Le nouveau format sahélien de guerre aux djihadistes et autres séditieux était dans les tuyaux depuis trois ans, plus précisément quand l'état-major a proposé à l'Elysée de monter une force spéciale multinationale qu'on appelerait "Takouba" (du nom de la rapière traditionnelle des Touaregs, en photo ci-dessous). Le double putsch de Bamako n'a fait que hâter cette transformation, ajoutant au risque inhérent à l'OPEX le syndrome du piège à con.
Pour mettre les choses au clair, il ne s'agit rien moins que d'imiter le format américain en Afghanistan, en espérant déboucher sur autre chose que la négociation avec les djihadistes du califat saharien. En abrégé, faire occuper le terrain par l'armée nationale repassée à l'instruction, lui fournir la logistique et l'appuyer par des moyens sol-air efficaces, la renseigner par une surveillance aérienne sophistiquée, mener des coups de main pour neutraliser les chefs djihadistes, si possible en réunion ; le but ultime étant de sécuriser l'espace, le ré-administrer et en transférer la responsabilité aux autorités locales ("secure, build, transfer" : VP Joe Biden à Kaboul, vice-président d'Obama).
Le problème est que dans cette description, deux points apparaissent très faibles : "l'armée nationale" et les "autorités locales". Est-il besoin d'épiloguer ? Ce billet serait-il une commande du Figaro que nous remplirions les deux colonnes assignées, mais n'étant qu'une réflexion gratuite, nous irons à l'essentiel, sans préjuger d'être contredit par des experts comme Wassim Nasr ou Bernard Lugan... Des sites spécialisés comme celui du colonel Goya vont étancher votre soif de détails. Pour notre part, nous allumons la lampe sur quelques aspects moins traités.
Si nous réduisons l'empreinte au sol de notre intervention, un seul pays semble en mesure de tenir le choc, la Mauritanie. Les autorités de Nouakchott n'ont pas attendu M. Hollande pour se protéger du terrorisme islamiste en actionnant des moyens certes mesurés mais déployés intelligemment tant au front qu'à l'intérieur. Reprenant la stratégie des compagnies sahariennes, leurs commandos de chasse, connaissant évidemment les tribus nomades, parcourent le territoire à la recherche de cibles qu'ils éteignent. Surveillance aérienne et appui-feu sont disponibles. Des équipes chocs (Ops) font des raids sur les réunions d'islamistes en zone frontalière. A l'intérieur, les oulémas assurent un travail de rééducation des masses aux valeurs intrinsèques de l'Islam, afin de contenir voire d'annihiler la propagande populiste des "émirs" djihadistes (détails). Des cinq pays de la coalition, la Mauritanie est le seul vraiment gouverné, depuis qu'Idriss Déby est mort au Tchad.
Le Tchad est (était) le point d'appui de la France au Sahel. Le Tchadiens se battent sur deux fronts, le Lac et le Tibesti infesté de groupes armés en Libye. Le pays est en proie à des rivalités ethniques anciennes qui font et défont entre elles des coalitions éphémères. La succession d'Idriss Déby risque de dégarnir le front anti-djihadistes si chacun veut soutenir ses prétentions à N'Djaména l'arme à la main. La tentation des groupes djihadistes de surinfecter la plaie en progressant vers N'Djamena est grande, mais les oblige à se découvrir. L'état-major de Barkhane est dans la capitale tchadienne ! Le sac de nœuds !
Deux commentaires
Deux acteurs militairement puissants rapportés à l'enjeu observent notre enlisement : le Maroc et l'Algérie. Ces pays sont bien plus intéressants pour al Qaïda ou l'Etat islamique que les pays miséreux du Sahel. En plus, ils sont soumis à une fermentation islamique qui déraille le plus souvent vers le salafisme et deviendront des proies toutes désignées, pour peu que le peuple y prenne feu. Or ces deux pays restent sur leur quant-à-soi vis à vis des opérations sahéliennes de contre-terrorisme, se bornant aux commentaires. La dégradation de la situation malienne va-t-elle les réveiller ? Attendent-ils que nous ayons tiré les marrons du feu pour qu'ils les épluchent sans se brûler ? Renâclent-ils à se montrer en notre compagnie pour ne pas réveiller un passé d'étroite collaboration militaire de leurs peuples et du nôtre ? Il semblerait. Ils ne vont pas pouvoir se cacher longtemps derrière une rhétorique à usage interne, sauf à risquer de basculer du côté du mur à l'ombre. Les islamistes sont déjà au gouvernement de Rabat. En Algérie, ils sont à l'affût et organisés pour les élections d'aujourd'hui samedi 12 juin.
La force Takouba qui monte encore en régime avec des renforts locaux, a été constituée de plusieurs nations européennes non impliquées dans la colonisation africaine pour éviter justement le reproche de néo-colonialisme que l'on fait souvent à la France, qui s'ingère à première demande dans les malheurs africains. Quand Barkhane sera retirée du terrain, les opérations spéciales en seront compliquées, plus visibles, avec des risques de bavures épisodiques propres à ce combat furtif, et de la part de certains pays se posera rapidement la question du maintien de leur participation, initialement motivée par l'empathie plus que la sympathie à notre endroit. L'Allemagne qui s'occupe de l'instruction des FAMa ne restera pas non plus après le départ de Merkel, toujours réticente à prendre un risque d'enlisement.
Une conclusion
Si les choses dégénèrent comme elles en prennent le chemin au Mali, au Burkina Faso (et en Centrafrique), M. Macron ou tout autre chef d'Etat français qui lui succèdera pensera au piège rwandais de l'opération Turquoise. Cette fois, nous nous retirerons sur nos bases atlantiques, non, je l'espère, sans avoir appelé l'Algérie et le Maroc à nous succéder dans la "pacification" du Sahel ; s'ils veulent sauver leurs arrières. Ce que nous aurions dû faire bien plus tôt. Quand le président Tebboune prend à témoin ce mois-ci un journaliste d'Al Jazeera sur la circulation d'armes lourdes (deux mortiers de 120 capturés ce jeudi 10 juin à Aguelhok) sous la frontière algérienne sans que quiconque ne s'avise de l'interrompe, jusqu'à lui laisser le sentiment d'un encerclement, on est tenté de lui demander quand se décidera-t-il à intervenir dans sa zone d'intérêt, comme il en avait le projet, dit-il, en Tripolitaine si des mercenaires européens prenaient le pouvoir dans la capitale libyenne. L'Adrar des Ifoghas, c'est aussi en Algérie, non ? et personne ne lui reprochera de déborder un peu quand il prendra les freux en chasse. Pour terminer ce court billet, rappelons qu'en l'affaire, la composante militaire n'est qu'un volet de la lutte contre le djihad islamiste. Il faut aussi apaiser les tensions sociales liées au sous-développement chronique pour tarir le recrutement islamiste, et régler les conflits ethniques bien documentés ; et rien de cela n'est possible en ce domaine avec les gouvernements actuels. Bonne chance, Monsieur Macron.
Pour mettre les choses au clair, il ne s'agit rien moins que d'imiter le format américain en Afghanistan, en espérant déboucher sur autre chose que la négociation avec les djihadistes du califat saharien. En abrégé, faire occuper le terrain par l'armée nationale repassée à l'instruction, lui fournir la logistique et l'appuyer par des moyens sol-air efficaces, la renseigner par une surveillance aérienne sophistiquée, mener des coups de main pour neutraliser les chefs djihadistes, si possible en réunion ; le but ultime étant de sécuriser l'espace, le ré-administrer et en transférer la responsabilité aux autorités locales ("secure, build, transfer" : VP Joe Biden à Kaboul, vice-président d'Obama).
Le problème est que dans cette description, deux points apparaissent très faibles : "l'armée nationale" et les "autorités locales". Est-il besoin d'épiloguer ? Ce billet serait-il une commande du Figaro que nous remplirions les deux colonnes assignées, mais n'étant qu'une réflexion gratuite, nous irons à l'essentiel, sans préjuger d'être contredit par des experts comme Wassim Nasr ou Bernard Lugan... Des sites spécialisés comme celui du colonel Goya vont étancher votre soif de détails. Pour notre part, nous allumons la lampe sur quelques aspects moins traités.
Si nous réduisons l'empreinte au sol de notre intervention, un seul pays semble en mesure de tenir le choc, la Mauritanie. Les autorités de Nouakchott n'ont pas attendu M. Hollande pour se protéger du terrorisme islamiste en actionnant des moyens certes mesurés mais déployés intelligemment tant au front qu'à l'intérieur. Reprenant la stratégie des compagnies sahariennes, leurs commandos de chasse, connaissant évidemment les tribus nomades, parcourent le territoire à la recherche de cibles qu'ils éteignent. Surveillance aérienne et appui-feu sont disponibles. Des équipes chocs (Ops) font des raids sur les réunions d'islamistes en zone frontalière. A l'intérieur, les oulémas assurent un travail de rééducation des masses aux valeurs intrinsèques de l'Islam, afin de contenir voire d'annihiler la propagande populiste des "émirs" djihadistes (détails). Des cinq pays de la coalition, la Mauritanie est le seul vraiment gouverné, depuis qu'Idriss Déby est mort au Tchad.
Le Tchad est (était) le point d'appui de la France au Sahel. Le Tchadiens se battent sur deux fronts, le Lac et le Tibesti infesté de groupes armés en Libye. Le pays est en proie à des rivalités ethniques anciennes qui font et défont entre elles des coalitions éphémères. La succession d'Idriss Déby risque de dégarnir le front anti-djihadistes si chacun veut soutenir ses prétentions à N'Djaména l'arme à la main. La tentation des groupes djihadistes de surinfecter la plaie en progressant vers N'Djamena est grande, mais les oblige à se découvrir. L'état-major de Barkhane est dans la capitale tchadienne ! Le sac de nœuds !
Deux commentaires
Deux acteurs militairement puissants rapportés à l'enjeu observent notre enlisement : le Maroc et l'Algérie. Ces pays sont bien plus intéressants pour al Qaïda ou l'Etat islamique que les pays miséreux du Sahel. En plus, ils sont soumis à une fermentation islamique qui déraille le plus souvent vers le salafisme et deviendront des proies toutes désignées, pour peu que le peuple y prenne feu. Or ces deux pays restent sur leur quant-à-soi vis à vis des opérations sahéliennes de contre-terrorisme, se bornant aux commentaires. La dégradation de la situation malienne va-t-elle les réveiller ? Attendent-ils que nous ayons tiré les marrons du feu pour qu'ils les épluchent sans se brûler ? Renâclent-ils à se montrer en notre compagnie pour ne pas réveiller un passé d'étroite collaboration militaire de leurs peuples et du nôtre ? Il semblerait. Ils ne vont pas pouvoir se cacher longtemps derrière une rhétorique à usage interne, sauf à risquer de basculer du côté du mur à l'ombre. Les islamistes sont déjà au gouvernement de Rabat. En Algérie, ils sont à l'affût et organisés pour les élections d'aujourd'hui samedi 12 juin.
La force Takouba qui monte encore en régime avec des renforts locaux, a été constituée de plusieurs nations européennes non impliquées dans la colonisation africaine pour éviter justement le reproche de néo-colonialisme que l'on fait souvent à la France, qui s'ingère à première demande dans les malheurs africains. Quand Barkhane sera retirée du terrain, les opérations spéciales en seront compliquées, plus visibles, avec des risques de bavures épisodiques propres à ce combat furtif, et de la part de certains pays se posera rapidement la question du maintien de leur participation, initialement motivée par l'empathie plus que la sympathie à notre endroit. L'Allemagne qui s'occupe de l'instruction des FAMa ne restera pas non plus après le départ de Merkel, toujours réticente à prendre un risque d'enlisement.
Une conclusion
Si les choses dégénèrent comme elles en prennent le chemin au Mali, au Burkina Faso (et en Centrafrique), M. Macron ou tout autre chef d'Etat français qui lui succèdera pensera au piège rwandais de l'opération Turquoise. Cette fois, nous nous retirerons sur nos bases atlantiques, non, je l'espère, sans avoir appelé l'Algérie et le Maroc à nous succéder dans la "pacification" du Sahel ; s'ils veulent sauver leurs arrières. Ce que nous aurions dû faire bien plus tôt. Quand le président Tebboune prend à témoin ce mois-ci un journaliste d'Al Jazeera sur la circulation d'armes lourdes (deux mortiers de 120 capturés ce jeudi 10 juin à Aguelhok) sous la frontière algérienne sans que quiconque ne s'avise de l'interrompe, jusqu'à lui laisser le sentiment d'un encerclement, on est tenté de lui demander quand se décidera-t-il à intervenir dans sa zone d'intérêt, comme il en avait le projet, dit-il, en Tripolitaine si des mercenaires européens prenaient le pouvoir dans la capitale libyenne. L'Adrar des Ifoghas, c'est aussi en Algérie, non ? et personne ne lui reprochera de déborder un peu quand il prendra les freux en chasse. Pour terminer ce court billet, rappelons qu'en l'affaire, la composante militaire n'est qu'un volet de la lutte contre le djihad islamiste. Il faut aussi apaiser les tensions sociales liées au sous-développement chronique pour tarir le recrutement islamiste, et régler les conflits ethniques bien documentés ; et rien de cela n'est possible en ce domaine avec les gouvernements actuels. Bonne chance, Monsieur Macron.
(billet rédigé le 11 juin 2021)
- Lieutenant des Spahis lisant ses ordres portés par un adjudant des Chasseurs d'Afrique, les ordonnances indigènes sont des Spahis, les chevaux, des barbes - |
Bon, on n'a pas tout faux sur Royal-Artillerie :
RépondreSupprimerSelon Barlamane et Jeune Afrique, "Le chef d’état-major de l’armée algérienne Saïd Chengriha se trouve à Paris depuis quelques jours, dans le cadre d’une mission non annoncée, selon le magazine panafricain Jeune Afrique. « L’objectif de la visite du patron de l’armée algérienne : discuter avec les autorités françaises de la nouvelle donne sécuritaire au Sahel, après l’annonce par le président français Emmanuel Macron de la fin de l’opération Barkhane, ainsi que du rôle que pourrait jouer l’Algérie dans ce contexte » rapporte la même source. L’Algérie, très préoccupée des risques d’instabilité à ses frontières, veut jouer un rôle actif chez Bamako, où elle garde des liens ambiguës avec les groupes politico-militaires du nord".
(source et suite)
Si ce transfert des responsabilités de maintien de l'ordre permettait de "normaliser" nos relations avec l'Algérie, ses dirigeants et sa population, j'y verrais comme un signe du destin. Rien que pour ça, il faut plier bagage.
RépondreSupprimerLe président Tebboune semble vouloir sortir du piège politique du Hirak (23% de participation aux législatives de samedi dernier, avec 1 ,1 million de votes nuls sur 5,6 millions de suffrages exprimés). Va-t-il le faire par la bande des affaires étrangères ?
RépondreSupprimerSur al Jazeera, il montre le fanion vert et blanc à Tripoli et semble vouloir prendre ses responsabilités au Mali saharien (voir ci-dessus).
D'accord avec vous que cette "normalisation" vaut bien qu'on lui fasse de la place. Ils s'entendront entre eux.
Juste une question : comment avez-vous identifié les personnages du tableau de Rietter ?
RépondreSupprimerMerci.
René
"Reitter".
SupprimerC'est assez simple ; en agrandissant chaque personnage.
Le cavalier porte l'uniforme des chasseurs d'Afrique, avec brelages et bottes de cuir. Son képi porte un liseré doré mais sa culotte garance n'a pas les bandes de commandement. C'est donc un adjudant.
Après agrandissement, on voit qu'il ne regarde pas le papier mais le képi de son destinataire, c'est donc un messager. Il ne reçoit pas d'ordres à cet instant.
L'officier qui lit le document, attentivement en penchant la tête, a deux galons à son képi, et porte l'uniforme des spahis avec la grande cape, doublée de rouge. Il est un lieutenant qui reçoit donc ses ordres d'une autorité distante.
Les indigènes ont une tenue de spahi avec le turban marron caractéristique. Les trois chevaux blancs sont des barbes (carrés) en remonte courante dans l'armée d'Afrique. Le noir, plus grand et sans oeillères, appartient à l'officier des spahis. Peut-être un cheval de selle français.
A noter une impression de paix dans ce douar (marocain ?).
Beau travail du peintre.
A lire ou entendre depuis dix jours le spécialiste des résaux islamistes Wassim Nasr, on s'aperçoit, qu'avant de plier les gaules, les têtes tombent du côté djihadiste.
RépondreSupprimerCertes cela provoque d'abord de l'avancement, mais le commandement de katiba en zone sahélo-saharienne commence à devenir très mortel, ce qui ne freinera pas l'érection mentale des insurgés, on le sait ! Mais les FAMa auront la tâche facilitée si les données d'expérience disparaissent en face d'eux.
Postscriptum tardif : on fera son profit de l'analyse imparable du colonel Goya sur les conflits ingagnables dont nous avons le secret :
RépondreSupprimerLe Choix de l'embarras !