ventre presque hydropique. On eût dit que muscles et tissus avaient été courage et énergie consumés par les jours, par les ans, au point que, seul, le squelette invincible était resté debout, comme une ruine ou une borne, au-dessus de l'imperméabilité des entrailles dormantes. Ce corps était surmonté d'un visage affaissé où les os eux-mêmes semblaient se trouver en dehors de la chair, visage qu'elle levait vers le jour commençant avec une expression fataliste et surprise à la fois, comme un visage d'enfant désappointé, jusqu'au moment où, s'étant retournée, elle rentra dans sa case dont elle ferma la porte.»
(Le Bruit et la Fureur de William Faulkner dans la traduction de Maurice-Edgard Coindreau, moulée à la main sur l'original avec la précision mathématique du français)


Et en direct de Yoknapatawpha, l'immortel Mississipi John Hurt :


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