samedi 10 juillet 2021

WTF in Afghanistan ?

montagnes de Baghlan

Contrairement à Trump qui aurait été bien incapable de situer l'Afghanistan sur une carte muette, Joe Biden connaît bien le dossier, puisqu'il fut missionné par Barack Obama pour expliquer aux autorités locales et à l'état-major déporté sur le théâtre d'opérations les buts recherchés par la politique du président américain. De mémoire, il s'agissait de reprendre une par une aux insurgés les provinces capturées pour les mettre en sûreté, y appliquer les recettes classiques de développement (on en parlera une autre fois) et transférer la province rénovée aux autorités locales dont on formait en même temps l'administration et l'armée. En conférence à Kaboul au cercle militaire il avait ajouté un quatrième objectif : sécuriser les ogives nucléaires pakistanaises (je crois l'avoir déjà dit sur ce blogue).

Comme souvent l'intuition de Donald Trump était juste quand il avait amorcé les discussions à Doha avec les chefs talibans pour faire rentrer les boys au pays, mais Joe Biden, qui avait les données d'analyse parvenant aux mêmes conclusions, n'a pas succombé à la tentation de passer l'éponge sur le tableau noir de l'administration précédente. A mon niveau entomologique, j'ignore ces conclusions déterminantes, mais quelques vérités sont à nouveau d'actualité.

D'abord les Talibans sont des insurgés locaux. Soutenir que le retrait américain va donner de l'espace aux groupes terroristes internationaux, comme le dit le général Petraeus, ancien commandant en chef à Kaboul, est certes fondé sur l'histoire des années 2000 où l'on a vu une coalition de gouvernement des Talibans afghans et des Arabes d'al Qaïda diriger le pays d'une main de fer ici et propager du terrorisme à l'extérieur. Mais on oublie que Mollah Omar était contre les opérations extérieures d'al Qaïda qui risquaient de mettre en péril la gouvernance islamique retrouvée en Afghanistan après la République communiste matérialiste. Il avait vu juste. Il est à parier que les chefs talibans actuels ne referont pas la même erreur, et si al Qaïda a disparu de l'épure, dès qu'ils auront les choses en main, ils ne laisseront pas d'espace à son remplaçant, l'Etat islamique (Daech). Les attaques suicides de ce dernier sont régulièrement dénoncées par les Talibans, si on veut bien s'informer aux sources (TOLOnews par exemple). On peut raisonnablement penser que les Talibans deviendront l'ennemi mortel de l'Etat islamique dont ils purgeront le pays avec l'aide des seigneurs de guerre de chaque district. Notons en passant qu'aucun des deux voisins impliqués que sont le Pakistan et l'Iran n'a intérêt à laisser suppurer l'abcès de l'Etat islamique à ses frontières. Il faudra opérer sans anesthésie ! On me dit dans l'oreillette que les Talibans ont pris langue avec le commandement de la base militaire chinoise de Mourghab, qui jouxte le corridor de Wakhan, pour échanger des assurances et ouvrir une collaboration sino-afghane dans le futur. J'ignore la réponse chinoise.

Dans son discours de dépôt de bilan, Joe Biden acte l'échec de l'expédition en termes simples, acceptant l'idée que construire une nation afghane ait été une chimère. On peut lire ce texte en cliquant ici. Cette nation n'a jamais existé auparavant. Qu'est-ce donc ce pays ? Le massif de l'Hindou Kouch fut de tous temps le refuge des nations proscrites ailleurs à divers motifs, qui ont appris à s'y défendre contre tout empiettement du voisin comme de l'étranger lointain, et ce depuis Alexandre le Grand. Le pays est gouverné au sol par des seigneurs de guerre, véritables chefs de clans, disposés comme un puzzle sur tout le territoire : quatre cents districts aujourd'hui ! Si l'ethnie majoritaire est celle des aryens pachtounes qui ne se laisseront commander par quiconque non issu de leurs rangs, il y en a bien d'autres, Tadjiks persanophones, Ouzbeks turcophones, Hazaras chiites, Baloutches du sud, nomades aïmaks, Nouristanis etc... En temps de paix, ils se détestent, en temps de guerre, ils se coalisent. Le défi pour les voisins est que ces ethnies débordent chez eux, surtout à l'est dans les fameuses FATAs pakistanaises.
 
Deux choses encore, il y eut sous l'empire de nécessité plusieurs tentatives de féodaliser l'espace (architecture "foi et hommage") en fermant la pointe de pyramide par un roi. Mais l'anarchie fondamentale a toujours repris le dessus et les affaires quand le danger s'éloignait. C'est dommage car un royaume d'Afghanistan convenablement géré était l'unique moyen de stabiliser l'espace et d'en faire progresser les moeurs et l'économie. La période constitutionnelle (1964-1973) du roi Zaher Shah en avait apporté la preuve, jusqu'à ce qu'un cousin décide que les réformes allaient trop loin.

Afghane
Belle Afghane tradi


L'autre point est cette distance civilisationnelle qui s'est instaurée entre les grandes villes et les bourgs, avec la réoccidentalisation des populations urbaines retrouvant des libertés qu'elles croyaient disparues pour toujours depuis le retrait des Russes ; particulièrement les femmes qui avaient le souvenir d'une vie normale au temps jadis, mais aussi les jeunes filles dévorant à satiété le plaisir de jouer au foot ou de pratiquer la boxe ! Outre l'accès à l'instruction bien sûr...
Comme toujours ce sont ces populations urbaines qui craignent le plus le retour des intégristes puisqu'elles sont coupables d'avoir dérivé.

Finissons par l'armée "nationale" afghane. On voit bien le défi de construire une armée afghane sur le puzzle des clans. Elle ne peut prospérer que sur le logiciel national des chefs de guerre en transformant les commandants de bataillons en chefs claniques et les commandants de brigade en seigneurs. De leur côté, les seigneurs de guerre sont en train de s'armer et convoquent le ban et l'arrière-ban du clan pour ne pas laisser aux Talibans les fruits de la "libération". Reste que si l'ANA est en capacité de résister à une invasion étrangère, elle sera quand même minée par le déclenchement d'une guerre civile, sauf si le commandement régulier s'impose par les armes sur l'Afghanistan utile ! Il semblerait que l'état-major de l'ANA, bien équipée, soit relativement confiant, malgré le débandage de troupes en périphérie, qui avaient signé pour la solde mais pas pour la mort.

Même si l'environnement et les conditions d'engagement sont différents, on ne peut s'empêcher de faire le rapprochement avec notre OPEX Takouba au milieu du chaos ethnique sahélien. Sans doute Emmanuel Macron y pense-t-il plus souvent qu'il ne se rase le matin devant la glace.

2 commentaires:

  1. Le 28 juillet, une forte délégation talibane a rencontré le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, à Tianjin. La question est de savoir si la porte afghane du corridor du Wakhan restera fermée aux irrédentistes du parti ouighour en exil, East Turkestan Islamic Movement - ETIM. (source Sinocism)
    Nul doute que les Talibans feront payer très cher la charge de concierge.

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  2. Mise au point de Washington sur la situation afghane, ce mercredi 11 août :
    The White House spokesperson, Jen Psaki, repeated the administration line on Wednesday, saying :
    “They have what they need. What they need to determine is whether they have the political will to fight back, and if they have the ability to unite as leaders to fight back.”
    She added : “We will continue to provide close air support. We’ll continue to resupply their forces with food and equipment, and pay all their salaries.”

    Il ne reste plus à l'armée régulière qu'à se battre ! Ce qui, hormis la brigade des forces spéciales, ne semble pas évident quand on voit les combats de Kandahar.

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