mardi 31 août 2021

Kaboul - Bamako

Clap de fin à l'aéroport de Kaboul. Dans dix jours, le vingtième anniversaire des Twin Towers sera carrément raté depuis que les ennemis de l'Occident ont repris tout le terrain conquis en représailles de l'attaque du Onze-Septembre. Une messe de requiem à Saint-Patrick devrait suffire. Mais à cette heure, nul ne sait le programme des commémorations ni la qualité des participants officiels. Des quatre présidents qui ont suivi l'affaire sans jamais être en capacité de la boucler, c'est le dernier qui porte la charge écrasante de la honte, et en second, Obama, qui a versé l'aventure au fossé dès les Nine Surges. Et Joe Biden fut son vice-président ! Nul besoin de raconter à nouveau l'histoire de la prise de Kaboul ou d'évaluer une alternative (cf. Jim Webb/NI - il y a tout) mais comme le disait tantôt l'intuitif prédécesseur au chien de prairie mort sur la tête, il valait mieux sortir civils et matériels avant les militaires que l'inverse. En quoi il est difficile de lui donner tort.

L'administration Biden semble avoir été surprise par l'effondrement des armées afghanes et la disparition du gouvernement de Kaboul. Pourtant nous savons aujourd'hui que le renseignement américain savait la précarité d'une situation inextricable au fond, et moins peut-être le pourcentage de forces fantômes du pouvoir local. Malgré les préventions déclarées par d'anciens chefs militaires sur zone contre une évacuation hâtée, il y eut obstination de l'Administration à poursuivre coûte que coûte un schéma de retrait peaufiné sur des hypothèses bureaucratiques construites sur du vent. Parfois les états-majors s'arcboutent sur les décisions obtenues laborieusement à l'issue de synthèses compliquées. C'est Gamelin en 40 ! Nous n'en concluerons pas que la puissance des Etats-Unis appartient désormais au passé, mais qu'assurément le système politique est spécialement déficient pour aller jusqu'à promouvoir un géronte (et celui-ci autoritaire et affaissé tout à la fois) aux commandes d'un régime présidentiel qui, par définition, convoque le chef d'Etat chaque matin sur la passerelle. Normalement, la chaîne de commandement, qui part du secrétaire d'Etat à la Défense Lloyd Austin et va jusqu'au chef d'état-major concerné au Pentagone, devrait maintenant sauter. Tony Blinken du Département d'Etat qui s'est très investi dzns l'affaire, devrait dégager lui-aussi. Mais il est courant chez les vieillards de changer le moins possible leur environnement pour s'y retrouver en confiance à leur réveil. Donc quelques chefs de service devraient faire l'affaire.

Kabul airlift by night


A la place des éternels contempteurs de l'Amérique, j'y réfléchirais néanmoins à deux fois avant de tester la subite impuissance de l'Oncle Sam, que ce soit en Ukraine, aux pays Baltes, à Taïwan ou en Corée. La Corée du Nord vient de redémarrer son réacteur à plutonium (AIEA). Un sanglier blessé est redoutable, et plus tard, la cicatrice lui servira d'utile rappel. Mais profitons de l'occasion pour regarder plutôt nos affaires extérieures françaises. Nous sommes engagés sur trois théâtres chauds que sont le Sahel, le Liban (FINUL) et l'Irak. Nous occupons d'autres bases, froides encore, à commencer par celle de Djibouti en face du Yemen et la BA-104 d'Abou Dhabi face à l'Iran. Les trois points d'appuis logistiques de Dakar, Abidjan et Libreville ne sont pas comptés. C'est l'Irak qui pose problème : nous déployons six à sept cents hommes (dont des forces spéciales) au nord, en soutien du gouvernement central, et M. Macron a déclaré s'y maintenir après le retrait américain qui va intervenir d'ici la Noël. Notre légitimité tient à la reconquête de Mossoul sur l'Etat islamique où nous avons apporté nos talents d'artilleurs et notre adresse à la chasse aux freux. Nous cherchions surtout à neutraliser les combattants français pour diminuer le stock terroriste d'après-guerre. Mais l'Irak est instable et tenu par des dizaines de milices patriotiques dont on ne sait la patrie. La guerre civile est latente et le dernier sommet de Bagdad du 28 août ne l'a pas éloignée. Normalement nous devrions renforcer le Kurdistan irakien en cas de déflagration, face à la Turquie qui a créé sa propre zone d'occupation au sud de sa frontière. Comme on se retrouve ! Rien ne dit que nous n'aurons pas besoin de renforcer les effectifs pour obtenir la masse critique de sûreté, surtout dans le cas d'un désengagement ultérieur. Lors de son voyage en Irak, M. Macron est monté à Erbil saluer les unités françaises et sans doute parler de ça avec les autorités kurdes. Mais ce à quoi vous pensez c'est le Sahel.

hélicoptères français


Ce brave M. Hollande n'a pas osé faire rentrer nos soldats après avoir libéré Tombouctou et bloqué la marche des émirs vers Bamako. Cette "occupation temporaire" était justifiée dès lors que des négociations sérieuses s'ouvraient entre les adversaires, du moins ceux qui ressortissaient aux territoires contestés, ce qui fut le cas à Alger en 2015. Les Accords d'Alger une fois signés, la procédure normale aurait été de ramener une partie du corps expéditionnaire sur nos bases permanentes africaines et le reste en métropole, et de laisser les Nations Unies reconstruire l'Etat malien dans ce cadre contractuel. Or on sait que le pouvoir à Bamako a tout fait pour ne pas honorer les accords tandis qu'il se goinfrait de corruption sur l'aide étrangère. Au lieu de créer l'improbable G5-Sahel où seuls deux pays savent se battre (Mauritanie et Tchad), M. Macron aurait mieux fait d'avertir ses homologues maliens que nous n'avions pas vocation à pacifier le monde en lieu et place des Nations Unies, et de partir. Mais, comme souvent, les synthèses savantes des états-majors qui trouvent toujours un avantage dans les missions extérieures, ont fait l'éblouissante démonstration de leur succès promis à la caisse à sable. Ça a merdé, tout autant que pour l'US Army en Afghanistan, mais le rapport d'échelle masque encore la vérité : l'impéritie des gouvernements sahéliens alimente la ressource en rebelles quel que soit le taux d'attrition provoqué chez les djihadistes par les raids de Barkhane. Sans règlement du conflit de l'Asawad d'où tout est parti, il n'y aura pas d'issue.

N'en déplaise à MM. Kouchner et Lévy, l'époque de l'ingérence est terminée. Des casuistes épilés viennent au micro expliquer que contrairement à l'Afghanistan, à la Libye, la Syrie ou l'Irak, c'est le gouvernement de Bamako qui nous a supplié d'intervenir en 2013 et que le "délit" d'ingérence ne nous est pas opposable. Sauf que, le gouvernement de Bamako de jadis a disparu corps et biens, et que nous nous adossons maintenant à une junte militaire qui préfère ses bureaux rafraîchis au bivouac en savane ! M. Macron va-t-il évacuer le Sahel pendant sa campagne électorale en risquant la diffusion d'images terribles des exactions djihadistes sur les populations locales, ou pire, celle de sévères déboires de nos unités de terrain ? Je ne le crois pas. Mais je mise sur ce retrait en bon ordre après sa réélection du mois de mai 2022 pour faire de la place aux Casques Bleus dont c'est le domaine classique d'inaction.

Touaregs



Pour compléter cet article en bonne compagnie, on peut lire deux contributions en français, l'une de François Danjou sur Question Chine et l'autre de Rama Yade (directrice de l'Africa Center Atlantic Council) sur Jeune Afrique.

1 commentaire:

  1. La junte au pouvoir à Bamako sort son plan B pour pallier la réduction de l'opération Barkhane en se rapprochant du groupe russe Wagner, signalant à qui veut l'entendre qu'elle n'a pas l'intention de faire campagne dans la poussière et la chaleur et préfère sous-traiter la corvée sécuritaire. Avec quel argent va-t-elle rémunérer les mercenaires russes ? Le nôtre bien sûr. Si ces gens ne nous veulent plus chez eux jusqu'à susciter des manifestations d'hostilité à la France, plions les gaules après avoir averti de notre départ les pays sahariens en capacité de se battre.
    (plus sur Jeune Afrique)

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