lundi 12 avril 2021

Macron sous le masque

casque corinthien


Dans l'entretien qu'il a accordé à Apolline de Malherbe le 10 avril, Philippe Le Jolis de Villiers de Saintignon signe un portrait de Jupiter pas piqué des hannetons. Il fait ressortir du casque qui couvre le président trois caractères décisifs : le joueur, le phraseur, le mondialiste. Le tout "en même temps". Si on prend la peine d'observer le comportement présidentiel depuis la marche funèbre du Louvre, on les retrouve sans discussion possible.

Emmanuel Macron a "joué" dans le choix de ses conseillers (on pense à Alexandre Benalla propulsé sans titres à la sécurité du monarque), de ses ministres (comment justifier Bayrou en Garde des Sceaux ou M. Castaner à l'Intérieur, M. Delevoye aux Retraites et pour finir Eric Dupont-Moretti ?). Il continue à risquer ses mises sur les confinements et plus loin sur la collaboration ensablée des cinq pays du Sahel. Ne parlons pas du Levant. Il n'y a pas de stratégie, c'est un coup après l'autre.

A l'époque du théâtre de Brigitte, il s'est converti au "verbe" qui suffit à tout et on l'a vu mettre en pratique cette conviction dans la campagne électorale - mais c'était classique - puis dans les marathons dialectiques communaux censés désamorcer le mécontentement des gilets jaunes. On le vit plusieurs fois jouir de l'érection mentale qui le portait des heures durant en bras de chemise à convaincre ses auditeurs par la seule force du verbe. Au Commencement...

Le dernier caractère, celui de "Global Leader", fut célébré dès sa première incursion parmi ses pairs européens quant il demandait une refonte des mécanismes de l'Eurogroupe contre une réforme en profondeur de l'Etat français. Les heures grises de M. Hollande étaient derrière nous, Bonaparte avait passé le pont d'Arcole. Rien n'arriva et sa volonté spectaculaire de convaincre chacun de la justesse de ses vues et du bénéfice commun qui en serait retiré, échoua avec Theresa May, Donald Trump, Vladimir Poutine, Angela Merkel, Mark Rutte et tous les partenaires de l'OTAN, échaudés par les prétentions de l'impétrant à commander leurs armées.

Que retiendra-t-on du quinquennat de M. Macron à l'étranger ? L'incendie de la cathédrale de Paris, mère en littérature de toutes les cathédrales gothiques du monde, et l'incendie de la société française par les émeutes des yellow vests. Paradoxalement c'est la pandémie du coronavirus chinois qui a sauvé l'image présidentielle d'une ruine complète. Mais la petite dictature sanitaire est très mal supportée par la population entre deux âges. Va-t-elle en tenir compte lors de l'échéance présidentielle, comme le prédit Philippe de Villiers ? Langue au chat.

Le deuxième point d'irritation de la semaine - il y en a d'autres - est la suppression de l'Ecole nationale d'administration. La décision est éminemment politique pour ne pas dire populiste. Elu par la haute bourgeoisie d'Etat (et la Banque), Emmanuel Macron sacrifie la Garde impériale sur l'autel de la démagogie. Et qui en parle le mieux dans des termes que nous faisons nôtres sans ôter une seule virgule (mais les intertitres, si) ? Marion Maréchal de l'ISSEP, dans le Point numérique que je pompe sans scrupule puisqu'ils l'ont mise en ligne (clic). Voici le bloc :

Depuis les premières revendications des Gilets jaunes, les analyses n'en finissent plus sur la recomposition de l'ordre politique. Un clivage semble devenu déterminant : celui opposant l'« élite » et le « peuple », qui se manifeste à la fois sur le plan économique, territorial, intellectuel, culturel et finalement électoral.
Un clivage qui s'est polarisé autour de la personne d'Emmanuel Macron, incarnation chimiquement pure de cette représentation d'une « élite de la haute finance et la haute administration, symboliquement réunies dans la personne même du chef de l'État » pour reprendre les mots du sociologue Jérôme Sainte-Marie. C'est pourtant ce même chef de l'État, diplômé de l'ENA, qui décide de s'attaquer à cette prestigieuse institution. Alors que certains se perdent en conjectures sur la nature du « en-même-temps », tantôt appelé saint-simonien, tantôt appelé libéral, mais que nous ne craignons pas de qualifier de fondamentalement brumeux, Emmanuel Macron, pour une fois, a les idées claires : s'opposer frontalement à l'héritage du général de Gaulle, créateur de l'ENA.
Disons-le tout net : beaucoup, dont je fais partie, dénoncent depuis longtemps l'arrogance d'une « élite » qui n'en a plus que le nom. Une « élite » prisonnière d'un politiquement correct stérilisant pour l'esprit, indifférent au déclassement de notre pays dans la jungle de la mondialisation, incapable de regarder la violence du monde telle qu'elle est, au plan identitaire, économique ou géopolitique, pour le plus grand malheur du pays. Une « élite » qui se complaît dans le copinage et le pantouflage, s'affaire à briguer des mandats en s'épargnant les risques professionnels qui s'y attachent par le système avantageux du détachement, se voit propulsée à des postes de capitaine d'industrie publique sans jamais rendre de comptes, nomme les copains de promotion aux postes stratégiques. Tout ceci est, hélas, bien connu et alimente la colère sourde des Français, peuple trop intelligent pour s'en laisser conter. Et pourtant, qui peut décemment imaginer que la suppression de l'ENA réglerait comme par magie les problèmes de la France ? Les difficultés rencontrées par les Gilets jaunes méritaient mieux qu'une réponse démagogique et caricaturale qui frôle la diversion politique.
Cette solution radicale est typique du syndrome français de haine de soi et ne manquera pas de surprendre à l'étranger. Imagine-t-on les États-Unis supprimer Harvard ou le Royaume-Uni l'université de Cambridge parce que le pays va mal ?
Par cette décision, Emmanuel Macron tire un trait sur une école dont la réputation est enviée à l'étranger et qui n'a aucun équivalent. Cette institution est un puissant instrument de soft power français qui a été exporté dans plusieurs pays du monde et participe à notre crédibilité internationale, car la compétence de notre haute fonction publique est reconnue et recherchée hors de nos frontières. En réalité, la critique de l'ENA surfe sur le rejet, que je partage, d'un étatisme asphyxiant pour le pays. Le président espère certainement capitaliser sur l'exaspération légitime des Français vis-à-vis de cet État qui déploie des trésors de contraintes et d'ingéniosité quand il s'agit de faire les poches des Français et qui fait preuve d'une coupable faiblesse quand il s'agit de contenir les émeutes dans les cités. Soyons lucides, s'en prendre à l'ENA ne réglera pas le problème du millefeuille institutionnel, de la boulimie administrative, de l'interventionnisme public à tous crins, du recul de l'efficacité de l'État régalien, des gabegies à tous les étages. Avec la suppression de cette école, certes fortement critiquable dans certaines de ses évolutions récentes, disparaît un monde dans lequel le service public, et donc le travail pour l'intérêt général, représentait encore l'une des situations les plus enviables et admirables de la société. Le message envoyé est délétère : l'excellence n'est donc plus ni reconnue ni requise dans le recrutement de la haute fonction publique et va fragiliser encore davantage l'État, pilier central de la nation. Autant dire directement à nos jeunes talents ambitieux : « Allez faire carrière chez Goldman Sachs. » Ce qu'ils ne manquent déjà pas de faire pour beaucoup et la plupart du temps à l'étranger. Il est vrai que cet esprit de service public tendait déjà à s'effacer à l'ENA devant la mode du new public management avec ses outils de performance, ses tableaux Excel et ses algorithmes. Cette décision poursuit l'effacement progressif des formations classiques en sciences sociales devant les grandes « business school » internationales ; une mutation logique à l'heure de la « start-up nation » où l'administration des choses a remplacé le gouvernement des hommes.
Alors faut-il espérer que le remplacement de l'ENA par une autre structure permettra de rebrancher une élite déconnectée ? Il y a de quoi en douter alors que cette « déconnexion » est le produit d'une « archipellisation » française bien plus profonde, identifiée par le sociologue Jérôme Fourquet. L'entre-soi sociologique qui règne dans l'ensemble des grandes écoles du pays n'est que l'un des symptômes manifestes de cet état de la société. Il est bien sûr nécessaire de lutter contre ce phénomène qui contribue au façonnage d'une vision homogène du monde et à l'apparition d'une lecture univoque des problèmes qui caractérise trop souvent notre haute fonction publique et nos dirigeants politiques. En effet, les deux tiers des élèves de l'ENA sont des enfants de cadres et la moitié de ceux de l'ENA sont diplômés de Science Po Paris. Vouloir ouvrir ce type de formation notamment aux élèves issus de l'université publique est louable. Encore faut-il que cela n'aboutisse pas à abaisser encore le niveau de sélection à l'entrée.
Malgré toutes les réformes engagées ces dernières années pour faciliter l'entrée du concours à des profils plus hétérogènes, avec notamment la disparition prévue de l'épreuve de culture générale, la transformation du concours d'entrée, les voies d'admission spécifiques pour les territoires dits défavorisés comme la Seine-Saint-Denis, la discrimination positive feutrée, force est de constater que l'école s'avérait bien plus démocratique dans les années 1960 et 1970 qu'elle ne l'est aujourd'hui.
Pour une raison simple : baisser les exigences n'a jamais été la solution. Le problème trouve sa source dans le processus de destruction de l'école publique depuis 30 ans. À force de délires pédagogistes, de militantisme idéologique notamment en histoire, d'affaiblissement de l'autorité, de précarisation du métier d'enseignant, l'école publique est devenue une assignation à résidence sociale. Comment imaginer que des élèves issus de milieux modestes puissent un jour accéder à Normale, Polytechnique ou l'ENA si l'école primaire ne permet même plus d'apprendre correctement à lire, écrire et compter ? Faut-il rappeler le douloureux classement TIMSS 2020 dans lequel la France se place respectivement dernière et avant-dernière en Europe pour le niveau de ses élèves de CM1 et de 4e en mathématique ? Car oui, le rôle de l'ENA n'est pas de réparer les errements de l'Éducation nationale depuis 40 ans. Il est de sélectionner et former les meilleurs, sauf à sacrifier notre rang de puissance mondiale dans les décennies à venir. Vouloir démocratiser le bac en l'accordant à 90 % d'une classe d'âge n'a pas ouvert plus de perspectives aux lycéens issus de milieux populaires, il n'a fait que dévaloriser complètement ce diplôme et le priver de toute valeur sur le marché du travail.
Alors que faire ? Si l'idée paraît séduisante de prime abord, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain en supprimant l'École nationale d'administration, mais la ramener dans le sillon de sa vocation première : former une élite compétente au service des intérêts français. En instaurant l'ENA et le classement de sortie en 1945, le général de Gaulle a voulu construire une école d'excellence, de référence et précisément lutter contre le corporatisme et le népotisme qui sévissaient alors dans la fonction publique.
Nous avons besoin d'une école dédiée à la formation des métiers si spécifiques de l'administration publique et l'ENA, forte de ses 60 années d'expérience, peut encore remplir cette mission si l'on se donne les moyens de son évolution. L'enseignement supérieur n'a pas à sacrifier son niveau d'exigence pour compenser les lacunes de l'enseignement primaire et secondaire. C'est à l'ensemble du système éducatif de se remettre en question afin de rendre l'accès aux études supérieures et aux grandes écoles véritablement démocratique. C'est pourquoi il ne faut pas avoir peur de rétablir un concours d'entrée très sélectif, seule option véritablement objective et méritocratique avec notamment le maintien de l'épreuve culture générale.
Certains objectifs poursuivis par le président avec la création de l'« ISP » sont légitimes bien que la méthode soit mauvaise. Remplacer une école par une autre ne servira à rien si l'esprit qui a conduit à son délitement et à son enfermement reste le même. Il faut en effet réformer les programmes pour les adapter aux défis de notre époque ; mais est-on sûr que la liste annoncée le 8 avril – où l'on parle par exemple de faire étudier la « pauvreté » aux futurs hauts fonctionnaires avec un paternalisme qui aurait fait rougir Guizot – répond aux défis ? Il s'agit bien de garantir un véritable pluralisme parmi les enseignants et les contenus, et d'assurer un débat fécond entre les approches des politiques économiques et sociales. Est-on sûr que la réforme annoncée ne va pas au contraire étendre l'influence du politiquement correct actuellement dominante ou qu'elle protégera des ravages de l'écriture inclusive, du décolonialisme et autres combats « intersectionnels » ? D'accord pour la professionnalisation : ouvrir les stages au monde du privé et de l'entreprise, introduire des compétences technologiques et scientifiques dans les programmes, organiser des expériences dans des administrations étrangères. Mais cela ne doit pas se faire au détriment de la culture générale, que le général de Gaulle qualifiait de « véritable école du commandement ». Il est temps également de supprimer le classement de sortie, aujourd'hui inadéquat, pour assurer les embauches en fonction des profils et des besoins des services de l'État. Tout comme il est nécessaire de mettre fin à cette culture du pantouflage qui consiste à confier la direction d'entreprises à des personnes qui ne sont pas formées à cette fin. Enfin, il faut mettre fin au lien ambigu entre le monde politique et la haute administration en exigeant des hauts fonctionnaires élus qu'ils démissionnent de leur corps d'origine. Mais nous n'avons pas vu, pour l'instant, que le projet annoncé ait des mécanismes efficaces de brassage social, de recrutement au mérite, ni de séparation des domaines.
Le président de la République a envoyé, avec la décision de supprimer l'ENA, un message clair : la France doit tourner la page de cette élite d'État voulue par le général de Gaulle. Telle est la maladie du progressisme : faire table rase du passé en sacrifiant du même coup l'avenir.[fin]


Un bémol dans la critique du jour : pas plus que moi, M. Macron ne semble croire vraiment aux synthèses des autorités sanitaires. S'il est un dommage collatéral grave c'est sans doute la mise en pièce de la crédibilité du corps médical qui, au lieu d'être au chevet des malades dans des unités de soins intensifs surchargées, fait sa promenade quotidienne sur les plateaux de télévision. Il n'est pas une heure où un professeur Machin, un épidémiologiste "connu", un généticien "primé" n'apporte sa contradiction et la solution définitive à tous nos maux. Qui savait jusqu'à maintenant que le monde hospitalier abritait tant de trolls ? Quant aux administrateurs en charge, ils se couvrent entre étages et se contredisent sans cesse. En fait, il n'y a pas de "Chef" pour arrêter le cirque Covid. Seuls les centres de vaccination sont convenablement armés de praticiens compétents avec le renfort d'agents municipaux dévoués, si tant est que les stocks arrivent. La France d'en bas se démerde, comme elle l'a toujours fait !

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